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«Le Genou d'Ahed» du cinéaste israélien Nadav
Lapid, en compétition officielle, et le documentaire
«Little Palestine, journal d'un assiégé» du
Palestinien Abdellah Al-Khatib projeté en sélection
parallèle, inventent des formes nouvelles pour résister d'une manière radicale
à la malédiction des guerres sans fin. Deux films personnels, tendus, furieux
et totalement réussis.
Le hasard du calendrier cannois nous fait découvrir le même jour un film israélien et un documentaire palestinien. La radicalité revigorante qui électrise ces deux films, très différents par ailleurs, ne laisse que peu de place à un quelconque optimisme quant à l'avenir de cette terre promise aux guerres sans fin. Mais au moins le cinéma retrouve ici toute sa raison d'être. Témoigner des abimes, non pas pour dénoncer une énième fois les injustices commises et les massacres perpétrés, ni pour quémander un peu d'empathie et soulager ainsi nos consciences de spectateurs impuissants, mais pour renoncer aux renoncements, à nos lassitudes, au fatalisme ambiant. Une oeuvre d'art sert aussi à nous permettre de sortir de la cage pour hurler notre rage. En d'autres termes, si on ne peut pas changer le monde tel qu'il est, battons-nous pour que ce monde- là ne nous change pas, quitte à larguer les amarres, à renoncer définitivement à ses attaches, ses racines, ses rêves. Ces deux films marquent par ailleurs une rupture définitive avec tout ce qui a été tenté dans le cinéma politique dit de dénonciation. En compétition officielle, Nadav Lapid a donc présenté son quatrième long-métrage, «Le Genou d'Ahed». Disons le toute de suite, malgré l'accueil mitigé de la communauté des pingouins masqués et autres festivaliers en goguette, c'est un grand film et on a affaire à un grand cinéaste en devenir. Nadav Lapid est une sorte de Tarik Teguia en plus remuant et surtout en moins poseur, même si, paradoxalement, son cinéma est «ego-tripique» comme pas possible. Si le titre du film de Nadav Lapid est un clin d'oeil au classique d'Eric Rohmer, Le Genou de Claire (1970), il faut préciser toute de suite qu'il s'agit d'abord ici de Ahed Tamimi, l'adolescente palestinienne devenue une icône virale de la résistance palestinienne pour ses actions contre les colons et les militaires israéliens. On se souvient qu'en décembre 2017 cette adolescente aux cheveux de feu avait giflé un soldat israélien, ce qui lui a valu d'être arrêté et emprisonnée plusieurs mois. On se souvient aussi, qu'un député du parti au pouvoir en Israël avait regretté que la jeune adolescente n'ait pas pris une balle dans le genou. Le film de Nadav Lapid part de cette affaire : Y, un réalisateur israélien écœuré par cette déclaration, prépare un film sur Ahed Tamimi pour dénoncer la politique de son pays. Ce réalisateur est par ailleurs invité à présenter son précédent film dans un petit village situé dans le désert. Arrivé sur place, le cinéaste apprend qu'il doit s'engager, au préalable et par écrit, à ne pas aborder certains sujets «sensibles» de nature à déranger le pouvoir. La jolie fonctionnaire du ministère de la culture qui l'accueille dans sa médiathèque exprime son désaccord avec ces nouvelles directives tout en lui précisant qu'elle les applique scrupuleusement. A partir d'un fait vécu, Nadav Lapid dénonce dans cette fiction la censure d'Etat censé protéger les institutions. Héros moderne ? L'ami inattendu ? Ni l'un, ni l'autre, fort heureusement, dans sa charge contre l'Etat d'israël, le réalisateur ne s'attribue pas le beau rôle, il s'interroge aussi sur son propre passé lorsqu'il rêvait d'une carrière militaire, pour être le «héros méritant». Si le fond du film est explosif, sa forme est audacieuse. La réalisation innovante de Nadiv Lapid assume l'outrance à chaque plan, dans chaque scène. Multipliant les ruptures de tons et de styles, mixant tous les genres que permet le cinéma, de la comédie musicale ( pour ridiculiser Tsahal) à l'expérimentation, et du burlesque le plus grotesque aux plans très sophistiqués, ce film qui carbure à toute vitesse est un choc esthétique autant qu'un manifeste politique. Tout aussi déroutant est le documentaire du jeune Abdellah Al-Khatib, ««Little Palestine, journal d'un assiégé». Déroutant parce que le film nous rappelle que les palestiniens ne souffrent pas seulement de la colonisation brutale de l'Etat hébreu. Tourné en pleine guerre civile syrienne, ce documentaire précieux témoigne de ce qu'ont enduré les habitants du camp de réfugiés de Yarmouk, quartier de Damas, pendant le siège brutal imposé par le régime syrien. On y revient dès qu'on se remet de nos émotions. Quelle journée ! |
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