Située à
équidistance entre la commune côtière de Mers El Kébir et la station balnéaire
de Saint Roch, la crique de Monté Christo constitue le lieu privilégié pour des
riverains, démunis pour la plupart, demeurant dans les alentours immédiats, en
quête d'un moment d'évasion en cette période de canicule. En dépit de
l'interdiction de baignade dans cette zone, annoncée sur un grand panneau
planté à l'amorce d'un virage, des jeunes et moins jeunes trouvent un malin
plaisir à satisfaire leurs caprices en bravant les forts courants marins enfantés
par la valse des vagues, prévalant en ce lieu. Nombre d'entre eux ont péri
noyés et autant d'autres ont trouvé une mort horrible après une chute, en
tentant d'escalader ou de dévaler la falaise pour atteindre cette crique, que
les vieux Oranais qualifient de «mangeuse d'hommes». «Nous ne disposons pas des
moyens financiers qui nous permettent de passer un journée à la plage dans
l'une des stations balnéaires jalonnant la côte. Nous effectuons alors le
trajet à pied à partir de Mers El Kébir pour goûter aux plaisirs de la mer», a
affirmé un groupe de jeunes. Des histoires inimaginables sont racontées à
propos de ces baigneurs téméraires qui ont été engloutis par les vagues. «Il
faut être un bon nageur pour se baigner dans cette crique. Les courants y sont
forts et si on ne sait pas bien nager, on s'expose automatiquement à une
noyade», a confié H'mida, un quadragénaire habitué des lieux, mordu de la pêche
à la ligne et demeurant au village côtier Saint Clotilde, situé à un vol
d'oiseau après le virage dit de l'Escargot. «En dehors de la saison estivale,
je ressens une drôle de sensation lorsque je m'isole sur un rocher pour pêcher.
Je ne suis pas le seul à avoir constaté cet état de fait. Ce mystérieux
phénomène est connu par les pêcheurs fréquentant la crique. La raison pourrait
être liée au spectre de la mort qui plane sur cette crique», a-t-il renchéri.
«Si vous restez encore un peu, vous allez être gâté en contemplant le plus beau
coucher de soleil du pays», a expliqué Houari en désignant la mer d'un signe du
menton. La quarantaine bien entamée, cet autre pêcheur au bras noueux, résidant
dans le même village que son compagnon H'mida, n'a pas eu tort en insistant. En
effet, comme pour faire oublier le maléfice de la crique Monté Christo, la
nature offre en revanche au regard contemplatif le plus beau des spectacles au
moment où le crépuscule teinte en ocre le paysage. Le ciel devient presque
soudainement rose, la brise s'endort et la mer légèrement houleuse se calme.
Pas une ride ne plisse plus la surface immobile de la mer sur laquelle le
soleil à son couchant verse sa lumière d'or. Bleuâtre aux pieds de la falaise
ceinturant la crique, la mer est rouge et enflammée. Les rayons de soleil
semblent flotter sur l'eau. A un moment donné, le disque rouge touche les flots
avant de s'enfoncer doucement. Il demeure un instant coupé en deux par la ligne
pourpre de l'horizon avant de sombrer complètement. Un instant plus tard, la
lumière frémissante de l'étoile du berger, signe précurseur de la tombée de la
nuit, se fixe dans le ciel au-dessus de nos têtes. Elle veillera jusqu'au petit
matin sur la mystérieuse crique sauvage de Monté Christo.