L'Afrique
du Sud vient de prouver qu'elle se porte mieux que l'Afrique. Le Mondial y a
été une réussite, on ne s'y est pas battu à coups de machette, la jungle n'a
mangé personne et le monde sauvage sait jouer au ballon ou au moins l'applaudir
et offrir des stades magnifiques qui se parlent par-dessus les montagnes du
trop vaste pays. Ce pays est donc un pays à retenir pour rêver. Zoom sur le
grand lot de terrain local : qu'aurait-il fallu vivre et faire pour que
l'Afrique du Nord habite le même étage des évolutions que l'Afrique du Sud ?
Quelques actes majeurs et fondateurs. On s'imagine une sorte de scénario avec
un Mandela algérien qui affronte, dès les premiers jours de l'indépendance,
l'armée des frontières et ses colonels, en leur disant, près d'Aïn Defla où les
premiers hélicoptères algériens ont tiré sur les premiers algériens morts après
l'indépendance : «Prenez vos armes et vos couteaux et jetez-les à la mer». On
s'imagine alors ce fameux bon départ : les colonels auteurs d'un coup d'Etat
avant la création de l'Etat qui obéissent, rangent les armes, s'occupent des fermes
et laissent aux Algériens le choix de décider de leur démocratie. On s'imagine
ce même Père de la nation, ce Madeba imaginaire, pharmacien d'origine ou simple
avocat, être élu à la Présidence, faire le choix d'un pays à l'économie libre
et à la démocratie réelle, ne chasser aucun Français ni aucun Juif algériens,
ni personne d'autre, et demander à tous de construire le pays au lieu de le
quitter. On s'imagine alors cet homme expliquer que l'Algérie nouvelle est pour
tous, que c'est le pays de l'arc-en-ciel et pas seulement du Croissant, et que
tous ceux qui y sont nés y ont droit à la racine. Quelques années plus tard, au
lieu de se faire culbuter par un colonel ou de garder le Pouvoir jusqu'à la
mort et la haine du peuple, Mandela se retirera donc pour consacrer
l'alternance et se consacrera aux enfants victimes des mines et à la lutte
contre la corruption. Il n'aura pas «nationalisé» les terres au profit des bras
cassés, ni cassé la classe moyenne au nom de l'égalitarisme et du socialisme,
ni ravagé des régions au nom de l'industrialisation, ni tué un opposant ou un
ministre de l'Intérieur, ni interdit les partis et la presse et l'audiovisuel
libre, ni poussé le peuple à la paresse et à la ruse en le nourrissant au
pipeline. Fort de son histoire, respecté pour ses hommes, craint pour sa force
et admiré pour ses choix, le pays local aurait pu bien finir, avec une
sacralisation de l'effort, une haine du coup d'Etat, un choix de la démocratie,
une gestion saine du régionalisme et un respect pour le patronat honnête et la
création de l'emploi et de la roue.
Sans le poids des anciens (les martyrs seront
payés par Dieu et les survivants ne mangeront pas la terre mais la
partageront), commandant à l'armée et pas le contraire et soumettant les
«services» au lieu d'en dépendre, l'héritier élu de Madeba aurait donc continué
le chemin du ciel, expliquant que l'identité n'est pas dans la langue mais dans
l'avenir, qu'être algérien n'est pas une honte face au Moyen-Orient, mais une
affirmation face au monde, que nous avons un pays avec plusieurs fenêtres et
dix mille cultures, contrairement à d'autres, et que la religion ne doit pas
servir à cacher le visage dans la barbe mais à aller plus loin que la vie,
pendant la vie et pas après la mort. Enrichi, protégé et construit, le pays
aurait servi de modèle, sa diplomatie ne serait pas réduite à un avion qui
propose du pétrole et des fichiers de terroristes et son équipe national aurait
exporté des joueurs et on aurait pu organiser la Coupe du Monde et y être
candidat sans ridicule. Bien sûr, on dira que la colonisation en Afrique du Sud
n'a pas été la même que celle de l'Algérie, que la guerre et le maquis y ont
imposé des choix, que ce n'est pas la même histoire, mais n'empêche, on a
commis de terribles erreurs et ceux qui les ont commises sont encore vivants,
ne se sont pas excusés et continuent à nous traiter comme un peuple douteux.
C'est pourquoi on ne peut pas organiser la Coupe du Monde mais seulement de
fausses élections et quelques festivals de plastique.