L'ouverture de la campagne des congés se fait généralement au début de
chaque mois de juillet. Plus qu'une cassure, cette coupure, pour de centaines
de milliers de travailleurs, prend de plus en plus de l'importance au vu de la
charge émotionnelle et physique cumulée tout au long d'une année de travail
avec son lot de fatigue mentale, stress et de mal-être. Ne rien faire, changer
ses habitudes, s'éloigner de cet espace de travail aliénant, se délester du
poids de son angoisse journalière au profit d'une sieste réparatrice, d'un
réveil tardif ou simplement d'un repas pris en dehors de son heure habituelle,
constitue pour beaucoup l'essentiel du congé. Il ne s'agit, donc, pas forcément
d'aller changer d'air au bord de la mer ou à l'étranger, un luxe auquel peu
peuvent prétendre, mais seulement oublier la servitude et l'espace-temps qui
circonscrit une existence durant huit heures dans un enclos fermé. Le travail
est valorisant, dit-on, mais asservissant également. Il y a longtemps, on
pouvait entendre untel se vanter de n'avoir pas pris de congé pendant une
dizaine d'années. L'on ne peut qu'en déduire que celui-ci ne semble pas
souffrir outre mesure de son statut de travailleur au service d'une obligation
mais de quelqu'un qui peut se permettre une telle fantaisie, puisque le travail
est, dans ce cas, un passe-temps, contrairement à d'autres qui attendent avec
grande impatience le jour de départ en congé. Le travail est de plus en plus
stressant. Le stress, un mot nouveau qui a fait son apparition ces derniers
temps dans le monde professionnel, commence à intéresser les spécialistes et il
est venu s'installer en concomitance avec les grands bouleversements que
connaît la sphère socioéconomique du pays. La culture du résultat, de la
performance et de la prévision à attendre coûte que coûte : voilà la nouvelle
culture, sinon c'est la marginalisation destructive pour celui qui va se sentir
encore plus inutile. On n'est pas arrivé jusqu'au suicide comme ailleurs où à
la suite d'une omniprésente menace de l'exclusion, le travailleur ne trouve
comme seule échappatoire que le saut dans l'inconnu. Contrairement à ce que
l'on croit, les procédures de gestion sont de plus en plus dures à appliquer,
la peur est également toute puissante accrochée au-dessus de la tête de chacun,
surtout les responsables qui craignent d'être pris malgré eux dans la spirale
de l'imprévu. Le stress c'est quand l'esprit est sollicité de partout et qu'il
n'arrive pas à répondre. Il y a bien sûr le stress positif, celui qui consiste
à se transformer en satisfecit dès que le travail est bien fait ou l'objectif
atteint, mais le plus dur à supporter toutefois c'est ce stress qui mange son
bonhomme de l'intérieur à petit feu et qui ne dit pas son nom. Comme dirait une
spécialiste : l'angoissé c'est quelqu'un qui ne connaît pas l'objet de son
malaise. Et c'est le mot malaise : allez-y demander à n'importe quel financier
l'état de son esprit même en dehors des heures de travail, il vous répondra
certainement sur son trouble et cette peur omnipotente de l'imprévu. L'acte de
gestion, qu'il soit pondéré, répétitif, pensé ou non, est devenu par les temps
qui courent porteur de menace diffuse. Peur de s'être trompé de n'avoir pas
fait le geste correct, peur du dire des autres, de leur commérage, voire de
leur manigance, peur du responsable et, surtout, avoir peur de cette même peur.
Le congé est une trêve quand on devine tout le poids de ce mot désignant
également la parenthèse délimitée dans le temps d'une bataille. En un mot, le
repos du brave.