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Le Quotidien d’Oran.: Monsieur le Commissaire, pouvez-vous nous donner votre appréciation sur les cinq années de mise en œuvre de l’Accord d’association et en particulier pour ce qui concerne le démantèlement tarifaire? Stefan Füle.: La mise en œuvre de l’Accord d’association se déroule normalement. Des réunions régulières ont lieu sur tous les thèmes couverts par l’Accord, à Alger ou à Bruxelles, entre les hauts fonctionnaires européens et algériens, dans le cadre des différents sous-comités et groupes de travail sectoriels. Ceci permet des échanges fructueux mais aussi des discussions franches sur les difficultés rencontrées. Une «feuille de route» d’appui à la mise en œuvre de l’Accord d’association a été adoptée, en septembre 2008, et l’essentiel de notre coopération s’articule autour. Beaucoup d’actions ont été réalisées pour la mise en œuvre des axes de coopération prioritaires définis dans la feuille de route. D’ailleurs, j’ai signé dimanche, avec le ministre des Affaires étrangères algérien, M. Mourad Medelci, le Programme indicatif national 2011-2013 qui définit les secteurs prioritaires qui vont bénéficier de notre coopération. Le choix de ces secteurs illustre la poursuite des objectifs suivis pendant la période précédente (2007-2010). Une enveloppe de 172 millions d’euros (environ 2,1 milliards de dinars) a été octroyée à l’Algérie pour les différents projets qui seront mis en œuvre durant cette période. En ce qui concerne le volet plus strictement économique et commercial de l’Accord d’association, en cinq ans des résultats notables peuvent être constatés, en matière d’investissements européens et de développement des exportations algériennes vers l’UE. Même si ces résultats peuvent sembler insuffisants, ils sont réels. Pour le commerce, le démantèlement tarifaire a été immédiat et total pour ce qui concerne les exportations algériennes vers l’UE, sauf quelques produits agricoles et agro-alimentaires sensibles qui ont fait l’objet de quotas. En revanche, pour les exportations de l’UE vers l’Algérie, ce démantèlement, qui est mis en œuvre comme prévu par l’Accord, est progressif. L’objectif d’ensemble de cette approche est d’accroître le potentiel de modernisation et la compétitivité d’ensemble de l’économie algérienne et certainement pas d’affaiblir davantage des secteurs déjà fragiles: les autres instruments de notre coopération peuvent être encore davantage mobilisés pour éviter de tels effets négatifs. Q.O.: Beaucoup de critiques ont été faites en Algérie sur les effets de la mise en œuvre de l’Accord d’association, notamment sur les pertes fiscales et la faiblesse des investissements européens. Qu’en pensez-vous ? S.F.: C’est la question que je me pose car elle ne reflète pas la réalité sur le terrain. Selon l’évaluation de la mise en œuvre de l’Accord d’Association de décembre 2009 et sur la base des chiffres de la Banque d’Algérie, les investissements de l’UE en Algérie ont pratiquement quintuplé entre 2005 et 2008, de 235 millions de dollars (environ 22,3 milliards de dinars), à 1,14 milliard de dollars (108,2 milliards de dinars). Surtout ils se sont largement diversifiés hors du secteur des hydrocarbures (passés de 78% en 2005 à environ 30% en 2008), alors que les investissements en Algérie, de pays autres que l’UE, concernent essentiellement ce secteur. Enfin, on constate que des États membres autres que les partenaires traditionnels de l’Algérie commencent à investir dans le pays. Quant aux exportations algériennes vers l’UE elles ont connu, hors hydrocarbures, une augmentation de 35% entre 2007 et 2008 (de 912 millions de dollars à 1,23 milliard). Il s’agit là d’un impact de la mise en œuvre de l’Accord d’association, qui a permis, notamment, aux produits industriels algériens d’être exportés en exonération totale de droits de douane vers les 27 pays de l’Union. J’ai beaucoup entendu ce chiffre de 2 milliards de dollars de «manque à gagner» sur les droits de douane. Un démantèlement tarifaire se traduit toujours par des pertes de recettes fiscales sur le court terme pour les deux partenaires concernés mais c’est une manière faussée d’évaluer un tel accord. La politique entreprise par le gouvernement algérien est une libéralisation des échanges et un programme de réformes économiques visant à créer des emplois, à attirer les investissements et l’innovation technologique, à diversifier et moderniser l’économie du pays. C’est sur cette base et dans le moyen et le long termes qu’il faut estimer l’impact d’un tel Accord, a fortiori, lorsqu’il prévoit une période d’adaptation de quinze ans. Les droits de douane ne sont qu’un élément dans l’équation d’ensemble: d’ailleurs l’Union européenne perd aussi des droits de douane lorsqu’elle signe un accord avec tel ou tel partenaire. Vous me demandez pourquoi des critiques sont émises sur le partenariat: en Algérie comme partout, il est normal que les gens s’interrogent sur des réformes en profondeur et sur l’ouverture des échanges. Je viens, moi aussi, d’un pays qui a connu une transition rapide et parfois difficile vers l’économie de marché. Les échanges de l’Algérie augmentent avec le monde entier, pas seulement l’Europe, et l’Accord d’Association est prévu non seulement pour accroître le commerce entre nous mais aussi pour soutenir le processus de réforme, aider à minimiser ses coûts économiques et sociaux, accélérer la modernisation. C’est ce partenariat-là que nous pouvons encore développer, très largement dans les années qui viennent et qui est au cœur de ce que nous proposons à nos voisins. Q.O.: Pouvez-vous nous indiquer les points importants de l’ordre du jour du Conseil d’Association Algérie-UE, du 15 juin prochain? Y aura-il une révision de l’Accord? S.F.: Effectivement, le 15 juin prochain, le 5ème Conseil d’association se tiendra au niveau des ministres des Affaires étrangères pour discuter, notamment, de l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’Accord d’Association. Le Conseil d’Association est l’occasion de passer en revue la mise en œuvre, dans l’UE et en Algérie, de toutes les politiques concernées par l’Accord d’Association. C’est du Conseil d’Association que les sous-comités et les groupes de travail reçoivent leur mandat et c’est à lui qu’ils rendent compte des progrès effectués au cours de l’année écoulée. L’Accord d’Association contient une clause de rendez-vous qui permet, cinq ans après son entrée en vigueur, la révision des dispositions concernant les produits agricoles et agro-alimentaires, ainsi qu’une deuxième qui prévoit le réexamen des dispositions concernant les services. Nous évoquerons probablement ce sujet la semaine prochaine. Q.O.: Parmi les questions politiques, celle du respect des droits de l’Homme et des libertés sera-t-elle abordée à Conseil d’association? S.F.: Oui bien sûr. La question du respect des droits de l’Homme et des libertés figure dans l’Accord d’association que nous avons signé. Lors du précédent Conseil d’Association, en juin 2009, le gouvernement algérien a proposé la création d’un sous comité «dialogue politique, sécurité et droits de l’Homme» dont le mandat devrait être soumis, dans les semaines qui viennent, à l’approbation des 27 États membres de l’UE. Q.O.: Dans le cadre de l’Accord d’association, des négociations vont commencer sur de nouveaux volets: l’agriculture et les services. Êtes-vous optimiste pour un aboutissement rapide de ces négociations ? S.F.: L’Union européenne considère ces deux domaines comme essentiels pour le développement de nos relations économiques et commerciales. L’évaluation de la mise en œuvre de l’Accord d’Association, menée à l’automne dernier a montré que l’Algérie n’a pas profité des contingents tarifaires qui lui ont été consentis pour les produits agricoles. Nous sommes donc convenus, lors du dernier sous-comité sur l’agriculture et la pêche, d’aider l’Algérie à analyser les raisons de cette non-utilisation, afin de lui permettre de mieux se préparer aux discussions qui devraient commencer en septembre prochain. Deux séminaires sont, ainsi, prévus sur les thèmes de l’accès au marché européen des produits agricoles algériens, le mois prochain et de la valorisation des produits agricoles algériens au deuxième semestre, avec l’appui des experts agricoles de la Commission européenne. Q.O.: L’Union européenne envisage d’établir un partenariat énergétique avec l’Algérie. Ce partenariat tarde à se concrétiser bien que l’Algérie soit le troisième fournisseur en gaz de l’Europe. Comment surmonter ces entraves ? S.F.: L’Algérie est un partenaire essentiel de l’Union européenne dans le domaine énergétique et son importance a encore augmenté ces dernières années. La mise en service prochaine du nouveau gazoduc Medgaz vers l’Espagne et les travaux concernant le futur gazoduc GALSI vers l’Italie, témoignent de ce partenariat étroit. L’Accord d’Association contient des dispositions assez développées concernant la coopération dans le secteur énergétique: nous avons donc déjà une base commune. Nous croyons que, sur cette base, notre coopération peut être intensifiée dans des domaines comme les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, prenant ainsi pleinement en compte les spécificités d’une économie émergente dont la demande d’énergie est en forte croissance. En outre, nous soutenons pleinement les efforts de l’Algérie en vue d’une intégration des marchés maghrébins de l’électricité. Q.O.: L’Algérie se montre toujours hésitante à intégrer la politique européenne de voisinage. Avez-vous de nouveaux éléments pour inciter l’Algérie à adhérer à cette politique qui concerne déjà une quinzaine de pays voisins de l’Union européenne? S.F.: La Commission européenne a adopté, le mois dernier, une Communication dressant le bilan de cinq années de Politique européenne de voisinage. Elle montre que la PEV a permis un bond en avant dans les relations entre l’Union européenne et ses voisins, à l’Est comme au Sud, et une accélération des réformes chez nos partenaires, en particulier en matière économique. Notre coopération est plus étroite que jamais, elle s’étend à tous les domaines: intégration avec le Marché unique européen, dialogue politique, gouvernance, énergie, transport, migration et mobilité… Surtout, c’est une politique qui permet, à chacun de nos voisins, de fixer lui-même les priorités et le rythme de sa modernisation et de choisir les domaines où il a le plus besoin de notre assistance technique, financière ou politique. Vos voisins maghrébins sont contents de leur adhésion à la PEV, ils veulent aller encore plus loin dans l’intégration : le Maroc a obtenu le « statut avancé », l’année dernière et la Tunisie vient de demander à entamer des négociations pour accéder à ce statut qui permet des relations encore plus étroites avec l’UE. L’Algérie ne souhaite pas participer à la Politique européenne de voisinage (PEV) et préfère se concentrer sur la mise en œuvre de l’Accord d’Association. C’est son choix, qui peut s’expliquer par le fait que l’Accord d’Association avec l’Algérie est entré en vigueur depuis moins longtemps que la plupart de nos voisins. Très franchement, en venant à Alger aussi tôt dans mon mandat de Commissaire européen, mon souhait principal n’était pas de convaincre l’Algérie de participer à la PEV. Je veux avant tout poser les conditions d’une relation de confiance et de dialogue constant entre l’Union européenne et l’Algérie: une relation qui soit à la hauteur du très grand potentiel de nos relations et de nos intérêts communs. Q.O.: La Politique européenne de voisinage est-elle en concurrence avec l’Union pour la Méditerranée (UPM) ? S.F.: L’Union pour la Méditerranée n’est destinée ni à remplacer la Politique européenne de voisinage ni à la concurrencer. Elle la complète et elle apporte une dimension régionale à notre coopération. L’UPM a été conçue pour donner un nouvel élan au Partenariat euro-méditerranéen qui existait déjà depuis 1995. La PEV est un cadre essentiellement bilatéral qui propose à nos voisins une association politique et une intégration économique plus poussées. L’UPM repose sur les mêmes valeurs et ajoute une dimension régionale et la mobilisation des 43 partenaires autour de grands projets économiques. Avec le Partenariat oriental de 2008, nous avons, d’ailleurs, aussi établi une structure régionale avec nos voisins de l’Est. J’ajoute que nous soutenons également des coopérations à l’échelle des sous régions, autour de l’Europe, autour de la mer Noire, par exemple. Nous pensons aussi qu’un renforcement de la coopération entre nos partenaires du Maghreb serait extrêmement avantageux : les calculs d’experts montrent qu’il pourrait vous rapporter, chaque année, 2 points de PIB supplémentaires, autant d’emplois et de croissance dont le Maghreb. Q.O.: Certains pensent que l’élargissement de l’Union européenne en direction de l’Europe centrale et orientale a été réalisé au détriment des partenaires sud-méditerranéens. Partagez-vous ce constat ? S.F: Non. Il n’y pas de concurrence entre les pays ayant vocation à intégrer l’Union européenne et les autres, ce sont deux objectifs différents. Après la chute du Mur de Berlin, en même temps qu’elle préparait sa stratégie d’appui aux pays d’Europe centrale et orientale, l’Union européenne a mis en place le Processus de Barcelone avec le Partenariat euro méditerranéen. L’instrument spécifique de la coopération avec les pays du Sud (MEDA) était beaucoup plus largement doté que celui en faveur des pays d’Europe centrale (PHARE). Quand les pays d’Europe centrale sont devenus candidats à être membres de l’UE, ils ont bénéficié d’instruments financiers plus importants mais ces fonds n’ont pas été pris à d’autres partenaires. D’ailleurs, indépendamment de l’élargissement, les fonds alloués à la coopération avec les pays voisins (l’Instrument européen de voisinage et de partenariat) ont augmenté de 32% entre 1999-2006 et 2007-13 et les deux tiers de ces fonds sont consacrés à la coopération avec nos partenaires méditerranéens. Q.O.: La question de la lutte contre la migration clandestine en Méditerranée est un sujet sensible. Que pensez-vous des mécanismes mis en place dans le cadre de cette lutte. A votre avis comment serait-il possible de rendre la circulation des personnes moins contraignante? S.F: La question de l’immigration illégale est un problème très sensible d’autant qu’il est souvent la proie d’une exploitation médiatique, ce qui le complique en braquant une partie de l’opinion européenne. Nous sommes parvenus à un stade où les pays concernés, c’est-à-dire ceux d’où partent les immigrés clandestins, ceux par où ils transitent et ceux qui les reçoivent, réfléchissent ensemble pour prendre toutes les décisions adéquates pour contrôler et juguler ce phénomène. Cette migration illégale porte tort à tout le monde, y compris aux travailleurs étrangers légalement installés dans les pays de l’UE. C’est là tout l’enjeu d’avoir un dialogue en vue de conclure un accord sur la réadmission des immigrés clandestins. En effet, la libre circulation des personnes doit se faire dans la légalité et afin de protéger les immigrants légaux et les travailleurs étrangers installés légalement dans l’Union européenne, il convient de pouvoir réadmettre ceux qui sont entrés illégalement. Q.O.: L’adhésion de la Turquie à l’Union européenne rencontre des blocages. Ne pensez-vous pas qu’il est de l’intérêt de l’UE d’intégrer cette puissance émergente, majoritairement musulmane, qui pourrait servir de médiateur dans le dialogue avec le monde musulman ? S.F.: L’Union est fondée sur les valeurs de dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de respect de la loi et des droits de l’Homme. La Turquie est un pays laïc et qui partage ces valeurs. La vitesse des négociations dépend largement de la capacité de la Turquie à faire les réformes nécessaires. Dans le cadre du processus de pré-adhésion, ce pays a lancé des réformes d’une envergure sans précédent et il reste encore énormément à faire. Nous savons que les négociations seront un processus lent et complexe et les États membres de l’Union ont établi, dans le mandat de négociation donné à la Commission, qu’elles ne peuvent être conclues avant l’établissement du cadrage financier pour la période 2014-2020. L’adhésion d’une puissance émergente comme la Turquie apporterait une contribution substantielle à l’Union européenne, mais il est trop tôt pour dire dans quelle direction iront les réformes et combien de temps sera encore nécessaire. |
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