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Dopés aux séries
policières très en vogue ces dernières décennies, les médias et leurs
commanditaires, les gouvernants, ont tendance à dégainer, à la moindre
irruption intempestive d'un événement d'actualité incompréhensible ou émersion
inopinée du peuple de sa léthargie militante politique et sociale, leur fumeuse
théorie du complot pour appréhender l'information au moindre effort réflexif,
stigmatiser sournoisement les protestataires en lutte. Car, de fait, le complotisme se niche dans les instances gouvernementales,
au sein des classes dirigeantes et des différentes fractions du capital,
habituées aux tractations opaques et à la diplomatie secrète. En effet, le
complot, le secret, le manque de transparence en vue du renforcement du pouvoir
font partie du mode de vie des classes dominantes depuis la division de la
société en classes. Aussi, se livrent-elles à des projections quand elles
brandissent cette arme contre le peuple en lutte. Jeter l'opprobre sur le
peuple en pleine offensive est l'apanage des classes régnantes en sursis.
Mus par une paresse intellectuelle constamment en activité, ces journalistes organiques à la pauvreté analytique abyssale exhibent avec promptitude leur arme favorite conspirationniste. Embusqués derrière leur écran d'ordinateur comme des espions en service commandé, ils scrutent l'actualité avec leurs lunettes aux verres déformants, formant une vision tronquée et truquée du monde. Chaussés de leurs lunettes journalistiques à courtes vues, ces médias affublés de leur narration gouvernementale affabulatrice, nous livrent régulièrement leurs fictions en guise d'informations. Rien n'échappe à leur imagination débordante de réalisme politique. La réalité, grâce à leurs chatoyantes analyses, prend souvent des phosphorescences journalistiques éclairantes de vérité. Éclatantes de sincérité. Écrasantes d'honnêteté. Convaincantes de scientificité. Á leurs yeux candides et leur esprit perfide, le peuple, perçu comme une masse moutonnière, ne s'éveille à la conscience politique que sous l'instigation de quelque gourou meneur de foules. Ou de quelques professionnels spécialistes de la manipulation politique œuvrant au service d'occultes puissances étrangères. Ainsi, dès lors que les masses populaires laborieuses algériennes investissent la rue pour revendiquer leurs droits à la vie et au bonheur, réclament l'amélioration de leurs conditions de travail et la revalorisation de leurs salaires, œuvrent à l'instauration d'une société démocratique et égalitaire, elles sont aussitôt taxées d'être à la solde de pays étrangers (comme si c'était le peuple algérien, privé de visa et de droit de sortie des frontières, qui est en relation avec les autres États, et non la classe dirigeante algérienne, disposant du visa et de la valise diplomatique lui permettant de séjourner dans les chancelleries étrangères, de nouer des contacts directs avec les dirigeants des puissances étrangères, parfois réputées pour leur hostilité et leur bellicosité envers l'Algérie). D'être manipulées par des forces obscures. Étrangement on n'accuse jamais la main invisible étrangère d'être responsable de l'habituelle résignation de ces mêmes masses laborieuses algériennes. De leur longue soumission. De leur effacement de l'histoire. Au contraire, on applaudit leur résignation, leur soumission. Signe de leur ferveur nationaliste. De leur fidélité au pouvoir dominant. Tant qu'elles demeurent silencieuses, oublieuses de leurs droits politiques et sociales, les masses laborieuses algériennes sont acclamées pour leur apathie. Leur sympathie. Mais dès lors qu'elles se réveillent de leur léthargie pour se lancer dans une synergie de luttes collectives, ces masses algériennes deviennent aussitôt objet de calomnies. Elles sont couvertes d'ignominies. Clouées au pilori. Traitées comme des bandits. Les gouvernants et leurs médias stipendiés, par leur propension à brandir la fameuse main étrangère, participent à cet enfermement idéologique des Algériens dans une vision complotiste de l'actualité et de la politique. De manière générale, les médias officiels algériens participent à leur manière à la propagation de la théorie complotiste. Cette nouvelle religion du complot, très prisée par les esprits fatalistes et résignés, rivalise avec les anciennes religions monothéistes dans son entreprise de description et d'explication de la réalité complexe : à l'instar de toute religion monothéiste, connue pour son infaillibilité scientifique, la religion du complot offre des certitudes dans un pays (monde) incertain, en proie au doute, au flottement, à l'inquiétude, à la déroute. En réalité, toutes les théories conspirationnistes et complotistes sont des fumisteries destinées aux paresseux intellectuels incapables de transcender l'apparence des phénomènes pour s'atteler à la quête (l'enquête) de l'essence des faits au moyen d'une laborieuse et rigoureuse analyse radicale (radical = qui va à la racine du problème). Avec les adeptes de la théorie du complot, le coupable est tout désigné : la main étrangère (mais jamais leur étrange Main munie du couteau qu'elle plante dans le dos du peuple dès qu'il relève la tête). À en croire ces médias conspirationnistes subventionnés par le pouvoir, derrière chaque événement se dissimule la main invisible complotiste du Sionisme, de la Franc - maçonnerie, de la CIA, d'une puissance étrangère. Dès lors, nul besoin d'explorer en profondeur les tenants et aboutissants des faits d'actualité pour les saisir dans leur complexité. Cette manière d'appréhender et de traiter l'information est affligeante. Le conspirationnisme est un classique de la pensée nihiliste, œuvre de la petite bourgeoisie déclassée en voie de prolétarisation et de paupérisation, d'une classe dirigeante sénile aux abois (phénomène également très en vogue dans la France de Macron et dans de nombreux pays en proie à une crise économique et institutionnelle systémique). C'est une forme habituelle d'analyse stérile de la part de personnes incapables d'avoir une vision historique globale, donc de développer une analyse critique radicale de la société, des événements, du système, du capitalisme. Ces parasitaires couches sociales en déshérence politique et en errance idéologique s'accrochent à des théories complotistes puisées dans les caniveaux des réseaux sociaux (pas dans les livres bien évidemment, car ces gens ne lisent pas de livres, mais des fiches rédigées par leurs maîtres habitués aux tractations secrètes). À leurs yeux aveuglés par le sectarisme politique, le dogmatisme religieux ou le virus populiste, tout «fâcheux» événement est le fruit d'un complot, toute révolte sociale, la manœuvre de la main étrangère. Mais jamais l'œuvre de l'incurie gouvernementale, de la politique antisociale, du despotisme étatique. Ces théories relèvent en vérité d'une forme de pseudo-analyses totalement déraisonnées, de fausses informations complètement irrationnelles et délirantes. Par définition, les théories conspirationnistes n'expliquent jamais les situations, les événements. Elles sont par essence anti-scientifiques. Elles défient la Raison pour laisser place à l'interprétation subjective. Ce n'est pas innocent que les théories complotistes se répandent à notre époque de capitalisme décadent. Dans cette période d'effondrement économique, de décomposition sociale, de putréfaction morale, d'explosion des maladies psychiatriques. De délitement du tissu social. De découragement politique. De déliquescence des institutions. De la montée des incivilités, de la délinquance, de la violence. Une époque en proie au doute, au pessimisme, au désarroi, au défaitisme, au mysticisme, au fatalisme, au fanatisme. En effet, les théories conspirationnistes sont le produit de personnes aigries et haineuses, condamnées par l'histoire. Incapables de s'investir intellectuellement pour comprendre les rouages et enjeux de la société en perpétuelle transformation, elles préfèrent soumettre la réalité à leur vision du monde macabre et morbide, à leur conception religieuse, leur vision policière, leur mentalité fataliste, leur raison paramagique comme le disait le grand psychiatre algérien Khaled Benmiloud dans son livre éponyme. Le conspirationnisme est l'expression idéologique du capitalisme dépourvu d'avenir, la caisse de résonance mortifère d'une classe dirigeante en voie d'extinction, le triomphe du glauque et du morbide sur les valeurs positives, progressistes et démocratiques portées par les masses populaires militant pour un monde humain meilleur. Le conspirationnisme, c'est chercher à voir le mal systématiquement (seule une classe dominante, illégitime par essence, soupçonne le Mal parmi ses «sujets» et en son sein. De là s'explique son règne par la peur, la terreur de sa gouvernance). Cela revient à voir le «diable» (vision religieuse par excellence), le complot, partout. Le conspirationnisme, théorisé par la petite bourgeoisie, se complait dans la dénonciation nihiliste plutôt que la critique constructive et cohérente de la société, du système, du capitalisme. Par ses attaques ciblées sur des entités fantasmagoriques, il favorise le dévoiement de la politique, le fourvoiement de la lutte. Cela arrange les classes régnantes, le pouvoir. A cet égard, la motivation première des théories conspirationnistes colportées par la petite bourgeoisie est justement d'exonérer la culpabilité des gouvernants, de dédouaner le pouvoir, de relativiser la responsabilité du système, de blanchir le capitalisme. De manière générale, le conspirationnisme relève de la vision du monde fasciste (le fascisme se fonde toujours sur la désignation d'un bouc émissaire : une minorité ethnique, un pays étranger, une entité politique ou financière). Au reste, c'est avec ce genre de pensées délirantes et décadentes que naît le fascisme. Le fascisme fait appel aux instincts, jamais à la raison. L'adepte de la religion du complot fonctionne sur la même matrice émotionnelle pestilentielle. Il n'aime pas réfléchir. Sa pensée est réfléchie par la ténébreuse boîte à idées obsessionnelles, instinctives, puisées à la même source complotiste. «Moi, je dis qu'il existe une société secrète avec des ramifications dans le monde entier, qui complote pour répandre la rumeur qu'il existe un complot universel.» Umberto Eco. |
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