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Les experts en armes nuclaires sont alarmés par la nouvelle doctrine de
«conduite de la guerre» définie très récemment par le Pentagone.
Banaliser l'usage de l'arme nucléaire Le Pentagone croit que l'utilisation de l'arme nucléaire pourrait «créer les conditions pour des résultats décisifs et pour la restauration de la stabilité stratégique,» selon une nouvelle doctrine nucléaire adoptée par l'état-major général la semaine dernière. Ce document, intitulé «Opérations Nucléaires», a été publié le 11 juin et constitue le premier document doctrinal sur ce sujet depuis 14 ans. Les experts en contrôle des armements disent qu'il marque un glissement de la doctrine militaire des Etats-Unis vers l'idée de combattre et de gagner une guerre nucléaire - doctrine dont ces experts pensent qu'elle reflète un état d'esprit extrêmement dangereux. «L'utilisation des armes nucléaires peut créer les conditions pour des résultats décisifs et pour la restauration de la stabilité stratégique», proclame le document de l'état-major, qui ajoute que «spécifiquement, l'utilisation d'une arme nucléaire changera de manière fondamentale le cours d'une bataille et créera les conditions qui affecteront la manière dont le commandement l'emportera dans un conflit». La doctrine militaire de Monsieur Folamour Au début d'un chapitre sur la planification et le ciblage nucléaires, le document cite un théoricien de la guerre froide, Herman Kahn, qui avait écrit : «Mon intuition est que les armes nucléaires seront utilisées quelques fois dans les cent années à venir, mais que leur utilisation sera sans aucun doute petite et limitée, plutôt qu'extensive et sans restreintes». Kahn était un personnage controversé. Il avait défendu l'idée qu'une guerre nucléaire était «gagnable» et on dit qu'il a inspiré en partie le personnage central du film de Stanley Rubrick : «Docteur Folamour». Le document récent sur la doctrine nucléaire du Pentagone a été effacé, après une semaine, du site internet du Pentagone ; maintenant, il est disponible uniquement dans une bibliothéque électronique à accès limité. Mais, avant son retrait, il a été déchargé par Steven Aftergood qui dirige le projet sur les actions secrètes du gouvernement américain et pour le compte de la Fédération des hommes de science américains. Un porte-parole de l'état-major a dit que le document a été supprimé du site internet accessible à tous «parce qu'il a été établi que cette publication, comme toutes les autres publications de l'état-major, devrait être exclusivement à usage officiel». Dans une déclaration faite par courriel, ce porte-parole n'a pas expliqué pourquoi ce document a été affiché, après sa diffusion, pendant une semaine sur un site internet accessible au public. Un document conçu comme une doctrine militaire Aftergood a dit que : ce document est conçu très certainement comme une doctrine de guerre - pas seulement comme une doctrine de déterrence, et c'est ce qui est inquiétant». Il a souligné que, comme document opérationnel émis par l'état-major plutôt que comme document de politique, son rôle est de planifier pour le pire des scénarios. Mais, il a ajouté : «cette sorte d'idée elle-même peut être dangereuse. Elle peut rendre cette sorte d'éventualité encore plus probable au lieu de l'écarter». Alexandre Bell, ancien responsable du service de contrôle des armements au sein du Département d'Etat a déclaré : «ceci semble un autre exemple du comportement de cette administration qui est à la fois sourde et désorganisée». Bell, actuellement directeur politique au «Centre pour le contrôle des armements et pour la non-prolifération, «a ajouté : «Publier un document sur les opérations nucléaires et le supprimer rapidement démontre un manque de discipline en matière de messages et un manque de stratégie. De plus, à un moment de montée des tensions nucléaires, émettre, de manière détachée, une hypothèse sur les avantages d'une attaque nucléaire, est difficilement justifiable». Une nouvelle course au surarmement nucléaire Cette doctrine a été établie dans le sillage du retrait, décidé par l'administration Trump, de deux accords nucléaires : le Programme d'action conjoint et compréhensif, signé en 2015 avec l'Iran, et le Traité sur les forces nuclaires à moyenne portée signé avec la Russie en 1987. L'administation est sceptique quant à un troisième traité : l'accord «Nouveau Start» qui limite les armes nucléaires stratégiques américaines et russes et leur système de délivrance, accord qui doit expirer en 2021. Entre-temps, les USA et la Russie se sont engagés dans des programmes de modernisation de leurs armes nucléaires, qui vont coûter des milliards de dollars. L'administration Trump est, dans le cadre du programme américain, en train de développer un missile ballistique à faibles radiations nucléaires, dont les avocats du contrôle des armes nucléaires disent qu'il risque d'abaisser le seuil d'utilisation des armes nucléaires, rendant plus proche la probabilité d'une guerre nucléaire «limitée» plutôt que la possibilité de l'inévitabilité d'un catalysme global. Haute probabilité d'une guerre nucléaire limitée La dernière doctrine sur les opérations nucléaires, publiée par l'administration Bush, avait causé une certaine alarme. Elle envisageait des attaques nucléraires préemptives et l'utilisation des armes nucléaires américaines contre toutes les armes de destruction massive, et pas seulement contre les armes nucléaires. L'administration Obama n'a pas publié une doctrine d'opérations nucléaires, mais, dans son programme de revue de la posture nucléaire, publié en 2010, elle a tenté de réduire le rôle des armes nucléaires dans la planification militaire américaine. Elle a renoncé à concevoir une bombe nucléaire de destruction des bunkers souterrains et a exclu des attaques nucléaires contre des Etats ne possédant pas l'arme nucléaire, mais n'a pas été aussi loin dans le désarmement nucléaire qu'auraient voulu ou attendu ses partisans. *Du quotidien anglais «The Guardian» traduit par Mourad Benachenhou, titre et sous-titres du traducteur. |
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