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Lorsque j'étais au collège,
les enseignants se sont évertués une année sur l'autre à nous inculquer des
leçons de géographie entre autres matières d'enseignement. S'agissant de
l'Algérie, ils n'ont pas été avares en informations. Ils ont décortiqué son relief
d'Est en Ouest et du Nord au Sud. Ils se sont étendus sur sa pluviométrie en
l'expliquant dans le temps et dans l'espace. Ils ont également été prolixes en
parlant de sa faune et de sa flore et défini leur répartition géographique en
motivant les différences.
J'ai alors appris sans enthousiasme le nom des chaînes de montagnes, des plaines et des oueds. J'ai appris l'existence de la halfa, du fennec, de la gazelle et de l'outarde. Ayant plus ou moins intégré certaines de ces notions, je m'en suis servi plus tard en fonction de mes besoins immédiats et ponctuels. Mais avec le temps, je me suis rendu compte que cet enseignement n'a pas été complet. Il a omis, volontairement ou non, de m'expliquer certaines données sociogéographiques qui constituent une des réalités de mon pays. Le fait que l'oued Chleff soit le plus long cours d'eau en Algérie n'a rien de spectaculaire. Il est là et c'est tout. Son existence n'explique rien ou presque. Il est là indépendamment de la volonté de l'Homme, comme il était là par le passé et avant le passé. Moi, ma préoccupation, qui pourrait paraître naïve, voire superflue, peut-être même étrange, cible des réalités sociologiques, passées et actuelles, susceptibles de contribuer à ma connaissance profonde de la communauté algérienne sur les plans social et ethnographique. Elle touche à tout ce qui a été fait par les hommes pour marquer leur époque. Elle va à leur passé pour expliquer leur présent et projeter leur avenir. Il s'agit de l'existence de certaines caractéristiques sociologiques de l'Algérie qui sont régionalement circonscrites, de façon plus ou moins marquée et qui doivent véhiculer des informations sociales, géographiques, ethnologiques, historiques non encore explorées. A l'Est du pays par exemple, les appellations de localités faisant référence aux sources d'eau sont légion : Aïn El Kerma, Aïn Azel, Aïn El Kebira, Aïn Arnat, Aïn Oulman, Aïn M'lila, Aïn Touta, Aïn Fekroun, Aïn Lahdjar, Aïn Lahdjel, Aïn Kercha, Aïn Djasser, etc. Que portent ces références comme signification ? Peut-on leur attribuer une interprétation sociologique ? Peuvent-elles traduire un trait de caractère de la population de l'époque, un mode de penser qui révèle un attachement à l'environnement, une symbiose avec cet environnement ? Autrement dit une population essentiellement composée de paysans et d'agriculteurs. A priori, la question semble être liée à l'origine de la création de ces localités. L'eau étant le facteur principal de la vie, les habitants se sont établis par nécessité près des sources (Aïn en arabe) et ces regroupements humains ont, au fil du temps, gardé ces appellations pour s'identifier. Alors, on est tenté de penser que la prolifération de ces appellations à l'Est du pays pourrait avoir un lien avec la réalité hydrique de l'époque. Peut-être. Cependant, si c'est le cas pourquoi ce phénomène alors, se situe globalement à l'Est du pays ? Seul un travail de spécialistes en géographie, hydrographie et climatologie pourrait apporter une explication à cela. Juste pour mieux connaître notre passé ! A l'Ouest du pays, on ne rencontre que quelques rares dénominations de ce genre telles que Aïn Defla, Aïn Témouchent, Aïn El Türk ou bien Aïn Sefra. Par contre, on retrouve des dénominations qui font référence à des Saints Hommes à qui on a érigé des mausolées (marabout) disséminés de Khémis Miliana jusqu'à la frontière : Sidi Ahmed Benyoucef, Sidi Bouderga, Sidi Maâmar, Sidi Amar, Sidi Bouabida, Sidi Ali, Sidi Lakhdar, Sidi Abed, Sidi El Houari, Sidi Boumediene, Sidi El Kébir, Sidi Bel Abbès, Sidi M'hamed Benaouda, Sidi Khettab, etc. Indépendamment de la lecture sociologique que l'on peut faire de la question, une première remarque, physique celle-là, saute aux yeux et a trait aux emplacements surélevés, en haut des collines, où ont été construits les mausolées. Pourquoi ? A défaut d'une étude approfondie, on peut penser que ces mausolées, érigés à la mémoire des saints sur des endroits élevés, servaient ainsi de repère pour les voyageurs qui, compte tenu de l'absence de voies de communication à l'époque, obligeant de couper à travers champs, monts et vallées, ils les utilisaient pour s'orienter. On peut penser également que le choix de ces endroits hauts, correspondait à la nécessité de souligner la place spirituelle notable qu'occupaient ces saints dans la société. Comme on peut supposer également que cette pratique existait pour souligner l'élévation morale de ces saints par rapport aux choses bassement matérielles qui constituent le quotidien des gens ordinaires. Par ailleurs, la peinture et la forme de ces mausolées quasi identiques peuvent attester d'une certaine cohésion spirituelle de la société de l'époque et d'une communion entre ses individus qui s'attachaient aux mêmes croyances, aux mêmes us et coutumes et pratiquaient les mêmes rites. Mais pourquoi ce genre d'appellations proliféraient-ils à l'Ouest ? Pourquoi c'est à l'Ouest que les gens accordaient une importance particulière à l'existence de ces symboles sociaux ? Est-ce que le recours à ces appellations peut se recouper avec le mode dit « A'roubi » de la chanson qu'on retrouvait à l'Ouest, même dans les grandes cités ? Cela peut-il vouloir dire que c'est une population à dominante bédouine ? L'existence de ces mausolées atteste-t-elle d'un manque d'affranchissement spirituel, tel que nous le concevons actuellement, une sorte d'assujettissement au surnaturel et au mystique ? En était-il de même dans les autres régions du pays là où la présence de mausolées n'est pas significative ? On peut disserter longtemps sur la spiritualité de telle ou telle communauté, de telle ou telle région, de telle ou telle époque, sans jamais arriver à une conclusion tranchée tant la frontière entre les différents courants est mince et versatile, parfois interdépendante. Ce n'est surtout pas l'objet de mon propos. Ce que je souhaite c?est de disposer de travaux de spécialistes qui m'expliquent les réalités de mon pays, qui me parlent, qui m'expliquent mon passé, qui me disent d'où je viens pour comprendre ce que je suis et définir là où je veux aller. La chaîne de montagnes El Wancharis, des Bibans et du Babor sont là et, sauf usure du temps, seront là invariablement sur des ères et des ères. L'échelle de leur âge consommera bien de générations d'êtres humains qui, chacune à sa manière, nous parlera à travers les vestiges de ses us et coutumes : l'Histoire des hommes ! *Romancier, essayiste et poète algérien. |
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