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Ces 15 premiers jours de Ramadhan,
les fidèles ont été moins nombreux que les années précédentes à accomplir les
prières d'el-Ïcha et des «târawih»
à la Grande Mosquée de Tlemcen. Apparemment, certains habitués de ce « petit
bijou d'architecture et de raffinement » du centre-ville lui ont préféré des
mosquées plus modestes mais plus proches de leur domicile. La noblesse
mystérieuse de la Grande Mosquée de Tlemcen dont la construction remonte à l'an
1091, est à l'image de son fondateur, le grand Youcef Ibn Tachfine.
(Cette mosquée fut ensuite agrandie et transformée par son fils Ali, puis plus
tard, par le sultan zianide Yaghmoracène).
À toute heure de la journée, pendant le Ramadhan, au fond de leur cœur ou à voix haute, en groupe ou en solitaire, nombreux sont les Tlemceniens qui s'y réfugient pour psalmodier des versets du Coran. Le passage du temps et la signification de la vie s'appréhendent ici sous un éclairage et avec une gravité introuvables ailleurs. Après la prière du «dohr», certains fidèles gagnés par le désœuvrement ou la fatigue, s'y laissent parfois aller à un petit somme vite «sanctionné» par l'imam. La vaste salle de prière est d'une architecture sobre. Elle est structurée en une dizaine de nefs aux toits coniques que soutiennent des poutres en bois apparentes. Chaque nef est constituée d'une succession d'arcades identiques, au style assez dépouillé. Une nef centrale, légèrement plus large, les domine et conduit au mihrab dont la forme et les motifs de décoration s'inspirent, d'après un connaisseur de l'art musulman, de ceux de la Grande Mosquée de Cordoue, en Espagne. Chaque soir, durant le Ramadhan, autour de 21 heures 30, de nombreux fidèles, hommes et femmes, jeunes et vieux, accourent au centre-ville de Tlemcen pour aller soit à la Grande Mosquée, soit à la mosquée de Sidi Braham, soit à Dar el-Hadith, toutes trois situées dans un mouchoir de poche. Les lieux de culte des quartiers excentrés de Tlemcen (comme Kiffane, Sidi Saïd, Birouana, Sidi Tahar) ont visiblement attiré cette année beaucoup de monde. Par un lien assez mystérieux, nombre de fidèles sont attachés à une mosquée précise et à l'intérieur de celle-ci à une place déterminée. Certains viennent de loin pour essayer de retrouver ce sentiment de plénitude que le Maitre des âmes et des cœurs leur a peut-être fait entrevoir un jour. A l'intérieur de la Grande Mosquée de Tlemcen, aussitôt après la prière d'el-Ïcha, les croyants entament les prières des « Târawih». Celles-ci, effectuées en groupe, durent, chaque soir, à peu près une heure et se composent de dix «rokâa» durant lesquelles l'imam récite à voix haute, deux «hizb» et demi du saint Coran. La cérémonie religieuse se clôture, à chaque fois, par un chant religieux ancien («Rabbâna lek el hamd». «Seigneur à Toi la louange!») œuvre d'un poète tlemcenien dont la mémoire de la ville n'a pas retenu le nom. Les prières des «Târawih» remontent à une tradition du prophète Mohammed (QSSL) et la psalmodie du Livre, à cette occasion, illumine les nuits de Ramadhan. Cette sainte récitation durera 26 soirées et s'achèvera lors de la «Nuit du Destin» («Leïlât el-Kâdr), durant laquelle les fidèles essayeront de guetter un signe, une sorte de lumière, dit-on, cachée à l'horizon. Tlemcen, pendant le mois de Ramadhan, connaît l'excitation et la léthargie propres à toutes les cités musulmanes. Les mauvaises langues se demandent même, des fois, si le jeûne, tel qu'il est parfois vécu, ne convie pas à la paresse, ne mène pas au bord de la crise de nerfs et, pour certains chenapans, est le moment propice pour faire la poche aux passants ? À Tlemcen, l'un des terrains de chasse traditionnels des voleurs à la tire est le marché des fruits et légumes du centre-ville ainsi que les rues commerçantes et très fréquentées de la Kissaria et de Derb Sidi Hamed. Le champ et les heures d'activité de ces O.S. d'un genre particulier (les «Ouvriers Spécialisés», appelons-les ainsi!) sont flexibles et adaptés aux circonstances. Mais une vigilance policière accrue, depuis plusieurs années déjà, semble déjouer tous leurs mauvais plans. Le marché des fruits et légumes de Tlemcen ressemble à un véritable chaudron où s'entasse une foule hétéroclite, pressée et presque exclusivement masculine. La bâtisse, restaurée il y'a une quinzaine d'années, est construite sur deux niveaux et date de 1904. Dans une aile du rez-de-chaussée, se trouve une poissonnerie qui est reliée par un étroit corridor à une salle occupée par une vingtaine de marchands de fruits et légumes, installés dans autant de box. Ce rez-de-chaussée est d'ordinaire moins encombré par les clients que l'étage supérieur et donc moins convoité par les «Ouvriers Spécialisés», mais les prix pratiqués y sont plus élevés. Au premier étage du marché couvert, plusieurs marchands de fruits et légumes et quelques bouchers occupent respectivement environ 80 étals construits en dur. C'est presque au coude à coude que les Tlemceniens, en particulier durant le Ramadhan, font leur marché, tout en surveillant de près leurs porte-monnaie de crainte d'avoir à pâtir des mauvaises pensées des fameux «Ouvriers Spécialisés». Progressivement, au fil des années, les rues jouxtant le marché couvert de Tlemcen (notamment celles qui se trouvent à son flanc nord), ont été squattées par des marchands ambulants (ils sont ambulants aussi pour échapper à la police). À chaque mois de carême, une épidémie de commerce s'empare de jeunes et moins jeunes inactifs. Quelques gamins poussent des brouettes remplies de coriandre, de persil et de menthe fraîche. D'autres proposent, pour 50 dinars, des sachets contenant environ une vingtaine de gousses d'ail, des plaquettes d'œufs à 11 dinars l'unité et des «âram» de 4 citrons pour 80 ou 100 dinars le tas (selon que les citrons ressemblent, en calibre, à des billes ou des melons). Un ou deux gosses s'aventurent dans l'épicerie fine et essaient de fourguer, entassés dans des cageots, des sachets d'un kilo d'amandes à 1.800 dinars ainsi que des bouteilles d'huile d'olive à 600 dinars le litre. Plus bas, sur la place d'El-Medress, des jeunes débrouillards ont ouvert des boulangeries en plein air, spécialisées dans le pain de campagne. Très prisés durant le mois de Ramadhan, la galette de pain de seigle et le pain dit «fréna» coûtent pas moins de 50 dinars. Les prix des fruits et légumes ont augmenté durant les premiers jours de Ramadhan. Au marché couvert de Tlemcen, le prix du kilo de tomates est cédé 80 dinars le kilogramme, celui de la pomme de terre 60 dinars. Le poulet coûte jusqu'à 370 dinars le kilogramme alors qu'il valait à peine 270 dinars le kilo avant le début du jeûne. Certains Tlemceniens véhiculés préfèrent, pendant le mois sacré, faire leur marché, une fois par semaine, chez les fellahs des alentours, qui proposent les produits de leur récolte à meilleur prix, carrément au bord des routes. Mais nourrir sa famille reste un exercice difficile. Partout, le sachet en plastique règne en maître pour contenir les achats effectués dans les commerces. Au musée local des souvenirs, la «hanediya» (foulard) et le couffin en «doum» (palmier nain) de nos parents ont rejoint le filet à provisions du colon. Neuf fois sur dix, si une bagarre éclate, c'est juste un fumeur invétéré qui supporte mal son sevrage de nicotine. D'après un sondage express réalisé en ville, les pickpockets sont restés plutôt sages pendant ces premiers jours de Ramadhan à Tlemcen. Ont-ils eu peur, cette fois-ci, de «casser» leur carême s'ils se mettaient à chiper à droite à gauche ? * Libraire à Tlemcen |
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