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S'il
avoue dans cette interview que «les chaînes de télévision privées existantes ne
sont ni algériennes ni légales», le président de l'ARAV (Autorité de régulation
de l'audiovisuel) rejette cependant toute idée «de fermeture ou de casse». En
principe, dit-il, «nous devons être là pour accompagner et pour qu'il y ait
davantage, chaque jour, plus d'expression, plus de liberté». Seul l'Exécutif
peut alors, selon lui, permettre à l'ARAV d'exercer ses prérogatives dans ce
sens et mettre de l'ordre dans l'espace audiovisuel national. Zouaoui Benhamadi fait valoir
pour cela la force de la loi. Mais, dit-il, «il faut beaucoup de bonne foi et
de sérénité. Il faut beaucoup de calme pour que la loi, le langage de raison et
le bon sens priment, parce que si on bâtit dans la haine de l'autre, on n'ira
nulle part».
Le Quotidien d'Oran : L'autorité de régulation de l'audiovisuel que vous présidez est depuis quelques temps accusée de ne pas réagir contre les dérives de certaines chaînes de télévision privées. La Commission nationale des droits de l'homme est la toute dernière institution qui appelle l'ARAV à, je cite, «assumer ses prérogatives émanant de sa mission telle que définie par les textes portant sa création(?)». Comment réagissez-vous à ces accusations et à cet appel ? Zouaoui Benhamadi : C'est vrai, nous assistons aujourd'hui à une espèce de mode ; tout ce qui pose problème dans l'audiovisuel, c'est bien sûr forcément l'ARAV qui en est responsable soit parce qu'elle a fait ceci ou parce qu'elle n'a pas fait cela. Il faut peut-être, toute raison gardée, s'armer de sérénité et de patience avant de proférer des accusations. Il y a effectivement dans l'atmosphère de ramadhan un certain nombre «d'œuvres» qui se voulaient ludiques ou artistiques, qui ont été diffusées par des chaînes privées et qui ont posé problème. Certaines posent réellement problème. La réaction de la Commission nationale des droits de l'homme m'oblige à dire que nous regrettons ce communiqué. Nous regrettons qu'une institution d'une telle dimension, de cette importance n'ait pas pris le temps de voir exactement si nous étions comptables de quelque chose que nous aurions dû faire ou ne pas faire, ou bien si précisément les lois ne nous donnent pas autant de pouvoir que certains imaginent. Q.O. : L'opinion publique peut ne pas connaître les lois qui régissent l'ARAV. Pourriez-vous en préciser les prérogatives ? Z.B. : Personne n'est censé ignorer la loi, sinon rien ne fonctionne. Mais pour bien préciser les choses, il faut peut être revenir un peu en arrière. Les chaînes privées ont commencé à éclore l'une après l'autre à partir de 2013, c'est-à-dire il y a quatre ans. Mais à cette période, ni la loi de l'information n'avait été votée ni l'ARAV n'existait. Les autorités publiques ont toléré que ces chaînes s'installent l'une après l'autre. Il fallait alors penser à mettre de l'ordre puisque aujourd'hui nous avons les instruments pour faire inscrire tout le monde dans la légalité et dans le professionnalisme. Il faut savoir qu'il n'y a qu'une seule source de pouvoir qui peut remettre de l'ordre dans ce domaine, c'est l'Exécutif. En attendant, les choses continuent à s'alourdir. Il faut rappeler que l'ARAV existe officiellement depuis un an. Mais, à ce jour, nous n'avons pas vu d'annonce par le gouvernement décidant de la configuration de l'espace audiovisuel national. Sur la base de quoi l'ARAV peut-elle alors travailler ? Ce n'est pas l'ARAV qui a ouvert ces chaînes. Il n'appartient pas à l'ARAV de réagir à quoi que ce soit dans le domaine audiovisuel privé si le cadre adéquat ne lui est pas tracé. Q.O. : Quelles sont exactement les prérogatives de l'ARAV ? Z.B : Ses prérogatives viennent de la force du contrat ou précisément du cahier des charges qu'elle devrait signer avec chacune des chaînes existantes. Q.O. : Pourquoi ne l'avoir pas fait ? Z.B. : Ces chaînes ne sont ni algériennes ni légales. «Les meilleures» d'entre elles, c'est-à-dire 5 sur les 55 existantes, ont été juste autorisées à ouvrir des bureaux de représentation. Or, tout le monde sait que ce ne sont pas de simples bureaux de représentation qui ont été ouverts mais de véritables rédactions parfois très fournies, importantes de par le nombre de leurs employés qui est entre 200 et 500 personnes. Ces chaînes ont ouvert de véritables studios parfois extrêmement performants et modernes. La définition d'un bureau de représentation de presse est claire, il ne faut pas qu'il dépasse 9 employés. Q.O. : Les chaînes privées semblent avoir carte blanche pour diffuser ce qu'elles veulent, en dehors de tout cadre légal. Qui alors pourrait leur dire qu'elles ont ou non failli à leur devoir de respect de la notion du service public, de l'éthique ou du professionnalisme ? Z.B. : On n'est tout de même pas dans la jungle ! Aujourd'hui, en cas de dérive, ces chaînes peuvent être sanctionnées dans le cadre de la loi générale, c'est-à-dire par le procureur et donc par la justice. Pour qu'elle puisse réagir ou intervenir, l'ARAV doit cependant disposer d'un cahier des charges dûment signé avec chacune d'elle. Q.O. : Pour l'heure, il n'y a aucune chaîne sur laquelle elle peut exercer son autorité ou son droit de regard ? Z.B. : Non. Parce qu'elle n'a signé aucun cahier des charges avec aucune d'entre elles. Ce n'est qu'à partir de la signature d'un tel contrat qu'elle peut exercer sa puissance à la fois de régulation mais aussi de discipline si nécessaire. Q.O : Qu'attendez-vous aujourd'hui de l'Exécutif pour que les choses évoluent dans le sens de la légalité ? Z.B. : C'est la situation qui attend de lui qu'il procède à une rationalisation de ce qui a été fait. Nous pouvons considérer que ce qui a été fait jusqu'à maintenant n'est pas totalement négatif parce que je suis de ceux qui soutiennent que quelle que soit leur valeur, sur 24 heures, ces chaînes n'ont pas que du négatif, elles font des choses utiles. N'oublions pas que certaines ont réussi à fixer l'audimat algérien en Algérie, c'est-à-dire nous prévenir, nous prémunir de l'arrogance d'Al-Jazeera et de certaines chaînes occidentales qui ont germé par la suite et qui ont occupé l'espace algérien. Q.O. : L'opinion publique pense que certaines chaînes privées font parfois pire sur le plan social qu'Al-Jazeera. Z.B. : Je pense qu'il ne faut rien exagérer du tout. Qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce sont des chaînes largement perfectibles qui ont le mérite d'exister. Je ne suis pas leur avocat mais l'ARAV n'a de sens que si elle peut servir à élargir l'espace d'expression générale et publique. Sinon, son existence est inutile. En principe, nous devons être là pour accompagner et pour qu'il y ait davantage, chaque jour, plus d'expression, plus de liberté. Et cela vaut aussi bien pour le secteur privé que pour le secteur public. Q.O. : Après le sit-in de soutien au romancier Rachid Boudjedra, vous avez été reçu par le nouveau ministre de la Communication. Lui avez-vous fait part de vos problèmes ? Z.B. : Effectivement, j'ai rencontré le nouveau ministre. Il a été réceptif à ce que j'ai développé sur la situation de l'ARAV. Mais il faut dire que ce n'était pas une réunion de travail mais juste un premier contact. Le ministre a fait part de sa disponibilité -nous aussi- à travailler ensemble pour ce qui va venir. J'ai aussi été reçu par le Premier ministre, M. Abdelmadjid Tebboune. Nous avions évoqué ensemble les mêmes perspectives de ce qu'il conviendrait de faire. Q.O. : Pensez-vous que vos discussions vont se traduire par des faits concrets, c'est-à-dire que l'Exécutif va vous donner les moyens humains et matériels pour que l'ARAV commence effectivement à travailler ? Z.B : Je pense qu'il y a déjà un pas important qui vient d'être franchi à travers lequel les responsables de l'autorité publique sont davantage sensibilisés sur la situation dans laquelle l'ARAV se trouve. Je pense aussi que les réactions du public à propos de ce qui est diffusé par les chaînes privées et le sit-in de soutien à Rachid Boudjedra ont été bénéfiques pour l'ARAV. Ceux qui se sont rassemblés devant l'ARAV n'étaient pas venus pour manifester contre l'ARAV. Ils sont venus lui délivrer un message en espérant qu'elle le fasse parvenir aux personnes qu'il faut. Q.O : Qu'est-ce qu'il vous faut en urgence pour que l'ARAV exerce réellement ses prérogatives ? Z.B : Je ne veux pas parler de notre misère économique et d'installation. Le siège de l'ARAV est un petit appartement dans un immeuble d'habitation au centre-ville. Ce n'est pas exactement ce qu'il faut pour la dignité d'une institution comme l'ARAV. Pour des raisons bureaucratiques longues à expliquer, notre statut n'est pas encore en application. Qui n'a pas de statut, n'a pas de budget, ne peut pas recruter. Nous sommes 9 membres du collège et un tout petit nombre de personnels prêté par des administrations publiques qui fait fonctionner à la fois la comptabilité et quelques petits services. Nous sommes complètement dépourvus de moyens adéquats pour pouvoir faire notre travail. Des institutions de ce genre, dans certains pays, fonctionnent avec 300 à 450 personnes. Ce sont des institutions qui doivent capter les compétences dans différents domaines, juridiques, techniques, des métiers de veille pour lesquels il va falloir former. Nous avons fait une expérience pendant les dernières élections législatives. Il faut dire que les résultats étaient très bons parce qu'il y avait beaucoup de volontarisme de la part des jeunes du CIP (Centre international de presse) qui se sont engagés à répondre au type d'interrogations que nous avions. Q.O : L'ARAV est-elle seule habilitée à permettre la création de chaînes de télévision privées de droit algérien ? Z.B : Les textes sont déjà publics et clairs. Ils énoncent tous les critères pour la création de chaînes privées. C'est un processus qui est clair. Il est ce qu'il est pour le moment. Mais je pense qu'il y a du travail à faire parce qu'entre le moment où il a été imaginé par ceux qui l'ont initié et aujourd'hui, la situation a évolué et que surtout cette course effrénée au développement des moyens de communication rend très vite caduc ce que vous entreprenez. Q.O : Les textes qui régissent l'ARAV doivent-ils donc être revus en premier ? Z.B : Ils doivent être adaptés régulièrement aux évolutions que connaît le domaine audiovisuel dans le monde. Leur adaptation permet et facilite l'accompagnement du progrès pour savoir comment interagir avec le développement technologique. Q.O : Une fois que l'ARAV fonctionnera réellement, quels liens pourrait-elle avoir avec les chaînes déjà existantes ? Z.B : C'est à l'Exécutif de se prononcer sur la taille et les couleurs du paysage audiovisuel dont il veut doter le pays. A partir de là, le champ sera ouvert à tout le monde, aux chaînes qui existent aujourd'hui et à d'autres nouvelles qui vont venir. L'ARAV devra, comme déjà dit, être liée avec les chaînes anciennes ou nouvelles par un cahier des charges. Pour que tout soit mis en place, il faut beaucoup de bonne foi et de sérénité. Il faut beaucoup de calme pour que la loi, le langage de raison et le bon sens priment, parce que si on bâtit avec la haine de l'autre, on n'ira nulle part. Q.O : Etes-vous disposé à attendre -sans rien faire- que l'Exécutif décide de configurer le champ audiovisuel conformément aux lois en vigueur et aussi de vous doter des moyens qui vous sont nécessaires? Pensez-vous que le gouvernement réagira incessamment pour fixer ses choix dans ce domaine ? Z.B : J'aimerais bien que ce soit fait dès demain. Mais ce sont des choses qui demandent du temps, de la maturation?Ramadhan est un mois de la télévision par excellence. Pour cette fois, elle en a pris pour son grade. Ceci dit, il ne faut pas que le pays en soit dégarni parce qu'il n'y a rien de plus facile que de fermer, de casser. Ce serait injuste. La où il faut être intransigeant, c'est lorsqu'il s'agit de l'honneur des hommes avec un grand H ou de l'unité de la nation. Je le dis sans esprit de dureté ou de mollesse? |
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