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Tous les ans,
lorsque l'enseignant aborde, devant ses élèves, le cours sur la personnalité
juridique, il s'efforce à dissimuler une gêne inavouée. Seul l'être humain la
possède nous dit le droit. Les objets sont des meubles, au sens juridique, et
les animaux ont accédé à un niveau de reconnaissance plus élevé puisque la loi,
confirmant une jurisprudence ancienne, considère, désormais, qu'ils sont «
dotés d'une sensibilité ». Comment avouer à ces jeunes que le professeur qui
leur déclame ces grandes vérités est originaire d'un pays où le statut de la
femme la réduit à une quasi-inexistence légale.
Les droits piétinés de la femme ne se résument pas à un instant d'indignation et commémoratif mais à un mal-vivre de chaque instant. Pour aborder ce thème il faut refuser de s'inscrire dans la seule journée du 8 mars, afin de bien signifier que pour une femme, le calendrier est, également de trois cent soixante cinq jours. Nous sommes nombreux à ne pas avoir lu, avec minutie, le code algérien de la famille mais seulement d'une manière parcellaire, par morceaux détachés de leur contexte intégral car les plus relevés dans la contestation médiatique générale. Comment justifier la cohérence d'une telle démarche paradoxale, lorsque le professeur exige toujours de ses élèves qu'ils commencent à lire et s'imprégner du texte, avant d'en apporter la critique. Il y a, pourtant, une explication rationnelle car l'objet abordé ne requiert pas les mêmes démarches intellectuelles que l'on exigerait dans n'importe quel autre débat. Face à une imbécillité humaine le paradigme de la raison n'a plus cours. Pour un juriste, la nullité absolue d'une règle prévaut, dès lors qu'il y a un ou plusieurs vices graves qui l'entachent. Personne n'oserait prétendre qu'une norme juridique serait recevable dans sa globalité si l'une des dispositions est la possibilité légale de trucider son voisin parce qu'il vous agace ou d'égorger son inspecteur des impôts suite à un litige fiscal. Bien entendu que non, chacun comprendrait qu'il est plongé dans la lecture d'une grossière farce et la cesserait, immédiatement, sans aucune hésitation. Il en est ainsi pour le code algérien de la famille qui introduit plusieurs éléments qui l'invalident dans sa globalité, sans discussion possible. C'est un fait certain que la femme algérienne est une citoyenne de sous-ordre, à la personnalité juridique, extrêmement, diminuée et encadrée. Depuis sa naissance, son mariage, ainsi que les dispositions testamentaires la concernant, la preuve est à chaque fois faite pour celui qui n'a, pourtant, qu'une idée « rapportée » du texte. Un autre argument du refus de la lecture est la grande aversion que l'on peut ressentir face à une confrontation qui vous plonge dans un dégoût profond. Certains n'ont pas lu le code algérien de la famille comme d'autres répugnent à lire les comptes-rendus du docteur Mengele ou visiter un Musée de la torture et de la barbarie. A vrai dire, pour de nombreuses personnes le sordide et le macabre ne sont pas dans leurs élans naturels de lecture ou de découverte. Mais au moment où s'amorce cette réflexion, une irrésistible envie s'éveille pour « cliquer sur Google » et lire, plus sérieusement, la cause de tous les rejets. Laissons le regard libre de ses rencontres fortuites, sans lecture continue mais en butinant d'articles en articles dans un ordre décousu. Ce regard ne sera jamais déçu, à chaque article son lot d'absurdités, pas un n'y échappe même si l'on reconnaît, immédiatement, l'enveloppe sémantique et les formes que tous les étudiants de droit connaissent, par ailleurs. L'article 48 nous apprend que l'époux comme l'épouse peuvent demander le divorce. Oui, mais cette pauvre malheureuse est immédiatement flanquée d'une batterie de conditions expressément détaillées dans l'article 53. Le regard se porte ensuite sur l'article 8, célébrissime disposition du droit algérien, l'homme qui peut épouser, en même temps (la précision s'impose) autant de femmes qu'il le souhaite. Le Nirvana du macho viril, le gros lot de la force brutale masculine, l'option golden carte pour les hommes qui en ont les moyens. Mais attention, il doit en demander l'autorisation préalable au tribunal. Les rédacteurs du code ont, probablement, souhaité nous signifier qu'ils n'étaient, tout de même, pas des barbares et qu'ils s'inscrivaient dans un état de droit. Du moins le pensent-ils, à défaut d'avoir une réelle idée de ce concept qui leur échappe. L'article 30 ajoute que la femme « prohibée » (quel extraordinaire adjectif !) est celle qui est déjà mariée. Bien entendu, elle n'a pas le droit à la réciprocité. Henri VIII aurait été bien inspiré de demander aux législateurs algériens de lui rédiger sa demande de divorce avec Catherine d'Aragon, cela aurait changé la face du monde de l'époque en évitant tant de guerres pour une Europe qui en avait déjà pour son compte. Nous pouvons lire que l'article 39 est abrogé par une ordonnance de 2005 et une note de renvoi nous rappelle l'ancienne rédaction portant l'expression « chef de famille ». Inutile, en effet, de le stipuler, le texte est, dans sa lettre comme dans son esprit un verrouillage ferme au profit du mari, César absolu du foyer conjugal. Parfois, on doit s'y prendre à plusieurs reprises pour suivre certaines élucubrations, ?possibilité après trois divorces mais à condition de ceci ou de cela, après que ceci ou cela?.c'est à s'y perdre. Plus choquant, la litanie des conditions que doit remplir l'épouse, jusqu'aux considérations physiologiques, une impression d'avoir à faire à un questionnaire intime ou à un manuel vétérinaire. Inutile de continuer, refermons cette monstruosité qui tourne le dos à l'humanité moderne. La lecture de telles dispositions nous pose, véritablement, la question de savoir s'il s'agit d'un code civil ou si tout cela relève de la psychiatrie lourde, très lourde. Que la femme algérienne n'ait aucune crainte sur son état, si elle est injustement considérée comme une demi-part, ceux qui ont rédigé ce code de la famille n'ont, réellement, qu'un demi-neurone. Tous les détraqués de la planète qui pensent se calmer en asservissant, par la violence, l'objet de leur fantasme, délirant et pathologique, la femme, perdent leur temps. Ce code de la famille est une bouffonnerie à contretemps de tous les désirs d'avenir de la plupart de nos jeunes Algériens. Il faudra, sérieusement, le reléguer aux oubliettes honteuses de l'histoire. Ne peut-on pas faire preuve de sérénité, en adaptant, pour le moins, les prescriptions légales au temps qui est le nôtre et non à celui du septième siècle ? L'autorité familiale qui règne sur l'Algérie nous annonce une réforme du code de la famille mais réformer l'horreur c'est comme se préoccuper de la tenue vestimentaire du bourreau, aux fins d'humaniser la torture et la peine de mort. L'abroger et l'effacer de la mémoire collective est la seule démarche possible pour que les générations à venir ne soient pas choqués que leurs parents aient pu vivre et accepter une monstruosité qui ne les honore pas. Il est impératif de construire, au bénéfice de la femme algérienne, un destin conforme à son droit, indiscutablement égal à celui de l'homme. Un droit que nous n'avons pas à lui octroyer mais à reconnaître car il est, existe et s'impose. De toute façon, indomptable et libre sera à jamais cette envoûtante et éternelle beauté de l'humanité, la femme. Il faudra que les grands pervers s'y fassent ou se soignent. * Enseignant |
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