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Comment peut-on
penser qu'un pays comme la Corée du Sud, jadis agricole, d'une superficie de
l'ordre de 100.000 km2, soit un peu plus que celle de la wilaya de Ghardaïa
(86.100 km2) ou d'El Bayadh (78.000 km2) et un peu moins de deux fois celle
d'El Oued (54.500 km2), ne disposant pas de ressources naturelles, puisse
exporter des produits industriels de haute technologie, à hauteur de 435
milliards de $, pour la seule année 2008 !
A la question posée par un de nos journalistes à son Excellence l'Ambassadeur sur le secret de cette réussite pour le moins exceptionnelle, celui-ci répondit : «Cela tient à la qualité de la ressource humaine, à un bon leadership et à l'aide de la communauté internationale, au lendemain de la scission des deux Corées». Même s'il semble que ce modèle d'une société coréenne, largement influencée par la philosophie de Confucius ne soit pas transposable aux pays du Sud, il n'en demeure pas moins que c'est là, un exemple à méditer en tant que volonté d'une entité nationale qui a su compter sur ses propres forces, sans trop attendre des autres. A bien y réfléchir, l'expérience de ce pays qu'on gagnerait à fréquenter davantage, par rapport à ceux qui tentent de nous confiner dans un statut de « consommateurs potentiels» sans ambition autre que celle d'un marché protégé de la « zone euro», semble nous dire que dans un avenir proche, fortement marqué par des incertitudes de diverses natures, le devenir de notre nation devrait se mesurer en termes de savoir-faire, de créativité et de capacité managériale de notre ressource humaine et non en volume de nos réserves énergétiques au demeurant limitées ! Force est de constater que dans cette conjoncture difficile de l'ère de l'après-pétrole, notre pays reste insuffisamment préparé pour faire face aux défis d'un monde ouvert sur la compétitivité et la concurrence. C'est pourquoi il est à craindre qu'il ne soit confronté à des risques croissants de fractures qui affecteront durablement ses équilibres sociaux et territoriaux. Mais alors, faut-il pour autant verser dans un pessimisme béat en s'avouant vaincu d'avance, sans avoir au préalable livré bataille, pour l'existence de notre nation ! Bien au contraire, dans cet environnement contraignant, il nous faudra chercher plutôt à transformer nos faiblesses de l'heure, en forces de demain ! Cette option salvatrice, est celle d'un pays déterminé à agir dans le sens des intérêts de ses générations futures. Cela veut dire qu'il faille entreprendre une authentique refonte des systèmes de l'éducation, de la formation professionnelle et universitaire, de la recherche et du management des secteurs de notre économie. Cet impératif d'une mise à niveau à hauteur des exigences de la compétitivité internationale, suggère une plus large ouverture au monde extérieur et plus particulièrement à ceux qui sont à la pointe du progrès. C'est à travers la mobilisation de son gisement de compétences et la capitalisation des savoir-faire que notre pays pourra alors restaurer son image et inscrire sa marche dans l'évolution de son siècle. C'est là, tout un programme qui ne saurait cependant se réaliser sans la pratique de la bonne gouvernance, dont on ne pourrait faire l'économie, eu égard aux attentes en matière de lisibilité des actions des pouvoirs publics et de traçabilité de notre dynamique de développement dans des cheminements transparents et dans la conformité des principes d'un Etat de droit, proche des préoccupations et des aspirations de progrès de la société. C'est à cela que tient le challenge et c'est de cette manière qu'on saura alors en mesure d'envoyer des signaux forts en direction de nos partenaires. Cela est possible, pour peu qu'on se donne les moyens pour mieux mâturer nos projets, pour mieux gérer, pour mieux communiquer et pour établir les synergies nécessaires aux dynamiques sectorielles, à inscrire obligatoirement dans le cadre référentiel de notre politique nationale d'aménagement et de développement durable du territoire. Nous disposons à travers notre ressource humaine d'ici et d'ailleurs, de capacités scientifiques et techniques non négligeables, qui peuvent nous permettre de jouer à l'unisson cette «partition territoriale» et de devenir un jour, de par notre détermination, cette «autre Corée» de dimension arabe, maghrébine et africaine. Avec plus d'un million de cadres (horizon 2020) à travers différents pays européens, auxquels s'ajoutent ceux d'ici, ce défi est à notre portée. C'est là tout simplement une question de volonté, d'aptitude managériale et de distanciation par rapport à cette rente pétrolière, qui a tué notre vivacité, en faisant du vrai travail, un acte facultatif, de l'intégrité, une valeur passéiste et du non respect de la chose publique, un acte ostentatoire qui menace durablement la cohésion sociale. Pour peu qu'on veuille servir loyalement les intérêts de notre pays, sans arrière-pensée autre que celle du devoir et du travail bien accomplis, notre élite n'est pas pour autant démunie de talent et de créativité. Cette «communauté d'artistes» sait donner le meilleur d'elle-même, chaque fois que sollicitée, à l'exemple de ces footballeurs professionnels qui nous ont fait vivre des moments de gloire, tout en restaurant quelque peu notre dignité. C'est dans cette trame de valeurs, qui fait référence au professionnalisme, à l'esprit compétitif et à la recherche de l'excellence, que les pouvoirs publics devraient inscrire dans la durabilité, leurs actions multiformes. Cette ressource humaine pluridisciplinaire, totalement inscrite dans le «vice versa» entre les deux rives de la Méditerranée, autrement dit, dans un mode de « butinage du savoir» outre-mer, est la meilleure des garanties pour une prospérité à venir, pour peu qu'elle soit convenablement associée au processus de développement, dans ses différents segments. C'est dans cette mobilité féconde, qu'elle pourra alors exprimer son talent, dans toute la plénitude de ses capacités scientifiques, techniques et intellectuelles. Encore faut-il qu'elle puisse évoluer dans un environnement totalement imprégné de quiétude et de sérénité, loin des contingences, des blocages et des lourdeurs administratives. La considération de cette communauté du savoir est d'autant plus impérative, que notre société se doit de relever le défi du rendez-vous de ce 3ème millénaire, en améliorant sa productivité, à partir de l'assimilation des innovations technologiques, de leur adaptation à son contexte socioéconomique et culturel, de leur traduction en valeur ajoutée, au bénéfice d'un développement global et durable, source de richesses, d'équité et de cohésion sociale. Cette entreprise colossale, à inscrire dans une volonté nationale du compter sur soi, ne saurait être du seul ressort des Institutions de l'Etat. Elle fait appel à la fédération des initiatives de l'ensemble des composantes de la société et interpelle en tout premier lieu le citoyen qui doit être au centre de l'action et non à sa périphérie. La compétition, tout au moins, aux échelons maghrébin et méditerranéen à laquelle est et sera davantage confrontée notre pays, suggère la mise à niveau de nos centres du savoir et la formation des jeunes dans différents corps de métiers, dans la conformité des normes et standards internationaux, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Ce choix d'encadrement qualitatif, conjugué aux opportunités offertes par le tissu industriel relativement dense dont dispose l'Algérie, devrait permettre la création de pôles d'excellence « technopôles», véritables espaces d'intégration de la recherche au secteur de la production industrielle, dans les filières de l'électronique, des technologies de l'information et de la communication, de la pétrochimie, de la chimie industrielle, de l'informatique, de la mécanique de précision, du machinisme agricole, mais pas seulement. Ces technopôles peuvent également donner lieu à la création de pépinières d'entreprises de sous-traitance, au niveau des zones industrielles et de leur environnement immédiat. Ces pôles d'excellence sont indispensables à la mise à niveau de nos métropoles et grandes villes, qui doivent devenir de véritables foyers d'animation et de promotion de l'économie nationale. Ils doivent disposer pour cela, de tous les atouts de compétitivité et d'attractivité qui les prédisposeront à la création de nouvelles richesses pour la collectivité et à l'accueil des capitaux et investissements nationaux et étrangers. Convenablement dotés en réseaux de communication, en services de haut niveau et en ressources humaines qualifiées, ces pôles d'excellence seraient la meilleure traduction des ambitions légitimes de notre pays, à vouloir occuper la place qui lui revient, à l'échelle des espaces maghrébin, africain et méditerranéen et l'expression d'une volonté d'ouverture à l'universel. Il importe de dire qu'au titre de la maintenance et de l'attractivité territoriale, nul ne peut nier l'effort colossal entrepris par les pouvoirs publics au titre du maillage infrastructurel du territoire, à la faveur des programmes de relance économique (2001-2004) et de consolidation de la croissance (2005-2009). Comme, il est bien heureux de constater que la poursuite de cet effort est également envisagée, sur la période 2010-2014. Dans cette logique d'émergence d'espaces géoéconomiques pertinents, l'agriculture est un autre domaine des plus stratégique, où l'Algérie devra davantage assurer sa place et son rôle en tant que partenaire incontournable dans la division régionale du travail. Plus que pour tout autre secteur, c'est dans ce domaine sensible, qui conditionne notre sécurité alimentaire, qu'on doit déployer le plus d'efforts pour rattraper le retard que nous avons pris sur les autres et tout particulièrement sur nos voisins immédiats. Il faut faire remarquer que même si les questions liées au foncier agricole, à l'aridité du milieu, à la fertilité des sols, à l'irrigation, etc., y sont pour quelque chose dans les faibles performances agricoles, force est de constater que c'est surtout de savoir-faire dont a manqué le secteur agricole. La recherche est restée sans impact sur la maîtrise des process technologiques et des innovations, si nécessaires à notre agriculture. De surcroît, l'I.N.R.A. et les Instituts techniques de développement, fortement concentrés dans l'aire algéroise, sont restés totalement coupés de la réalité des espaces agricoles, qui vivotent au rythme du savoir-faire traditionnel forcément limité, d'une paysannerie vieillissante. Cette situation anachronique n'est certainement pas de nature à permettre la maîtrise des itinéraires techniques, la réalisation de gains de productivité et l'épanouissement du secteur agricole ! L'organisation administrative de la recherche agronomique, au demeurant strictement cloisonnée, est en total décalage avec les intérêts des terroirs, même si elle trouve symboliquement son prolongement dans des stations déconcentrées, mais faiblement encadrées et sans autonomie de fonctionnement ! Dans la configuration de l'agriculture de demain, cette recherche doit être repensée pour permettre au secteur agricole d'affirmer sa place et son rôle en tant que partenaire incontournable dans la division régionale et internationale du travail. Dans la perspective d'un ancrage effectif de notre agriculture dans la voie de la prospérité, les exploitations ou entreprises agricoles de demain doivent être au cœur des enjeux scientifiques, techniques, économiques et managériaux, ce qui pose avec pertinence, la question du redéploiement et la mise en réseau des institutions de recherche, sans distinction de tutelle. De même, l'intervention de l'Etat doit être plus intelligente et moins dirigiste. Elle doit laisser place à l'émergence de nouveaux espaces publics et/ou privés qui apportent une valeur ajoutée technique, un soutien managérial et une assistance juridique à la profession qui doit apprendre à défendre ses intérêts dans les nouveaux espaces émergents, sans tutelle administrative et encore moins idéologique ! Il s'agit, à travers la recherche d'une meilleure efficience organisationnelle, de créer autour de l'action proprement agricole, les solidarités capables de fiabiliser scientifiquement les options, d'assurer à la paysannerie, l'accès aux techniques modernes et d'appuyer le progrès rural par tous les accompagnements qui lui sont indispensables, en l'occurrence, le développement des infrastructures, des services et des unités agro-industrielles. Cette manière efficiente de concevoir le développement agricole et rural est celle de l'esprit agropôle, qui met en exergue les principes de solidarités et de complémentarités qui doivent unir les différents acteurs concernés pour un programme de développement rural intégré, autrement dit, la mobilisation organisée des efforts de tous, autour et dans le sens d'un même objectif. Dans un premier temps et à titre d'expérience pilote, il peut être envisagé la création d'un agropôle à partir des espaces agricoles des wilayas de Mascara, de Mostaganem, de Relizane, de Sidi Bel Abbès, d'Aïn Témouchent et de Tlemcen. Dans cet espace, ouvert à la coopération et au partenariat entre les collectivités territoriales et les partenaires économiques, il doit être recherché un renforcement de la dynamique agricole, la mise en exergue des attributs d'excellence et d'attractivité ainsi que la préservation, voire le renforcement des équilibres sociaux et territoriaux. Autour de Mascara ou de Sidi Bel Abbès, comme point focal, l'espace de l'agropôle s'articule autour : des périmètres hydro-agricoles de la Mina, de Sig, de Habra, des plaines de Ghriss, de Mekerra, de Mleta, de la basse et moyenne Tafna, de Hennaya-Aïn Youcef, de Maghnia, des plateaux de Mostaganem et de Sidi Abdelli, ainsi que des monts des Béni Chougrane, de Tessala, du Dahra, de Sebaa Chioukh, des Traras et de Tlemcen. Cet espace de coopération fait de conjugaison des efforts de tous les partenaires (Etat, collectivités territoriales, acteurs économiques publics et privés, organisations socioprofessionnelles?), est une manière de favoriser l'esprit d'entreprise et d'initiative et par conséquent, la création de nouvelles richesses génératrices d'emplois. L'initiation de ce projet régional, en tant que choix prioritaire est d'autant plus opportune, que les périmètres irrigués de la Mina, du Habra, de Sig et la plaine de H'Madna, offrent aujourd'hui l'image de désolation d'espaces agricoles fortement marqués par la salinisation des sols, la détérioration des équipements d'irrigation et la dépréciation du potentiel productif. Et pourtant ! Il n'y a pas si longtemps, ces périmètres étaient des espaces de prospérité et des centres d'exportation d'agrumes, d'artichaut et d'olive notamment, lorsqu'ils étaient « bichonnés» par la station expérimentale de « Ferme blanche», à Mohamadia. Pour la petite histoire, l'on devrait savoir que la notoriété de cette station a inspiré la création de celle de Californie, orientée sur les recherches en zones arides. La proximité de ces terres agricoles de l'autoroute Est-Ouest, dont l'ouverture a mis davantage en relief cette image d'un « espace en dérive» est un présage de mauvais augure. Ces sols non cultivés, qui se présentent en apparence, comme impropres à l'agriculture, peuvent en effet, attiser les convoitises et les appétits féroces de promoteurs immobiliers, en l'absence d'un dispositif de contrôle et en raison du laxisme que d'aucuns peuvent manifester, à l'égard de cette question du foncier agricole, dont dépend notre sécurité alimentaire. Dans la perspective d'une réhabilitation de ces espaces agricoles, le programme d'actions à initier devra s'inscrire dans le principe qui consiste à «réfléchir globalement» l'agropole et à « agir localement» au sein de chacune des entités wilaya dans la cohérence préétablie. C'est dans cette logique de complémentarités et de solidarités territoriales, que doit être recherché, le renforcement des atouts et potentiels de l'agropole dans sa totalité, le rétablissement des équilibres territoriaux dangereusement compromis et l'égalité des chances, dans la perspective d'un développement harmonieux et durable. Dans sa recherche d'une meilleure efficience, cette entité agricole, devrait regrouper des unités pilotes de productions, appuyées par des structures de recherche, de formation et d'animation, un réseau de pépinières, de champs pieds-mères, de vergers de comportement, un réseau de production de plants et semences, d'unités agroalimentaires, d'aires de stockage et de conditionnement des produits agricoles et d'une chaîne froid. Cet agropole demeure également conditionné dans sa faisabilité, par la mise en œuvre d'une ingénierie à hauteur d'une mise en valeur appropriée de ses différents espaces ruraux et d'une mise en exergue de ses avantages comparatifs. Il doit donner lieu, à la mise en place d'un réseau de surveillance quantitative et qualitative des ressources naturelles, à la réhabilitation des périmètres au plan de la fertilité et du drainage des sols, à la réfection et à l'extension des systèmes d'irrigation, à l'introduction de nouvelles techniques d'économie de l'eau et à la ré-utilisation des eaux usées traitées. A noter qu'avec le règlement de la question de l'alimentation en eau potable de la métropole oranaise, à partir du dessalement de l'eau de mer, l'on devrait pouvoir satisfaire correctement les besoins des périmètres irrigués, à partir des eaux conventionnelles des différents barrages de la région Ouest. Comme il convient également, d'entreprendre la promotion d'une authentique économie de montagne articulée autour de la pluriactivité, propice à l'émergence de centres ruraux à promouvoir et à la restructuration spatiale qui favorise la stabilisation des populations et réduit la pression sur les grandes agglomérations localisées pour la plupart en zones de plaines. L'émergence de cet agropole dont la finalité est la restauration et la mise en valeur d'espaces agricoles productifs, est en soi, une valeur ajoutée paysagère de l'autoroute dans sa partie Ouest. De même, la réalisation d'équipements d'excellence, l'émergence d'un système urbain de villes complémentaires dans leurs fonctions et leurs offres de services et de réseaux performants de transport et de communication, sont autant d'éléments qui favorisent l'attractivité territoriale, l'appel aux capitaux et l'implantation des entreprises, forgeant ainsi nos avantages comparatifs dans la compétition entre villes et régions des espaces Maghrébin et Méditerranéen. D'autres agropôles peuvent être envisagés au niveau des espaces des régions Centre et Est, au niveau des Hauts-Plateaux et des régions du Sud, particulièrement à l'échelle de l'espace Oued-Touil, Oued Ghir et des Zibans. Ces espaces agropoles, éléments dynamiques de mise en exergue des avantages comparatifs terroirs constituent sans aucun doute, la meilleure manière d'inscrire la dynamique de notre agriculture, dans la voie de l'innovation, du progrès et de la prospérité partagée, à l'échelle de nos diverses régions. Cette approche nouvelle s'inscrit dans le mode partenarial qui lie les différents acteurs d'un même espace, par des contrats programme. C'est de cette manière que sera favorisée la promotion du secteur agricole et l'épanouissement du monde rural, dans la perspective d'un meilleur équilibre entre villes et campagnes. * Professeur en Sciences agronomiques |
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