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Fln,
second round : qu'est-ce qu'un parti politique ? Selon l'histoire des idées,
c'est un groupe de pression, représentant d'une classe sociale distincte et qui
s'en va négocier les intérêts de cette classe dans le cadre d'un système
politique ou d'un consensus sur les intérêts de chacun, selon l'intérêt suprême
de tous. C'est vrai dans les livres mais pas en Algérie. Les partis en Algérie
sont de trois sortes : les agréés et les tolérés et les interdits. Dans une
sorte de curieux renversement des définitions de base, un parti politique chez
nous représente une tendance du Pouvoir et pas une tendance du Peuple.
D'ailleurs, le Peuple n'a pas de parti politique. Il a la rue, des trottoirs,
des salaires, des cafés de quartiers, des mosquées et l'habitude de ne pas
faire de politique et la colère et la langue. Le Pouvoir, quant à lui, c'est un
peuple à part : on y retrouve des classes dominantes, des classes en attente de
domination, des militaires, des retraités de l'ANP, des courants dans les
services, des relais entre les capitaux et les administrations, des grands
propriétaires fonciers ou d'entreprises.
Ces gens se rassemblent parfois, se disputent, se manipulent, utilisent nos journaux pour se tirer dans le dos, créent des slogans ou tombent tous d'accord et se choisissent un président qu'ils nous présentent à la fin des festivités comme notre époux légitime. De temps en temps l'un de nous, le Peuple, ayant marre de la faim et de la pauvreté ou de l'humilité et de l'insignifiance, traverse la rue en courant entre deux lampadaires et rejoint le Peuple du Pouvoir : à pied, en payant un droit de passage, avec corruption ou en appelant un lointain cousin ou en réunissant des signatures fausses. Le pied sur l'autre trottoir, celui qui était mortel comme nous devient obèse, important et dur avec les yeux. L'ascension politique, chez nous, se fait selon la méthode d'une fable ancienne : avec des haricots magiques plantés au sol et qui donnent un arbre immense qui va de chez vous à Alger, en haut du pays. Plus sérieusement, le Militant est un exercice qui est mal vu chez nous, du point de vue de l'hygiène ou de la prudence paysanne, et bien vu du point de vue de la ruse nationale. Le rapport entre la Plèbe, le Parti et les porteurs de capitaux est profondément trouble. Le peuple se méfie des militants, les moque tout en les subissant. Les chefs d'entreprises préfèrent mettre la main à la poche que de mettre le pied dans un congrès : l'adhésion directe n'a jamais été payante car elle suppose la visibilité dangereuse. Les élites, quant à elles, préfèrent se limiter à l'exercice de l'opposition systématique car il n'y a pas plus mal vu, par le peuple et par le Pouvoir, qu'un intellectuel qui est à la fois intellectuel, militant et membre d'un parti. C'est un cocktail qui frôle la définition du «Harki». En Algérie, même les intellectuels organiques n'existent plus, comme remarqué par un universitaire : le Pouvoir a des polices et pas des acteurs et des Oulémas qui le défendent, comme en Egypte. A la fin c'est un paradoxe : tout parti politique ne peut être que le parti politique d'une tendance au sein du Pouvoir. Car lorsqu'il veut incarner le peuple, le Parti finit dans le populisme ou l'islamisme en raz de marée. S'il veut parler au nom des idées, il aura le CV d'un démocrate menotté et impuissant devant les mouvements plébéiens de masse. Conclusion ? Dans les dictatures intermédiaires, le multipartisme est une exhibition de polygamie. Pas plus. |
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