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L'enseignement à l'ère de l'IA ou la nécessité de revoir nos méthodes d'enseignement

par Mohamed Mezghiche

La transmission du savoir dans l'enseignement peut s'apprécier à travers deux méthodes contradictoires qui coexistent dans le système éducatif.

La première, appelée ancienne méthode ou «scolastique», héritée du passé, consigne l'apprenant dans un rôle statique, d'assisté. Elle considère l'apprentissage comme une accumulation du savoir par l'érudition. La seconde, la méthode moderne, place l'apprenant dans un rôle dynamique et le pousse à se prendre en charge dans le processus d'acquisition. Elle considère que la transmission du savoir consiste, d'abord et avant tout, à donner à l'étudiant la faculté «d'apprendre à apprendre» et de développer le goût de l'auto-formation de façon perpétuelle. Comme conséquence de la première méthode et le système d'évaluation n'aidant pas ; l'étudiant, confronté à la grande «quantité» du savoir acquis par accumulation, recherche à développer des moyens pour la sélection du «savoir pertinent». Ceci se traduit, à ce que tous les enseignants ont observé chez leurs étudiants, par une préoccupation perpétuelle de l'étudiant à la quête du truc (Aafsa en arabe) nécessaire à une bonne évaluation à leurs yeux.

De surcroît, devant un problème donné, il cherchera dans sa mémoire la solution d'un problème analogue ou similaire limitant ainsi ses capacités de créativité et son aptitude à la recherche de nouvelles solutions. Ce qui est difficile à admettre c'est la généralisation de cette méthode d'apprentissage dans les classes officielles, les écoles privées mais surtout chez ceux qui prodiguent les « cours de soutien ». Méthode du moindre effort pour l'enseignant comme pour l'élève, mais ses conséquences sont dramatiques. D'une part, elle prive notre jeunesse du vrai savoir, du goût de l'effort et surtout les empêche de développer chez eux la rigueur scientifique et la capacité d'innover ; d'autre part, elle fausse le système d'évaluation pour l'accès aux études supérieures. Légitimement que l'on se demande ; ceux qui obtiennent d'excellentes notes au bac sont-ils vraiment bons ou seulement possèdent une bonne mémoire. L'expérience dans nos diverses universités donne un sens à ces interrogations.

La deuxième méthode met l'étudiant devant ses responsabilités. Elle enseigne que le vrai savoir est celui qui permet, par soi-même, de progresser, de savoir utiliser ses connaissances pour poser et résoudre les problèmes qui lui sont soumis et de faire la part entre ce qui est secondaire et ce qui est fondamental dans une situation donnée. L'enjeu des systèmes éducatifs modernes aujourd'hui est de pouvoir s'organiser pour donner à la transmission du savoir toute sa dimension dynamique et moderne. A l'ère du règne de la technologie, on attend de l'étudiant outre sa maîtrise du domaine auquel il s'est spécialisé plus de créativité. Il doit être capable de proposer des solutions innovantes aux problèmes qui lui seront posés dans sa vie professionnelle. De nos jours, les responsables des secteurs de l'enseignement supérieur semblent avoir compris cet enjeu. Ils encouragent les étudiants à orienter leurs projets de fin d'études « Master-start-up » vers des projets innovants débouchant sur la création de start-up. Ces consignes sont-elles suffisantes ? L'ampleur, la qualité et la compétitivité de ces start-up au niveau régional et international dépendra de la qualité de l'enseignement dispensé à l'université. Mais qu'entendons-nous par la qualité d'enseignement ?

Cette question nous amènera inéluctablement à soulever le problème de l'évaluation de l'étudiant. Force est de constater que le système par lequel les étudiants sont évalués (à quelques exceptions près) se base principalement à la restitution des connaissances accumulées. L'étudiant reproduit des schémas de solutions des exercices déjà vu en classe. Cette manière d'évaluer est le reflet de celle d'enseigner. L'IA générative (Chatgpt et autres) aura beaucoup plus de succès dans de telles évaluations que les étudiants. A tel point qu'aujourd'hui, le débat à l'université est comment faire pour contrecarrer l'utilisation de cette IA par les étudiants pour ne pas fausser le système d'évaluation. On peut estimer, sans se tromper de beaucoup, en prenant l'exemple de l'étudiant en informatique à l'université que 95% des modules dans le cursus de sa formation sont théoriques. Et souvent, le peu de modules nécessitant de la pratique font face à de multiples difficultés les empêchent de se réaliser. Sa formation aussi bonne soit-elle ne le servira pas beaucoup dans sa vie professionnelle. Il aura besoin d'un temps pour trouver sa voie. Un tel exemple de formation ne peut être qualifié de qualité dans le contexte d'aujourd'hui où les nouvelles technologies dominent la vie économique. La pratique est le seul critère de la vérité, disent les philosophes. Toutes les connaissances en sciences ont des modèles pratiques cohérents sinon elles ne seront pas retenues comme telles. On peut donc se permettre de dire qu'un bon enseignement de qualité, est celui qui permettra, à l'apprenant d'acquérir des capacités à appliquer, dans la pratique, ses connaissances. On évitera ici en prenant des précautions de ne pas généraliser pour se prémunir d'éventuels contradicteurs d'inclure les sciences abstraites comme les mathématiques ou la physique fondamentales. Bien qu'on observe même ces disciplines abstraites sont au cœur d'applications pratiques (en intelligence artificielle par exemple).

Nous ne parlerons pas ici des méthodes pédagogiques nouvelles, des différents supports numériques censés aider dans le processus d'acquisition des connaissances ni du comportement de l'enseignant, mais du contenu de la formation censé si les conditions de sa diffusion sont réunies, est à même de prodiguer un savoir et des connaissances utiles dans la vie pratique. Les cursus proposés doivent garantir un enseignement de compétences réelles. Un informaticien, par exemple, spécialisé en sécurité informatique doit être au fait de sa spécialité, être capable d'agir pour la résolution des problèmes liés à la sécurité des systèmes, mais pas seulement avoir réussi ses modules en ayant la moyenne dans le meilleur des cas. Cet objectif pour un enseignement de qualité s'inscrit dans la politique du ministère de tutelle donné à l'université le rôle de moteur dans l'économie du pays. La formation de qualité boostera un bon nombre d'étudiants capables et ayant acquis de réelles compétences de créer des start-up innovantes et compétitives car basées sur des connaissances et des technologies maitrisées. Cette vision passe par un remodelage des cursus en ayant l'idée d'équilibrer entre les modules théoriques et les modules de travaux pratiques. Les moyens matériels pour leur réalisation doivent aussi porter une grande attention de la part des gestionnaires. A titre d'exemple, un étudiant en informatique spécialisé en base de données, doit nécessairement pratiquer les connaissances acquises tout au long de son cursus, par des travaux pratiques réguliers en classe, des stages dans l'entreprise bien définis et encadrés. Et ce n'est pas une idée nouvelle si on se rappelle l'adage populaire « On devient forgeron en forgeant ». Ces questions de revoir les contenus des cursus pour hisser l'université vers plus d'excellence, partagés par beaucoup d'enseignants, méritent une prise en charge très rapidement. Si débat il y a, ce sera celui sur la mise en œuvre d'un enseignement de qualité. Les algorithmes LLM ont déjà pris une grande place dans le processus d'enseignement et d'évaluation et il est vain de pouvoir les contrecarrer si l'on ne revoit pas, de façon urgente, notre manière d'enseigner d'aujourd'hui.