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Dans le cadre du
«Réseau ville-santé», l'Organisation mondiale de la santé (OMS) organisait en
septembre 199l6, en son siège de Genève, un colloque international sur le thème
: la ville et son environnement sanitaire.
Jean-Pierre Deschamps, universitaire et spécialiste en pédiatrie sociale de l'université de Nancy, a eu en cette occasion, à animer une conférence sur la sauvegarde de la population juvénile, des risques induits par la ville. Il faisait précéder son intervention par la projection d'un diaporama ; celui-ci visualisait une simple plaque de transistors. Usant de métaphore, le conférencier trouvait de frappantes similitudes visuelles, entre cet inerte matériau électronique et l'habitat H.L.M qui s'est incrusté dans le paysage urbain. A ce titre, il n'était plus besoin de s'étonner ou même de se questionner, sur les déviances comportementales juvéniles. Ces ensembles immobiliers, au lieu d'être des lieux de partage communautaire, ont paradoxalement nourri l'instinct grégaire et confiné l'individu dans sa cage d'escalier, son palier et derrière sa porte. Ammi Ali, sexagénaire habitant la cité HLM de Diar Echems, (mystification euphémique lexicale) restitue la nudité sociale, non sans dignité, dans laquelle se trouve sa cité. On ne peut imaginer, les drames qui se conjuguent au pluriel, derrière les murs d' «une plaque de transistors» où tous les composants sont liés, même, dans leur intimité propre. Une autre dame avoue, qu'elle est obligée de faire évacuer ses fils quand, ses filles doivent se changer. Le cas de cette jeune fille, emportée à la fleur de l'âge par une cardiopathie et dont le frère disait, qu'elle serait morte sans connaître une vraie salle de bain, est des plus saisissants. On évolue, on respire et comble de la déchéance, on copule dans un espace plus petit qu'un living ordinaire. Il faut vraiment s'en accommoder comme l'a fait Ammi Ali, sa vie durant. Il ne parle pas de sa propre misère sexuelle qu'il vit dit-il, depuis vingt ans, mais de celle des jeunes couples qui pour se retrouver, s'ingénient à travers d'incongrus expédients, à satisfaire les devoirs de la relation conjugale. Il se dit honteux à son âge, d'avoir à lapider la Police?mais il n'en démord pas. Habitués au «black out» événementiel de notre télévision nationale, nous sommes contraints, à travers des lucarnes télévisuelles étrangères, à faire dans le voyeurisme qui dégage une sensation de mal être presque coupable. Et là, ce n'est plus le Pouvoir, seul, qui est mis en cause, mais toute la composante nationale. Se peut-il que cela se passe chez nous ? Lancinante question qui ne trouvera nulle réponse, l'image est tellement forte et le commentaire tellement caustique. On reconnaît tout de même que «la favela», où se déroule la fronde, est une relique coloniale. Et c'est justement dans une des éditions d'un de ces journaux télévisés, que nous découvrons, non sans émotion, ce jeune qui a dépassé largement la trentaine présentant son antre, à l'objectif de la caméra dénudeuse de misères humaines. Le taudis qui lui tient lieu de résidence, enfoui en entresol, est composé de deux pièces ou plutôt de deux compartiments exigus toilettes comprises. L'endroit suintait l'insalubrité. Il criait son dépit face à la caméra : «Et même si je trouvais une compagne pour la vie, qu'elle est la femme qui accepterait de vivre ici ? Je vous le demande? Je gagne 5300 DA par mois dans une entreprise de nettoiement?mais, il vaut mieux çà que ce qui est prohibé par la loi !...Nous recommencerons pour faire entendre notre voix?quitte à aller en prison ou même mourir.». Ce coup de gueule n'est point surfait, il ne peut être que déterminé comme celui d'un desespérado. Après plusieurs générations qui se sont succédées, depuis le recouvrement de la souveraineté nationale, que fallait-il attendre de ces incubateurs de la rancœur et par extension de la colère. Les bidonvilles de Diar-Echems, Diar El Kef, ne sont pas de génération spontanée, mais les excroissances démographiques de ces ensembles immobiliers faits, dans des conditions exceptionnelles que tout le monde connaît : L'insurrection armée anticoloniale. La force d'occupation de l'époque, proposait dès l'automne 1958, «La paix des braves» aux combattants et un plan de développement économique et social appelé «Plan de Constantine» à la population. Ce plan quinquennal (1959-63), élaboré dans la précipitation, parait au plus urgent ; notamment l'amélioration un tant soi peu, des conditions de vie de l'habitat indigène. Et c'est en droite ligne avec le sinistre code de l'indigénat, que l'on croyait offrir aux autochtones de meilleures conditions d'habitat, en réalisant à leur intention des clapiers comportant : électricité, eau courante et «tout à l'égout». On fermait cyniquement les yeux sur la taille de la famille, dite Franco musulmane. Cette dénomination émancipatrice, selon ses concepteurs, n'induisait pas moins tacitement, la ghettoïsation mentale de cette population. C'était la cerise sur le gâteau de la ségrégation raciale. Les bouleversements induits par le nouveau mode de cohabitation, étaient incommensurables pour cette société d'extraction rurale et clanique. Habituée à l'ostracisme spatial, faisant du «Nif» son credo, elle se retrouvait nez à nez avec la promiscuité. Il était évident que les promoteurs du projet, offraient le Pérou, à cette multitude de damnés. Placée juste à la lisière de Diar - Saada, résidence huppée des Européens, la cité de Diar-Echems, faisait déjà figure de "village nègre".Ce statut réducteur pour des raisons historiques, fit que beaucoup de ses résidents déclinaient plutôt El Madania ou Diar-Saada comme lieu de résidence. C'est dire, la tare que peuvent traîner derrière elles, des générations de laissés pour compte. Si, pour les ascendants, cette condition sociale induite par le fait colonial pouvait être supportable, il n'en est nullement question pour la jeune descendance. L'Etat social dont ils en ont entendu parler, ou dont ils ont eu à connaitre dans leurs études, ne peut se dérober à ses obligations solennelles déclarées dans toutes ses chartes de politique générale. Ces jeunes et moins jeunes, c'est d'ailleurs l'une des rares fois, où des mères de famille participent à l'émeute, ne veulent plus se laisser conter, par ceux qui continuent à ignorer leur sort. L'avenue des frères Bouaddou, appelée autrefois «Ravin de la femme sauvage», qui se déroule à leurs pieds, regorge d'institutions ruisselantes de chrome et de buildings insolents. Ils considèrent qu'ils se sont tus par retenue lorsqu'on a érigé Rhiad El Feth, à un jet de pierre de leurs gîtes ; le consensus d'alors participant, de la symbolique du Sanctuaire du martyr. Basta ! Disent-ils maintenant. Il existait des ghettos similaires à Diar Chems de part le pays, mais des autorités locales bien inspirées les ont éradiqués. C'est à la pelleteuse que les cités «Grosjean» de Médèa et de Sour El Ghozlane ont été supprimées du paysage urbain. Les terrains récupérés de ces chancres aujourd'hui disparus, ont été avantageusement utilisés pour de la promotion immobilière. Semés, tel un champ de mines à travers une zone de combat, ces groupements immobiliers, hauts lieux de la précarité sociale, n'en constituent pas moins des niches d'explosion sociale épisodique. Ils auraient du faire l'objet d'un traitement éradicateur ou de désaffectation partielle, pour offrir aux restes des résidents plus d'espace. En tout état de cause, leur substitution ne peut se faire au cas par cas, mais par des opérations d'extirpation par la racine. Il s'agira dans le registre, d'une œuvre de Salut public. Le récent Recensement général de la population et de l'habitat (RGPH), n'a-t-il pas identifié plus d'un million (1.000.000) de logements vides ? La trop longue résignation de ces mal lotis ne trouverait elle pas son explication probable, dans cette cruelle sentence de Marcel Aymé ?: «L'injustice sociale est une évidence si familière, elle est d'une constitution si robuste, qu'elle paraît facilement naturelle à ceux mêmes qui en sont victimes.». |
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