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Il s'est soudain
évanoui le rêve de l'instituteur. La disposition suspensive du crédit à l'achat
de véhicule de la LFC de l'année 2009 l'a jeté au bas du lit. Lui qui espérait
changer de statut social pour moins de 500.000 DA de sacrifices au long cours.
Encouragé par son collègue et voisin de palier, il rêve depuis lors de sa petite voiture indienne ou coréenne, peu importe d'ailleurs la marque. Il a suivi toutes les péripéties d'acquisition de son collègue qui, étape par étape, lui faisait découvrir le monde étrange des concessionnaires et de la facture proforma, des comptoirs bancaires et de l'engagement notarié, celui enfin des assurances automobiles et de leur police « tout risques ». Il se rappelle du jour où il a accompagné Ammar son voisin, c'était un lundi après midi, pour aller prendre possession de l'objet du rêve. Habillé de son plus beau costume de circonstance, flanqué de ses trois enfants, Ammar le prit avec lui à bord un taxi clandestin, appelé communément « fraude », pour être déposés quelque part au Caroubier en aller simple. Sur les lieux, parés tout de verre, le plancher requinquant de brillance, ils étaient un peu intimidés par l'atmosphère feutrée et la gentillesse chuchotante des hôtesses. Pour la première fois probablement de leur vie, ils s'entendaient dire : « Donnez vous la peine, Messieurs, de vous asseoir ». Eux qui avaient pour habitude d'êtres interpellés par leur prénom par le concierge de l'école ou la secrétaire du dirlo, étaient confondus par l'inattendue déférence. Les enfants qui caquetaient toute à l'heure dans la guimbarde du clandestin, se tenaient maintenant cois. Ils faisaient des yeux ronds sur les rutilances ambiantes. Après les avoir installés, l'hôtesse se saisit de toute la paperasse que Ammar remettait d'une main perceptiblement tremblotante ; ces lèvres asséchées par l'émotion évidente, émirent un « merci » éteint. Après une vingtaine de minutes d'attente, l'hôtesse revint avec une pochette qui contenait une carte jaune, la carte de circulation provisoire et les documents afférents au véhicule en sollicitant une ultime signature. Elle les priait après quoi, de bien vouloir la suivre. Traversant tout le show room où des véhicules neufs de toutes les couleurs étaient alignés en ordre, ils débouchèrent sur une cour qui donnait sur la façade arrière de l'imposant bâtiment. De couleur bleu-roi, elle était là, moteur en marche, elle ronronnait. Petite et compacte, elle offrait difficilement les cinq places assises comme indiquées sur la carte grise. Intimidés dans un premier temps, les enfants ont du attendre que leur père fasse le premier pas. Ammar, sous la conduite de l'hôtesse, suivait les recommandations sur le moteur et le contenu de la malle arrière. Après s'être assuré de la conformité du produit, l'heureux acquéreur prit enfin le volant. Les enfants s'engouffrèrent dans un froissement de polystyrène qui faisait office de housse. Au premier rapport, Ammar emballa rageusement le moteur pour caler lamentablement. Avec un regard fugitif vers l'hôtesse qui souriait complaisamment, après un démarrage hésitant, le conducteur réussit à quitter les lieux. En dépit de la clémence du temps, son front suintait de sueur ; ce n'est en fait que l'émoi. Les enfants, hors de portée de personnes étrangères, s'en donnaient à cœur joie. Le père l'air encore préoccupé, regardait et la route et le tableau de bord, il roulait à l'extrême droite de la chaussée. Agrippé fermement au volant, il partait d'une confidence à l'adresse de son collègue : « Tu sais, dit-il avec un léger trémolo, çà fait un bail que je n'ai pas conduit... depuis que j'ai vendu ma 304 en 90... c'était pour l'avance du logement CNEP ». Son passager qui pouvait à loisir promener son regard sur l'intérieur, fermait momentanément les yeux pour rêvasser. Il se surprenait à écarter les narines pour mieux humer l'odeur picotante du simili cuir. Il se promettait de faire aussi vite que Ammar pour enfin posséder, l'objet de toutes les convoitises. La circulation dense du moment prolongeait le parcours, Ammar maintenant dans la peau de l'automobiliste roublard se mettait déjà à s'impatienter et à gesticuler. Hésitant encore, il ne manquera pas de prendre du poil de la bête comme tous ses congénères au volant. Détendu pour avoir pris de l'assurance, il fait de temps à autre des pointes de vitesse. Se découvrant subitement une âme de vendeur d'automobile, il dit à son passager : « Elles sont petites ces asiatiques mais, elles sont nerveuses... d'ailleurs tous leurs moteurs sont japonais. Ils ne fabriquent que la carrosserie. Donc, pas de souci pour la pièce. D'ailleurs c'est ce qu'il faut pour la ville...la consommation est trois fois rien... elles passent partout et sont faciles à garer ». A proximité de son domicile, Ammar est soudain pris d'une excitation toute particulière, il saluait nerveusement les uns après les autres les voisins qu'il rencontrait sur son chemin. Un long coup de klaxon prévenait sa femme de leur arrivée au bas de l'immeuble. Samira, la moitié du corps hors du balcon au premier étage, exultait de joie en voyant arriver son « bijou » ; disparaissant à la vue, elle pousse un you you époumonant d'allégresse. Le brouhaha qui s'ensuivit était indescriptible, de qui congratulait de qui disait « mabrouk ». Ammar semblait être le héros du jour. Dans son voisinage immédiat, il changeait dès l'instant de statut, il quitte le monde des piétons. Sa femme qui, entre-temps, est descendue pour admirer la voiture, s'affaire à enduire une des jantes de henné et vaporiser au parfum l'habitacle. Ancestral rituel de « Baraka » prévenant le mauvais sort dit-on. Le lendemain c'est la deuxième cérémonie inaugurale à l'école. Ammar qui peinait souvent pour être à l'heure, se présentait ce jour là à son établissement à 7h50 juste le temps pour faire admirer son véhicule et recevoir les félicitations de ses collègues de travail. Reconnu et poursuivi par une nuée d'élèves, il souriait à la cantonade. Rezki le concierge qui d'habitude était de nature revêche sinon goguenarde, tendait la main d'un air amène et servait à Ammar du « Si » pour la première fois. Ce dernier interloqué par le ton révérencieux du quidam se posait bien des questions sur ce subit revirement. Se peut il que les apparats matériels aillent aussi loin dans la considération humaine ? Certains parmi ses élèves qui se faisaient déposer par une voiture, et ceux qui le voyaient se démener auparavant, pour trouver une place dans brinquebalant fourgon de transport, adoptèrent à son égard une attitude plus réservée. L'humiliation quotidienne était imparablement au rendez-vous. Son collègue malchanceux qui venait tout juste d'amasser le montant de l'apport personnel est aux abois. La rumeur têtue et persistance de la suspension du crédit pour l'achat de véhicule tombait, tel un couperet, en pleines vacances scolaires. Pendant cette période, il est difficile de bien s'informer dans le circuit traditionnel de l'école. Il ne lui restait que les journaux ; c'est ainsi que ces rêves s'évaporèrent à travers la lecture enfiévrée d'un article publié par la presse arabophone. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, il gardait quand même l'espoir que cela pouvait être un canular journalistique. A l'effet d'en avoir le coeur net, il résolut de s'adresser à un parent proche, agent administratif communal. Celui-ci lui remis une copie du journal officiel n° 44 du dimanche 4 Chaâbane 1430 correspondant au 26 juillet 2009. Notre maître d'école tenait probablement pour la première fois de sa vie, un document officiel élaboré par la « Houkouma ». Il lisait et relisait le contenu de l'article 75 de l'ordonnance n°09-01 du 29 Radjab 1430 correspondant au 22 juillet 2009 portant Loi de finances complémentaire 2009. L'injonction instruisait les banques de n'accorder aux particuliers que le crédit immobilier. Lui, malheureusement, ne pouvait être que particulier dans sa détresse. Il a tellement construit de choses autour de son rêve. A l'inverse de Si Ammar, il continuera son chemin de croix tout comme les jeunes cadres (medecins, ingénieurs et autres). Avec amertume, il ne se considère plus de prime jeunesse, ses cheveux ont déjà bien blanchis. Astreint par son métier à la ponctualité et l'assiduité, il échafaudait l'espoir que le transport urbain indécent et irrégulier qu'il emprunte tous les jours que Dieu fait, sera rangé dans le registre des mauvais souvenirs. Notre malchanceux instit se faisant une raison, se surprit à méditer cette sentence d'Edgar Faure :»Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent!».'Et c'est peut être là, toute la philosophie. |
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