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Au Moyen-Age de l'Occident, les Algériens auraient sûrement
terrifié les géographes chrétiens de cette époque et les moines dessinateurs
des frontières et des monstres marins et des bestiaires de l'apocalypse. Les
Algériens sont, en effet, un peuple qui a trois dos. On ne le remarque pas
soi-même car physiologiquement il est impossible de voir son propre dos sauf
mort, mais les étrangers et les exilés internes le remarquent assez vite: les
Algériens ont trois dos qu'ils tournent à trois interlocuteurs différents.
L'Afrique, l'Occident et eux-mêmes.
Que les Algériens tournent le dos à l'Afrique réelle, nous l'avons tous bien illustré lors du dernier Panaf: nous étions sur un continent (gris, brun et très spongieux avec des yeux terribles à l'affût de la moindre nudité interdite) et nos invités venaient d'un autre. Conclusion générale: il ne reste quasiment plus rien de l'africanité de l'Algérie, de sa négritude et de son prestige africain. Nous regardons les subsahariens avec le regard d'un fusil à lunette ou celui des gardes frontières US aux frontières mexicaines. La xénophobie de l'Algérien, et tous le remarquent, a glissé vers une sorte de racisme insonore qu'il n'est pas aisé de s'avouer. L'Afrique est pour nous un exotisme, une source d'immigrés clandestins, l'image du sous-développement. Vous l'avez compris, il s'agit d'une greffe oculaire du regard de l'Occident. Avec en sus cette vanité de juger le supposé paganisme ou animisme des autres sur l'échelle de notre foi dite universelle et dernière. Les Algériens tournent aussi le dos à l'Occident mais d'une manière tellement tordue qu'elle leur fait mal au dos: ils veulent y aller mais sans y changer les clauses de leur contrat social lorsqu'ils y débarquent. S'ils n'y vont pas, soient ils continuent de regarder en mangeant avec les yeux, soit ils se laissent pousser la barbe et tournent le dos à tout le monde en demandant une carte de séjour dans l'au-delà. Les Algériens sont parmi les rares peuples à condamner la décadence de l'Occident en voulant y aller et y rester en voulant lui faire changer de moeurs pour qu'ils ne se sentent pas gênés par la nudité ou l'hédonisme dont ils ne connaissent pas le concept souvent. Les Algériens veulent parler arabe et pas algérien, ne veulent pas des étrangers chez eux mais veulent d'eux-mêmes ailleurs, dénoncent l'invasion culturelle mais ont tous des paraboles, subissent à la fois l'islamisme et les courants marins favorables aux chaloupes, la fatwa et la fitna et le fast-food. Les Algériens tournent enfin le dos à eux-mêmes: ils ne s'aiment et tous le savent. Ils parlent une langue qui n'est pas la leur, s'appellent « Abou quelque chose » à la place de « Bou quelque chose » pour faire plus hidjaziens, sont susceptibles mais n'aiment pas relire leur histoire, ont fait la guerre mais n'arrivent pas à faire la paix, sont constamment en colère, choisissent leur modèle au Moyen-Orient ou en Bavière, par TV et satellites, plutôt que chez eux, dans leur propre mémoire. Tout le monde le dit d'ailleurs: ce pays est beau, il a été capable de nourrir les Romains et la métropole coloniale, pourquoi ne le fera-t-il pas pour les siens ? D'ailleurs le pays est tellement beau que tout le monde y veut son lot de terrain et le plus grand possible. Pourquoi donc tout le monde le dit et personne ne le voit ? Justement parce qu'on tourne le troisième dos de notre nationalité à cette terre. Vous pouvez tous en faire l'expérience: regardez attentivement le dos d'un Algérien qui vous tourne le dos: cette surface a plus de traits et d'expressions que le Visage. Selon le dos qui vous tourne le dos, vous pouvez savoir s'il est un cadre, un écrasé, un faux pauvre, un président, un intellectuel qui promène en laisse un coucher de soleil, un méchant ou un homme divorcé. Il suffit de voir si le dos est large, courbé, affaissé, mal habillé, tordu, souffrant, penché, etc. Nous sommes tous dos à dos, mais dans le sens du refus et pas celui de la technique de protection. Avec trois dos, un être vivant n'a plus d'une seule face, tournée absolument vers l'intérieur. On comprend donc que cet être malheureux se voit partout et ne peut se fuir nulle part et que cela l'étouffe. |
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