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On en n'a jamais vu autant depuis le tournage d'Errissala ou
le premier jour des Abassides : des milliers et des milliers. Et sur tout le
registre de la sainteté ou de la névrose : des hystériques, des rancuniers, des
sereins, des démodés, des jeunes retournés par l'au-delà, des rêveurs, des
fourbes commerçant de la langue... etc. La nouvelle vague des prêcheurs
cathodique, des Da'îa, est un raz de marée médiatique dans le monde arabe. Il suffit
d'appuyer sur un bouton pour voir débarquer dans son propre foyer un
distributeur de fatwa à la marchandise incontrôlable. L'Algérie étant un pays
importateur de tout, on y importe aussi les fatwas et les courants forts
religieux comme tout le monde le sait. Dans le tas, même notre GSPC est une
filiale de sous-traitance de la Qaïda, mais passons.
L'essentiel est ailleurs en effet. Peuplades à la religiosité en mode ascendante et sans élites de filtrage, les Algériens se retrouvent être consommateurs de tout : des courants religieux non «nationaux» et jusqu'aux avis religieux risibles, chants religieux égyptiens, maladies de psychés inquiètes et fascismes qui déblatèrent sur n'importe quoi à partir de frustrations intimes. L'effet est assez bizarre à la fin : par le satellite, on assiste à la naissance d'une nouvelle orthodoxie de nivellement confessionnel et du corpus religieux en règle générale. Sunnites, chiites ou autres se mêlent dans un nouveau discours en boucle pour mieux convertir les sociétés. Et si, à une certaine époque, on «servait» le discours de prêche dans les règles de la prudence quant aux sources des hadiths et traditions, aujourd'hui, la concurrence pousse à la surenchère : on y est au stade de la course au hadith même le plus douteux dans un corpus en attente d'une véritable révolution d'analyse hypercritique. Et dans le tas, on peut y décoder autant l'appel politique que des absurdités sur la sexualité des femmes, le langage des fourmis ou le portrait de plus en plus sublimé du Prophète et de son époque. Le tableau clinique d'une vraie pathologie d'époque est à lire sur le visage de certains prêcheurs et on s'y surprend à se demander comment ces peuplades vont marcher un jour sur la lune s'ils continuent à se diffuser des images de méduses avec des fonds de musique new-âge et des calligraphies de versets pour se doper la foi et l'émotion ? L'esthétique de la nouvelle orthodoxie cathodique est une discipline en soi. On y retrouve le kitsch, le ridicule, le violent, le rétrograde et l'absurde présenté au nom de «Abou Horeïra a entendu le Prophète dire que...». On y écoute ce genre de discours de bonne parole où l'on explique aux Arabes, pendant qu'ils se font coloniser par les colons et les ordures ménagères, que le Professeur Lawrence Ben Lawrence a été ébahi par la justesse du verset X, prouvant que les fourmis parlent trois langues. «La fourmi était intelligente ?», interroge le petit barbu en extase devant «une imminence» locale sur la chaîne Y. «Oui, si on relit ce qu'elle a dit. Même un enseignant de langues aujourd'hui ne parlerait pas avec autant d'éloquence. Elle maîtrise dix figures de style !», explique avec emphase le Cheikh en cravate. «- Ô merveilleuse fourmi !!!!!», s'extasie l'animateur presque au bord des larmes au-dessus d'un barbichette talk-show. «Ceci est un défi pour les matérialistes qui ne croient pas à l'au-delà. Que peuvent dire les incroyants ?»...etc. Et c'est chaque jour, chaque heure, depuis des siècles. Autrefois, de bouche à oreille et, aujourd'hui, par satellite. Par où la fuite ? |
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