Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Sidi-Bel-Abbès Clôture du festival de raï : les leçons d'une manifestation

par Ziad Salah

Dans la nuit de samedi à dimanche, le festival du raï de Sidi-Bel-Abbès a vécu sa dernière soirée. Les organisateurs ont fait appel à des noms consacrés de ce genre de chanson pour conférer à la manifestation un statut d'événement. Zahouania, Billal et Djillali Amarna sont venus allonger la liste des stars raï ayant défilé sur la scène érigée au stade du 24 Février qui a abrité cette manifestation.

 Auparavant, Faudel, Raïna Raï et surtout cheb Abdou ont marqué leur passage sur cette scène et devant un public de plus en plus jeune. Notons qu'il a fallu attendre la troisième soirée pour que l'actuel commissariat du festival se démène pour ramener Abdou et insuffler un peu d'entrain à une manifestation qualifiée par un confrère de piètre remake d'Alhan oua Chabab. Mieux, le commissaire a été convoqué et sermonné par le wali de Sidi-Bel-Abbès, relevant les critiques et surtout le peu d'engouement du public à qui on voulait apporter une petite note de joie et de divertissement. Ce qui relève d'une conception infantile de la chose culturelle et artistique, inscrite elle aussi dans une démarche de négociation de la paix sociale. Les dernières déclarations de la ministre de la Culture sont édifiantes dans ce sens.

 Revenons à Cheb Abdou, dont le court passage constitue un tournant de ce festival. Il a reçu pour sa prestation de moins d'une heure la modique somme de 70 millions de centimes. Incontestable preuve de la panique des organisateurs, cumulant échec sur échec. Rien n'interdit de supposer que Zahouania, Faudel et Billal ont exigé le même cachet, sinon davantage. Pour la petite histoire, rappelons que Zahouania, lors de la dernière édition du Festival d'Oran en 2007, a obtenu 50 millions de centimes, mais sur injonction personnelle de la ministre de la Culture, Khalida Toumi. Les organisateurs oranais, bien incrustés dans le monde de la chanson raï, pouvaient se passer de la voix de Zahouania pour satisfaire la demande d'un public autrement plus important et plus exigeant que celui du stade du 24 Février dans la ville de la Mekerra.

 En dehors de sa totale désorganisation, que retenir de cette manifestation ? En premier lieu, la confusion à propos de son appellation. Certains se plaisent à la nommer dix-neuvième édition et d'autres de la seconde édition.

 Le festival a été transféré d'Oran vers Sidi-Bel-Abbès en 2008. Les raisons de ce déplacement restent encore à élucider. On l'incombe à un coup de colère de la ministre à l'endroit de certains membres du commissariat oranais du festival. D'autres, au contraire, soulignent que ce sont des membres de ce commissariat qui ont émis le voeu de domicilier le festival ailleurs qu'à Oran. Mais cette installation, provisoire ou définitive à Sidi-Bel-Abbès, a déjà ressuscité une revendication vieille de plus de deux décennies : comme le déclare une chanson du groupe Raïna Raï, ce genre musical serait originaire de cette région. On en est encore là à l'ère de la mondialisation des échanges culturels et du téléchargement via Internet de n'importe quel opus produit dans n'importe quel point reculé du globe.

 Ce type de revendication est symptomatique d'un appauvrissement culturel, ne manquera pas de noter un sociologue. D'une manière plus prosaïque, cette revendication resurgit au moment même où le festival d'Oujda, distante de moins de 200 km, commence à asseoir une audience internationale et du même coup à drainer les cohortes de touristes. Parce qu'au Maroc, où chaque petite ville se dote d'un festival, ce genre de manifestation est inscrit dans une stratégie économique. Donc, l'échec de la manifestation de Sidi-Bel-Abbès ne manquera sans doute de donner un coup de stimulus aux promoteurs du raï de l'autre côté de la frontière, déjà fermement décidés à s'adjuger une part de la manne financière que génère ce produit artistique.

 Dans le même ordre d'idée, des présidents d'associations, des organisateurs de spectacles marseillais séjournent actuellement à Oran et exercent des pressions (par des offres alléchantes) sur Nasreddine Touil pour l'amener à implanter un festival de raï dans le sud de la France. Jusqu'en 2008, le nom de Nasro allait de pair avec celui d'Oran. On lui doit, sans conteste, la paternité de cette manifestation, notamment au moment où le simple fait de pointer son nez dehors le soir s'apparentait à un acte de bravoure contre les hordes terroristes.

 Selon des avis convergents, il est urgent de retirer l'organisation de ce festival à des amateurs se découvrant subitement des qualités de managers et la remettre à des professionnels connaissant le monde du raï, qui n'étalera jamais ses ultimes secrets au premier curieux. La question de domiciliation reste secondaire. Mais il est grand temps d'intégrer ce festival dans une autre démarche en associant d'autres acteurs, notamment économiques. Sinon, dans quelques années, les Oranais et les habitants de l'Ouest vont devoir se déplacer à Oujda ou à Marseille pour pouvoir approcher les vedettes de ce genre musical.

 Quant à la dernière édition de Sidi-Bel-Abbès, elle n'a marqué aucune émergence d'un nom nouveau. Ce sont ceux qui ont fait leur classe dans le festival d'Oran, vieux de presque un quart de siècle, avant de s'imposer à l'étranger, qui tiennent la dragée haute aux chebs et chebbates encore en quête de célébrité...