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L'Ecole algérienne: Rapport préliminaire sur l'école (1ère parie)

par Ramdane Kheir-Eddine*

Résumé Un matin étant saturé et énervé par ce système éducatif, je dis à l'instituteur qui a enseigné mon fils l'année passée : « pouvez-vous démarrer votre voiture en 2eme, 3eme ...vitesses sans risque ? », Il me répond : « non pas possible car vous risquez de bruler la boite à vitesse et détruire votre véhicule ».

Je lui réponds : alors ce que je veux dire c'est que la boite à vitesse correspond à notre éducation nationale et le véhicule à notre société.

Je trouve que ce système éducatif tel qu'il est, représente une torture pour les enfants algériens.

L'échec de l'école Algérienne est une réalité et nul ne peut le nier. L'Etat n'a pas lésiné sur les moyens de tout genre, mais n'a pas agi pour connaitre leurs destinations et leur qualité. Il doit donc assumer sa responsabilité et reconnaitre ses erreurs.

Introduction

Dans un monde où les économies, les industries, et les technologies évoluent de plus en plus vite, sont de plus en plus globales, tous les pays (industrialisés ou en voie de développement) sont amenés à compter d'avantage sur leurs capacités technologiques pour la prospérité économique, la création d'emplois, et la stabilité sociale.

Dans ce contexte, l'éducation nationale et l'université sont des parties intégrantes de la société. Elles sont le centre de ses besoins et aspirations, tant dans le contrôle que l'influence de ses tendances. Elles devraient répondre aux besoins de développement social et économique et joueraient un rôle important dans la construction de l'avenir de la nation.

Les défis à relever en Algérie sont nombreux et particulièrement aigus et profonds. Il est important de nourrir et structurer une réflexion nationale sur les orientations les plus prometteuses et créatives afin d'apporter une nouvelle approche de l'éducation dans notre pays en formulant un ensemble d'objectifs dans l'immédiat, à court-, moyen- et long-termes tout en impliquant tous les acteurs de près ou de loin.

Discussion : Etat Actuel de l'Ecole

Une Université ne peut être très forte et productrice que si elle est : d'abord, bien organisée, ensuite, alimentée par une école forte et bien organisée, s'appuyant sur des normes d'éducation universelles.

L'école Algérienne est plus que sinistrée, elle a été démembrée et totalement déstructurée. Le problème de notre école (car elle appartient à nous tous) est profond dont le redressement demande rigueur, temps, sacrifices, beaucoup de moyens à exploiter de manière optimale, ainsi que la complicité (bonne et sincère) de tout un; chacun, quelque soit son rang, son savoir et ses propres compétences.

Permettez-moi, Monsieur le Ministre de vous faire part, à travers ce document préliminaire, mes propres constats sur l'école nationale, sans pour autant abuser de votre précieux temps précieusement consacré au service de la nation.

Après avoir suivi mon enfant pendant deux années scolaires à l'école primaire, et une année préparatoire dans une autre école privée, j'ai constaté qu'il existe d'énormes anomalies dans le cursus scolaire, engendrant ainsi le mauvais déroulement de l'enseignement et les conséquences qui en résultent :

1- Premier constat : le concept ; donc le nombre d'années de l'école primaire qui est passé de 6 ans à 5 ans est faux. Il ne peut convenir à nos enfants, ni à notre société de par sa spécificité et ses particularités. Cette restriction temporelle provoque beaucoup de pression sur les enfants scolarisés durant tout leur cursus scolaire.

2- Deuxième constat : L'idée de copier le modèle Canadien est fausse. Ce modèle ne peut s'adapter aux enfants dont la scolarité est entamée dès l'âge de 5 ans pour le préscolaire et 6 ans pour la 1ere année primaire, et cela pour différentes raisons :

- Au Canada, les enfants commencent à apprendre très tôt, dès la maternelle, à partir de 2 à 3 ans. Par contre ils ne sont scolarisés qu'à partir de l'âge de 6 ou 7 ans.

- Au Canada, les enfants parlent parfaitement la langue (le français ou l'anglais selon la région Canadienne). Les enfants en Algérie ne parlent pas la langue arabe enseignée à l'école. Ils parlent l'algérien (soit aamiya, kabyle, français...), ceci est un handicape qui soumet l'enfant à la perte de ses repères.

- Le programme scolaire Canadien est conçu pour des classes dont le nombre l'élèves ne dépasse pas la vingtaine. En Algérie, le nombre d'élèves par classe atteint facilement la trentaine et dépasse parfois la quarantaine.

- Le sport, la musique, le dessin et l'informatique constituent des matières de bases dans le programme Canadien. Ce n'est pas le cas pour l'école Algérienne.

- L'école primaire en Allemagne se distingue par l'enseignement de chaque matière par un enseignant (instituteur) spécialisé et ce, afin de faire bénéficier l'élève de toutes les matières étudiées d'une façon convenable et correcte.

- Dans la quasi-totalité des pays avancés ; les sorties des élèves sont permanentes et obligatoires. Les visites de musées, de parc zoologiques et tout centre ou parc de détente sont dans le menu de leur programme scolaire. En Algérie l'enfant n'apprend qu'en classe par les méthodes traditionnelle et dans le même environnement et pendant toute l'année scolaire.

- L'audiovisuel n'est plus un luxe ou un privilège, il s'est transformé en un outil de travail de grande nécessité d'enseignement pour ces mêmes pays. Il doit être à la portée de tous et il est même possible d'apporter des facilités d'acquisition aux établissements scolaires et aux enseignants.

- La méthode de « PBL : Project Based Learning » que je mentionne toujours lors de mes conférences en Algérie et ce depuis 2005, est une méthode largement utilisée aux USA, au Canada, en GB et bien d'autre pays. Elle permet à l'élève de mieux assimiler l'enseignement en faisant lui-même, dans un environnement relax et dans un petit groupe de 4 à 5 élèves, de la recherche sur n'importe quel thème, le brainstorming, le développement d'idées, le développement de concepts, ..... et enfin l'écriture d'un rapport. Voir (document 1, 2 & 3 mes articles sur les nouvelles approches d'enseignement/d'évaluation et mes présentations)

A travers ces quelques aspects, le modèle Canadien ou autre ne peut s'adapter à l'Algérie, pour les différentes raisons que je constate :

- Les horaires d'enseignement des élèves de l'école primaire n'est pas en adéquation avec les horaires de travail des parents : de 8h00 à 11h15 et de 13h00 à 14h30 (parfois jusqu'à 15h30 ou 16h15 selon les classes. Ceci est un calvaire pour les parents qui ont 2 ou 3 enfants à l'école primaire.

- Le programme scolaire est trop chargé. L'enfant étudie trop à l'école et une fois à la maison doit continuer à réviser, faire ses devoirs et préparer des leçons comme requis par certains instituteurs et institutrices. (document 4: le sommaire du livre d'arabe. Les enfants de la 2eme année ont-ils vraiment besoin de 56 textes à étudier en plus des autres matières?)

- Le cartable et sa lourdeur, le savoir ne consiste nullement en un poids mais en ce que l'enfant apprend et retient à travers ce qui lui est enseigné.

- Le nombre d'élèves très élevé par classe. Comment peut assimiler un élève et comment peut faire passer l'enseignant un message devant plus que vingt élèves dans une classe ? Il n'y aura que ceux qui occupent les premières tables qui peuvent en profiter. C'est le même cas au sein de l'université. Au début du système LMD, lorsque le nombre des étudiants en Master ne dépassait pas les 25, le niveau était bon. Mais lorsqu'on a été forcé à prendre 50 étudiants et plus, la situation s'est totalement dégradée par manque de maitrise et par les réactions désobligeantes des étudiants. Donc le résultat était autre !!!

- Le nombre de matières enseignés par jour et par semaine pose aussi problème à l'élève. En Allemagne, jusqu'à la 4eme année primaire, les enfants n'étudient que le matin (de 8h à 12h). Ils n'ont que 3 matières (allemand, maths et histoire locale), le reste étant des matières importantes pour l'équilibre : sport, musique, dessin. Les enfants mangent à l'école et l'après-midi ils ont des activités et loisirs et font aussi leurs devoirs à l'école. (document 5 : emploi du temps de la 2eme année. On voit bien le nombre de matières par semaine et le nombre d'unités par jour)

- Le nombre d'unités par jour très élevé. En deuxième année primaire à l'âge de 6 ans et demi mon fils a 7 unités x 45 minutes par jour. C'est beaucoup pour l'enfant et présente un danger pour l'enfant de 5, 6, 7, 8 ans. Normalement 4 unités x 45 minutes et la 4eme unité devant être de la musique, dessin ou une autre activité.

- Comparé à d'autres systèmes, les enfants finlandais font rarement des compositions ou des devoirs jusqu'à ce qu'ils soient bien dans leur adolescence. Les enfants ne sont pas évalués pas des examens du tout pendant les six premières années de leur scolarité. Il y a seulement un test standardisé obligatoire en Finlande, pris dès que les élèves atteignent l'âge de 16 ans [NYtimes]. Par contre trop d'examens et de devoirs en Algérie (à l'école ou à l'université). Notre système éducatif est basé sur l'évaluation traditionnelle par notation que sur le savoir et les connaissances. Ce système avec trop d'évaluation surtout pour des petits enfants de 5, 6, 7 ans crée trop de compétition et d'individualité, donc pas de place pour un travail de groupe. Nous devons concevoir un système éducatif fraternel et apprendre à nos enfants à travailler ensemble en groupe. Malheureusement même à l'université, les Professeurs ne travaillent pas en groupe alors qu'au japon, j'ai toujours fait partie d'un groupe et je ne me sentais jamais isolé contrairement à ci où je suis isolé et marginalisé !!!

- Accentuation sur les cours et sur la mémorisation et l'acquisition d'information par les méthodes traditionnelles. Aucune promotion d'un environnement pour développer ni l'intelligence des enfants ni leurs créativités (innovation), aucune nouvelle approche d'enseignement.

- On enseigne à nos enfants de 5, 6, 7 ans les mathématiques d'une manière très compliquée. Alors qu'ils ne maitrisent même pas l'addition, on leur enseigne des choses très difficiles pour leur âge tel que la notion des équations, par exemple :

15 + . = 20

30 + .. = 100

Les enfants qui n'arrivent pas à comprendre ces choses difficiles développent un complexe et ont peur des mathématiques alors ils commencent à éviter les maths et puis l'école.

- L'absence de coordination et de cohérence dans l'enseignement des matières et entre les enseignants d'une même école. A titre d'exemple : en première année mon fils apprenait les maths en écrivant de la gauche vers la droite (français) comme prévu. En deuxième année, il écrit les maths de la droite vers la gauche. Comme vous le savez même un adulte peut tomber dans la confusion, alors imaginez un enfant de 6, 7ans ? Cet exemple ci-dessous peut montrer clairement que les enfants peuvent avoir beaucoup de difficultés :

165 > 163 (supérieur)

(le signe supérieur devient inférieur) 165 > 163

165, 115, 88, 71, 32, 16, 3, 1 (de la gauche vers la droite)

(de la droite vers la gauche) 1, 3, 16, 32, 71, 88, 115, 165

- Pour la deuxième année primaire, le nombre d'horaire des mathématiques ne représente que 4h30 sur un total horaire de 22h30. Alors que l'arabe représente 50% du temps global hebdomadaire (11h15/22h30). Le temps consacré aux mathématiques devrait être plus élevé. Dans certains pays, ce temps est égal au temps consacré à la langue maternelle. (document 5 : emploi du temps de la 2eme année. On voit bien le nombre d'heures des maths par semaine)

- Certain textes de langue sont trop chargés avec un nombre important de nouveaux mots entre un texte et un autre alors que l'enrichissement du vocabulaire devrait passer par une acquisition de 5 à 6 mots par leçon pour les adultes. Dans un texte de la deuxième année, j'ai compté plus de 15 nouveaux mots (document 6 : un texte tiré du livre d'arabe de la 2eme année. Plus de 15 nouveaux mots)

- L'informatique, la musique, le dessin, le sport et surtout la culture civique n'ont pas de place dans l'école Algérienne, alors que ceux-ci représentent un outil de prospérité de l'élève et de l'homme de demain.

- Malheureusement les sorties ne sont pas programmées, pas de sport, pas de musique, pas de vraies leçons de dessin. L'élève est notée à la fin du trimestre alors que son apprentissage est limité.

Ayant vécu 20 ans à l'étranger où j'étais chercheur et maitre-assistant à Londres, à l'université de Kyoto (6 prix Nobel) et au Building Research Centre à Tsukuba, Japon, un des plus grands et prestigieux centre de recherche dans le domaine parasismique, structure, environnement. J'ai le regret de constater un profond déboitement au niveau de la colonne vertébrale de la nation, à savoir l'éducation nationale et l'enseignement supérieur ;

- Absence d'éthique.

- Manque de professionnalisme.

- Manque d'organisation.

- Les ressources humaines, particulièrement l'encadrement et les cadres supérieurs constituent le point faible majeur de cette désarticulation. Ils manquent de nouvelles méthodes de management : absence du leadership, une notion dont nous avons besoin dans notre pays et ce compte tenu du manque de responsabilités, d'inspiration et d'innovation de nos responsables et cadres dirigeants administratifs, ceux-ci ont les mains liées et sont dirigés en fonction de leur appartenance politique, sociale ou autre.

A suivre...

*Docteur. Professeur, Génie Civil - Université des Science et de la Technologie d'Oran - Mohamed Boudiaf -