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L'article qui suit essayera d'apporter
quelques éclairages sur la langue du maghribi (alias daridja), en s'appuyant,
évidemment, sur certaines références indispensables, langue maghribi, ainsi que
l'a nommée son promoteur, le linguiste Abdou Elimam qui a tout l'air de dériver
du punique et c'est ce que tentera de déceler, le présent écrit, en revisitant
nécessairement certaines phases du passé antique en vue de voir plus clair sur
cette question, en nous plaçant sur le terrain de la recherche
anthropo-culturelle, de manière aussi objective que possible, loin des partis
pris idéologiques.
Et tout d'abord, il convient de situer le contexte de l'antique Berbérie et les communautés qui la composaient car les Berbères, connus depuis l'antiquité pharaonique sous les noms de Lebu, Tehenu, Temehu, Meshwesh, subsistent dans un immense territoire qui commence à l'ouest de l'Égypte, nous dit Gabriel Camps, signalant que « des populations parlant le berbère habitent dans une douzaine de pays africains, de la Méditerranée au sud du Niger, de l'Atlantique au voisinage du Nil », observant cependant que « cette région qui couvre le quart Nord-Ouest du continent n'est pas entièrement berbérophone, loin de là », et il semble de même pour les peuplades de la Berbérie couvrant l'antique zone nord-africaine, parmi lesquelles il faut y distinguer Numides, Maures, Gétules et Garamantes, qui usaient des idiomes spécifiques à leurs milieux :berbère, punique et néo-punique, grec, etc. « Les deux premiers peuples habitaient certainement le Tell, où l'agriculture était possible. Les deux autres parcouraient les steppes et les régions prédésertiques où la vie se concentrait dans les oasis. Les Gétules, s'ils ne formèrent jamais de véritable État, entraient cependant pour une large part dans la composition des royaumes maures et numides », ils « (...) occupaient le sud de la Berbérie orientale. L'étendue du royaume maure de Baga nous est inconnue, de même celui de Bocchus(...). Les Gétules, en contact à la fois avec les Garamantes dont il est difficile de les distinguer, avec les Éthiopiens des oasis et du Soudan et avec leurs frères de race, Numides et Maures des pays heureux du Nord, occupaient donc les immenses steppes de la Berbérie présaharienne depuis l'océan jusqu'au voisinage du Nil. »(Gabriel Camps, Juillet 2002). Le punique, substrat d'origine du langage populaire majoritaire des Maghrébins Cela dit, certaines recherches actuelles qui se sont penchées sur l'évolution à travers le temps de la langue punique, soutiennent arguments historiques et références culturalo-linguistiques à l'appui que cet idiome constituerait le substrat d'origine du dialecte populaire de la majorité de la population maghrébine et qui se retrouverait jusque dans les parlers de Malte. Ce langage punique ne serait évidemment pas en tous points conforme à la langue d'origine des Phéniciens de Carthage de laquelle il dériverait, mais c'est un langage ?comme l'appellation des historiens l'indique ? néo-punique qui aurait évolué, à travers les âges, et serait donc propre à la civilisation des Berbères nord-africains qui en adoptant cette langue l'avaient tout naturellement adapté à leurs réalités spécifiques (il reste entendu que les Berbères ou Amazighs ne constituent pas un bloc homogène mais un conglomérat de multiples ethnies incluant C'est en tout cas ce que soutiennent certaines thèses d'historiens et chercheurs dont le linguiste Abdou Elimam. Ce qui semble s'inscrire dans la logique de la trajectoire historico-culturelle du Maghreb, et comme noté plus haut à propos d'une idée répandue à tort par certaines considérations historiques subjectives : « la civilisation punique n'est pas le prolongement de la civilisation phénicienne transplantée de Tyr à Sidon sur les côtes africaines, à Carthage, mais est le résultat d'une confrontation pacifique de deux mondes différents : celui oriental et celui africain. » Et il semble bien que « cette interpénétration punico-africaine s'est accentuée au cours du temps et a même persisté après la chute de Carthage, si bien qu'elle était devenue autochtone avec ses nettes particularités culturelles, linguistiques modes spécifiques locaux, etc., qui caractérisaient - d'après les anthropologues et historiens dont l'éminent Gabriel Camps - les traits identitaires, saillants, des populations de l'antique Berbérie. » On comprend dès lors pourquoi Gabriel Camps tenait à faire observer que « s''il est une expression ambiguë c'est bien celle de Civilisation punique », déplorant le fait que « pour la plupart des historiens elle est la civilisation des Phéniciens d'Afrique, c'est-à-dire la civilisation de Carthage et des villes alliées ou sujettes, donc simplement une civilisation coloniale », (1), l'anthropologue affirmant que durant plus d'un quart de siècle il s'est attelé à dénoncer ce travers qui ne fait voir dans la continuité africaine qu'une succession d'influences historiques étrangères, occultant du coup la réalité du soubassement civilisationnel autochtone... Pour sa part, le linguiste Abdou Elimam qui a entrepris des travaux de recherche en anthropologie linguistique, en s'appuyant sur des sources socio-historico-culturelles qui n'ont pas fini de dévoiler d'autres éléments dans ce contexte de revisitations de la civilisation carthaginoise, soutient que : « la civilisation carthaginoise qui s'est implantée en Berbérie durant près d'un millénaire et demi de règne sur les populations de la contrée, a réussi à faire de sa langue le ciment de tous les centres urbains de l'Afrique du Nord antique et même de l'Ibérie méridionale; c'est-à-dire de « Carthage (de [qart-ha-dajt] = la nouvelle ville) à Carthagène («petite Carthage») : la route de l'Andalousie » (José Maria Blàzquez, 1992). (2) La Numidie est incontestablement la plus marquée par cette influence, compte tenu de ses rapports d'affiliations politiques, d'échanges économiques, de pratiques culturelles et cultuelles, etc., résultant de son étroite proximité avec les Phénico-puniques. Les Numides Massyles et Massaesyles subiront, conséquemment durant plusieurs siècles, les influences de Carthage au point que de nombreux liens de mariage sont intervenus entre chefs numides et membres de l'aristocratie de la métropole carthaginoise. Outre ce brassage attesté, entrepris naturellement à des fins de consolidation de l'étroite coopération entre Berbères et Carthaginois, notamment l'alliance stratégique contre l'envahisseur romain, les historiens signalent notamment l'usage courant de l'idiome punique par les monarques numides - ainsi le grand Massinissa, pour le mentionner au passage, qui parlait la langue punique - cette dernière étant devenue langue officielle de leur royaume numide, comme en témoignent les legs des pièces de monnaie numides frappées de l'effigie des chefs numides Massinissa, Syphax, Micipsa, Juba Ier... toutes gravées d'inscriptions puniques. Ou encore ces nombreuses stèles et épigraphies gravées en caractères puniques telles que ces centaines de vestiges découverts dans le site d'El Hoffra à Cirta (Constantine), alors que « (...) la plupart des tombes puniques (...) datées à partir du VIe et Ve siècles avant J.-C. » témoignent des cérémonies d'offrandes au dieu phénicien Baal Hamon et à la déesse punique Tanit, « sur tout le littoral algéro-marocain » (3). L'usage de cette langue punique comme l'observation du culte de Baal persistèrent longtemps en Berbérie, et ce des siècles après la chute de Carthage, comme le dévoilent les documents archivistiques faisant référence aux productions littéraires et artistiques d'élites numides s'exprimant en punique, cet idiome ayant continué à subsister même après l'occupation romaine. Ce qui témoignait en cette période, de l'émergence en fait, d'une nouvelle société autochtone d'expression punique qui avait, désormais, pris ses distances vis-à-vis de l'ancienne cité carthaginoise tombée dans l'oubli. Le néo-punique succédant au punique antécédent Cette langue punique qui deviendra le néo-punique, « on sait qu'elle se sépare du phénicien et que ses traits se spécifient dès le IVe av. J. C. (...) nous avons donc affaire à une langue maghrébine (ou nord-africaine) qui se singularise et prend des traits spécifiques qui la distinguent dorénavant de la langue phénicienne», selon les propos du linguiste Abdou Elimam soulignant que « le punique s'était naturellement imposé comme langue franche à l'époque, à l'issue de quelque sept bons siècles, indique le chercheur poursuivant qu' « entre la période où Carthage est la métropole de référence, (...), d'une part; et la période où elle est défaite (par les Romains) en 146 av. J.-C., d'autre part » , il s'écoule un intervalle de temps durant lequel « une civilisation nouvelle se met en place et se déploie sur tout cet espace géographique que nous appelons aujourd'hui le Maghreb, plus précisément le littoral maghrébin » (4) Durant cette période allant du VIIIe av. J.-C. au IIe ap. J.-C., l'apanage de la civilisation carthaginoise ne pouvait pas ne pas voir l'influence de sa langue rayonner bien au-delà de la cité-Etat, même longtemps après son extinction, mentionne Abdou Elimam alors que certains historiens comme Ch. A. Julien pensent que la survie de la langue punique n'aurait pas dépassé le IIIe ap. J.-C. Mais d'autres, comme S. Gsell, pensent plutôt qu'elle a longtemps duré et que son influence est perceptible jusque chez les populations du Maghreb médiéval. Ce « fait punique relève d'une mémoire qui est bien présente derrière ses mots, ses traditions, ses coutumes, ses techniques agricoles, etc. », considère le linguiste , ce qui l'a amené à soutenir, à l'instar d'autres auteurs occidentaux , qu'« (...) à l'aube de la propagation de l'Islam en terre maghrébine, les populations autochtones paysannes étaient bilingues (punique/néo-punique et libyque) pendant que les populations autochtones citadines étaient trilingues (punique/néo-punique, libyque et latin/grec). Et c'est ce patrimoine sémitique qui sera mis à profit dans la rencontre avec le texte coranique et le message islamique qui lui est associé.» Et l'auteur d'admettre, prenant en ligne de compte ce qui vient d'être évoqué plus haut, « qu'il y a eu islamisation et non pas arabisation du Maghreb. Cette question d'arabisation des autochtones n'est qu'une vue de l'esprit. Il y a eu des apports lexicaux, stylistiques et même, parfois, morphologiques ? ce qui n'est pas étonnant en domaine sémitique ? mais pas de substitution. On peut donc considérer, en toute bonne foi, que l'influence des formes linguistiques arabes ? parmi tant d'autres ? a fait évoluer le punique, cette langue native et maternelle. Cette évolution arrivera à maturité dès le XIe ?XIIe siècle pour donner vie à une nouvelle entité linguistique naturelle : la langue maghrébine, (...) langue sémitique. Elle préexiste même à l'arabe qui est une élaboration (in vitro) relativement récente (Xe-XIe siècle J.-C) », le linguiste prenant soin d'avertir qu'il regrette « que dans ce contexte, une confusion « lexicale » -bien entretenue- assimile l'arabe au maghribi (5) (...) cette langue vernaculaire, pourtant très largement majoritaire (...) dans la société (...) attestée dès le VIe siècle avant notre ère : (...) langue de la grande Carthage, elle sera, après la conquête romaine de l'empire carthaginois, toujours attestée sous l'étiquette de « néo-punique». Des traces remontant au Ve siècle de notre ère témoignent de la vivacité de cette langue. Et c'est cette même langue sémitique (ou plutôt sémito-méditerranéenne qui, à compter du IXe siècle de notre ère, entrera en contact avec l'arabe des conquérants islamisants. C'est de ce contact des langues que finira par se singulariser la forme actuelle de ce que nous appelons le maghribi (...) langue naturelle (...)[qui] a un espace géographique, (...) ses locuteurs natifs, (...)une histoire sociale et humaine.» Cet idiome apparaît manifestement comme le substrat linguistique naturel de la langue dialectale en usage dans l'ensemble du Maghreb : à savoir le langage populaire appelé « ed-daridja » et qui serait plus juste de nommer le maghribi, (6). Abdou Elimam qui a dégagé dans ses travaux de recherche des similitudes entre punique et maghribi (ou ed-daridja la langue native des Maghrébins au même titre que le tamazight), considère que la survie de telles langues, ces dernières la doivent à leur nature même du fait que ce sont des langues naturelles, complétant : « (...) le punique, parce qu'il s'agit précisément d'une langue native, a traversé le temps en empruntant aux autres formations langagières que le Maghreb a pu porter. Il s'est enrichi d'apports variés (berbère, latin, grec, turc, arabe, etc.) et poursuit, de nos jours, sa trajectoire historique et culturelle sous l'appellation actuelle, audacieuse, de «darija 2», Abdou Elimam, soulignant « le punique, en devenant langue native de locuteurs maghrébins, finit, tout naturellement, par s'installer et gagner en audience », (7). Cette langue daridja dérivant du punique originel, Abdou Elimam préféra la désigner par l'appellation Maghribi ; une appellation qui, dit-il, « nous provient des linguistes moyen-orientaux qui désignent ainsi les «parlers» non berbérophones du Maghreb ? c'est probablement la même source qui encouragea aussi bien C. Ferguson que W. Marçais à faire usage de « maghribi » plutôt que de « arabe dialectal», poursuivant plus loin, « La lente évolution du punique, langue de la civilisation carthaginoise, vers le néo-punique (attesté lors de la présence romaine) puis vers le maghribi, est largement attestée par l'étude de stèles et autres inscriptions puniques. (8) (...) Le libyque, pour sa part, a servi de substrat aux formes contemporaines du berbère; tamazight, en somme (...) Ces idiomes spécifiquement nord-africains existaient donc bien avant la diffusion de l'Islam dans ces contrées. La langue punique (sorte d'extension du cananéen ayant subi une individuation) est, au même titre que l'araméen, l'hébreu ou l'arabe, une langue sémitique. Leurs morphologies sont similaires et leurs lexiques basés sur un fonds commun, partagé par toutes les langues sémitiques. Cela expliquerait la raison pour laquelle les habitants d'Afrique du Nord ont «percuté» à la forme linguistique du message coranique » (9). Exposant un échantillon du substrat punique, afin de permettre au lecteur de se faire une petite idée sur cet idiome, celui du libyque, ayant servi, pour sa part, de substrat aux formes contemporaines du berbère (tamazight, en somme), le linguiste passe au crible une comparaison de quelques termes et expressions puniques tirés de passages puniques en transcription latine dans le Poenulus de Plaute (cité par Sznycer M.-1967), le chercheur ajoutant cette observation nécessaire sur l'écriture, réaffirmant qu' « il est universellement attesté que l'alphabet phénicien/punique a servi de modèle déterminant, entre autres, à l'élaboration des alphabets grec et hébreu. Y compris les populations libycophones [ qui] ont adopté, il faut le souligner, et adapté cet alphabet-là à leur langue; d'où le nom de tifinagh (ti + finagh = les (féminin) puniques) », le linguiste indiquant que Salem Chaker, éminent chercheur en linguistique berbère, admet que « (...) les systèmes d'écriture berbères ont subi une certaine influence punique : « (...) tifinagh, nominal féminin pluriel est construit sur une racine qui désigne les Phénico-puniques (fnq/fngh) et devait signifier : «les puniques». Outre l'emprunt ou l'imitation initiale, l'alphabet lybico-berbère a continué de subir une forte pression de l'écriture punique » (S. Chaker, p. 30, 1984). (10). Des traces archéologiques du substrat punique Cette écriture, nous dit Abdou Elimam, est disponible dans de nombreuses traces archéologiques (stèles et autres vestiges) dispersées sur tout le littoral nord-africain ; y compris jusqu'à l'actuelle Agadir (Maroc). » Cependant, aujourd'hui, « (...) hormis les quelques témoignages (monuments, stèles, monnaie, etc.) physiques de cette période », il ne nous reste que « ces langues natives du Maghreb septentrional (...) leurs survivances sont les seules attestations têtues d'une continuité historique dont témoigne cette filiation linguistique », déplore le chercheur, sachant certes que le punique évolue sous les formes de ce qu'il appelle le maghribi.(11 )De même que le libyque évolue sous les formes du berbère, alors que pour sa part « l'arabe classique a occupé la place de langue franche », particulièrement entre les XIe et XVe siècles [concomitamment avec ] «(...) ces idiomes spécifiquement nord-africains [qui] existaient donc bien avant la diffusion de l'Islam dans ces contrées. La langue punique (sorte d'extension du cananéen ayant subi une individuation) est, au même titre que l'araméen, l'hébreu ou l'arabe, une langue sémitique. Leurs morphologies sont similaires et leurs lexiques basés sur un fonds commun, partagé par toutes les langues sémitiques. Cela expliquerait la raison pour laquelle les habitants d'Afrique du Nord ont «percuté» à la forme linguistique du message coranique ». (12) Par la suite, l'évolution du punique « arrivera à maturité dès le XIe ?XIIe siècle pour donner vie à une nouvelle entité linguistique naturelle : la langue maghrébine (...) soit l'émergence historique d'un système linguistique autonome et singulier : ce que nous appelons le maghribi », soit « dialecte» de l'arabe. L'appellation Maghribi provient des linguistes moyen-orientaux qui désignent ainsi les «parlers» non berbérophones du Maghreb, et c'est probablement la même source, indique l'auteur « qui encouragea aussi bien C. Ferguson que W. Marçais à faire usage de « maghribi » plutôt que de « arabe dialectal» (...) Il suffirait de lire la poésie et les qassidate de l'époque (et la littérature «ez-zajjal» en Andalousie) pour se convaincre de la fertilité et de la vitalité d'une telle langue, nous dit Abdou Elimam observant qu' «il est vrai que la vision dominante ? et spontanément «savante» ? désigne cette langue comme «dialecte arabe», ce qu'elle n'est pas», étant donné, conclut le chercheur que « cette langue naturelle que, de nos jours, nous appelons le maghribi, s'est développée au contact de l'arabe, sous sa forme codifiée, en y opérant de nombreux emprunts mais sans s'y identifier» [ et ] force est de constater que le maghribi continue d'être une langue maternelle et native, alors que l'arabe n'y soit pas parvenu! » (13) Au fait des évènements historiques se rapportant à la civilisation carthaginoise et ses étroits rapports avec celle de la Berbérie antique, dont notamment leurs complexes pendants socio-économiques et culturalo-linguistiques et spirituels bilatéraux, le professeur Chems Eddine Chitour note à propos de l'idiome dialectal de la « daridja » - que d'aucuns croient à tort dérivant de l'arabe littéral « Fosha » mais qui parait apparenté, plutôt, au néo-punique d'ascendance sémitique originelle - « c'est donc « le punique parlé (...) qui a été pris par les conquérants arabes au septième siècle pour leur propre langue », aussi prévient-il « (...) il serait donc pour le moins hasardeux d'affirmer que les Berbères arabisés sont tous descendants des conquérants arabes », sachant très bien qu'il existe à travers l'ensemble du Grand Maghreb, aussi bien des Berbères berbérophones que des Berbères arabophones. L'auteur rappelle, également, que durant l'antiquité, quelque temps après l'instauration de l'empire de Carthage, les Berbères autochtones ont adopté les dieux phéniciens dont les plus importants étaient Baal Hammon et Tanit Péné Baal», cette dernière étant une déesse locale et que « (...) pendant plusieurs siècles le dieu bélier fut adoré par les Berbères (...) des stèles gravées et des statuettes à l'image du bélier divin [ ayant] été retrouvées dans toute l'Afrique du Nord.» Cependant, ajoute l'universitaire, les tribus berbères adoraient aussi un dieu appelé Gurzil au service duquel « Jerin, roi des Levathes (Louata) était consacré en qualité de prêtre », estimant qu' « il semble, donc, en définitive, qu'il y ait eu fusion des divinités berbères et puniques » (14). Néanmoins, malgré ces rapprochements culturels, rapports commerciaux et liens familiaux entre oligarques et dignitaires de hauts rangs, les Berbères, comme signalé ci-dessus, avaient ce souci de préserver leur propre culture et mode de vie, notamment leurs rites cultuels propres, désapprouvant le rite sanglant de leurs voisins Phénico-Puniques. Selon Diodore de Sicile, « les pratiques sanglantes des Phéniciens et celles des Carthaginois, sacrifiaient à Saturne-Khronos des enfants qu'ils précipitaient dans une fournaise.» Des écrits mentionnent qu' « on a découvert à Carthage une vaste installation où pendant plusieurs siècles on a déposé des urnes contenant des ossements calcinés d'enfants. Ces sacrifices étaient appelés Molk, d'où l'on a tiré le nom du dieu Moloch, qui n'a jamais existé. Ces pratiques ont été aussi connues chez les voisins des Phéniciens, les Israélites, comme le prouve le « tophet » de la vallée de Ben-Hinnom, spécialement destiné aux sacrifices d'enfants», rapporte René. Dussaud (15). Cet auteur qui n'est pas le seul à signaler ce rituel abject, précise que « la disposition de ce lieu est analogue à celle du site carthaginois », estimant qu' « il semble que la victime était chargée, par la vertu des opérations rituelles, des péchés et des tares de celui qui offrait le sacrifice et qui pouvait ainsi le délivrer de ses fautes », observant que l'agneau et le chevreau ont été substitués ultérieurement aux victimes humaines. Et il faut dire que des historiens ont signalé, bien avant la généralisation de cette substitution de l'agneau à la victime humaine, qu'elle était déjà le fait des Berbères qui ne se conformaient pas tout à fait (substituions discrètes) à ce rite abominable qu'ils exécraient. A signaler ce qu'un David Belhassen, « chercheur indépendant et linguiste spécialisé dans les religions», reproche aux historiens d'avoir falsifié l'histoire de la civilisation carthaginoise en prétendant que les Carthaginois (et les Phéniciens, donc) s'adonnaient à un rituel sanguinaire, barbare, qui était plutôt celui des Romains qui auraient répandu cette accusation pour discréditer leurs ennemis. Et le plus grave, selon lui, c'est que ces historiens, à l'instar d'un S. Lancel par exemple, auraient tous passé sous silence le fait que les Phéniciens et Carthaginois étaient des Hébreux !... Le souci d'objectivité oblige à dire que David Belhassen fait la confusion entre communautés nord-africaines judaïsées et origine ethnique. Il aurait été plus probablement plus judicieux de dire que les Israélites auraient été calomniés et que c'est la conversion à leur religion de nombre de nord-africains dont les Berbères qui aurait amené, peut-être, les convertis à rejeter le culte sacrificiel d'enfants de Baal, attesté par des vestiges archivistiques. Un historien de la trempe de l'universitaire israélien Shlomo Sand est d'avis que les Phéniciens avaient leur propre culte et étaient originaires de Phénicie, n'étant point des Hébreux, comme l'a attesté une étude à caractère scientifique, américano-libanaise (qu'on abordera plus loin). Dans cet ordre d'idées, il est très probable, donc, que c'est cette conversion au judaïsme de beaucoup d'anciens nord-africains, signalée par la plupart des historiens dont Ibn Khaldoun et Shlomo Sand, qui serait derrière l'abandon progressif de l'ancien culte sacrificiel de Baal et son remplacement par l'agneau ou le chevreau. Quoi qu'il en soit, anthropologues et historiens signalent pour ce qui concerne les Berbères autochtones que ces derniers bien avant la chute de Carthage amorçaient déjà leur prise de distance vis-à-vis de leurs voisins - alliés, en dépit des affinités développées entre eux et les Phénico-Carthaginois dont l'usage adopté de leur langage punique, c'est ce qui aurait facilité ultérieurement, - du fait des racines linguistiques sémitiques communes de cette langue avec l'arabe, - les rapports entre autochtones et conquérants arabo-musulmans lors de la conquête islamique du Maghreb au VIIe siècle, vraisemblablement. C'est ce que soutient mordicus, entre autres, le linguiste Abdou, s'en tenant aux arguments de sa thèse universitaire et qui expliquerait, en définitive, ces curieuses similitudes rapportées et constatées entre langue néo-punique répandue dans l'antique Berbérie et langue daridja maghrébine qui en est dérivée. A ce propos, et en rapport justement avec ce qu'allègue Abdou Elimam concernant des vestiges épigraphiques témoins de « ces curieux liens constatés entre lange punique et daridja » qu'il postule, voici un témoignage intéressant, à certains égards, qui va dans le sens des assertions du linguiste : il s'agit d'un important document dont le contenu est venu, en quelque sorte, conforter davantage ce postulat affirmant que la civilisation d'expression punique qui a continué de rayonner, longtemps après l'extinction de la civilisation carthaginoise, était en fait quasiment imprégnée des diverses caractéristiques socioculturelles et cultuelles nouvelles spécifiques à la civilisation amazighe autochtone et à son langage évolué « néo-punique ». Cette dernière comportait naturellement nombre d'aspects similaires à ceux apparentés à la culture des Phéniciens mais qui ont été indéniablement absorbés et intégrés dans les modus vivendi des mœurs et coutumes des Berbères qui les ont, évidemment, hissé à un autre niveau d'évolution ; ainsi, à titre d'exemple, le rite sanguinaire du dieu païen Baal Hammon qui a été remplacé par celui du dieu Gurzil, aux rites moins cruels épargnant leur progéniture avant de se débarrasser plus tard de ce dernier au profit des successives religions monothéistes, abrahamiques. Le fait de la civilisation amazighe autochtone a été vraisemblablement démontré dès l'antiquité et bien avant par nombre de vestiges et legs culturalo-patrimoniaux dont les précieux héritages des fondements linguistiques inhérents aux diverses peuplades et ethnies ramifiées du complexe peuplement amazigh antique. Témoignages épigraphiques Le document dont il est question a trait à une importante étude présentant deux notices sur des inscriptions épigraphiques libyques et puniques, publiée dans le numéro 17 de la Revue Africaine (année 1873) par l'un de ses correspondants, en l'occurrence le général Faidherbe qui faisait partie de ces prospecteurs missionnaires de la France coloniale, du passé ethnographique et culturel de l'Algérie et dont certains d'entre eux ont pu s'acquitter honnêtement de cette tâche scientifique sans parti pris idéologique : d'où l'utilité de ces archives que l'Office algérien des publications universitaires a jugé bon de mettre à la disponibilité des historiens et chercheurs en rééditant toute la Collection de cette ancienne revue fondée au 19e siècle et aux contenus ô combien riches et précieux. Et il appartient, bien évidemment, au consultant de chaque pièce de document examiné de savoir faire la part des choses. Cela dit, il est question dans la première notice d'inscriptions phéniciennes et puniques antiques traduites par M. Julius Euting qui en donne quelques renseignements sommaires (en général, sur la langue dans laquelle elles sont écrites et sur la religion qui les a inspirées), et que le général Faidherbe présente sous le titre Epigraphie phénicienne et numidique (Libyque) p.57, (16), l'auteur prenant soin d'avertir, au préalable, qu'il n'est peut-être pas sans opportunité d'informer qu'il met sous les yeux du lecteur « un beau spécimen de ces pierres votives phéniciennes, pierres inédites », dont la traduction de leurs inscriptions l'ont amené a établir un constat qu'on abordera plus loin après la présentation de la notice ayant trait aux inscriptions de l'épigraphie phénicienne et numidique (Libyque) mise en avant par le général M. Faidherbe et qui nous apprend également d'importants élément sur la langue punique, absolument révélateurs au point de vue linguistique et culturel, comme on va le voir : Poursuivant la traduction des inscriptions de l'épigraphie qu'il présente, le général Faidherbe note que « les Phéniciens avaient des livres sacrés renfermant leur loi et qu'ils personnifiaient sous les noms du dieu Thouro, la loi, et de la déesse Khousareth, l'harmonie ; car un trait caractéristique de la religion des Phéniciens, c'est qu'à chaque dieu ils associaient toujours un dieu femelle, une déesse. Les Phéniciens reconnaissaient un dieu suprême, analogue au dieu Jéhovah des Hébreux, ils l'appelaient El (Allah des Arabes), c'est-à-dire l'Être éternel, mais le nom vulgairement employé pour le désigner et l'invoquer était Baal, qui veut dire Seigneur.» L'auteur indiquant que « ce mot Baal se trouve dans la composition d'une foule de noms phéniciens et puniques : Hannibal, Asdrubal, Adherbal... Baalchillek, Baalzitten... etc. », précise que « beaucoup de noms commencent ainsi par le mot Abd, serviteur (comme en arabe Abdallah), suivi d'un nom de dieu spécial, car les Phéniciens subdivisaient le Dieu suprême en une foule de dieux spéciaux, appelés aussi collectivement Baalim, pluriel de Baal. C'était la personnification des attributs du Dieu suprême. Ainsi Dieu, considéré comme Créateur était Baal-Tammouz, ou Adon, d'où l'Adonis des Grecs. Le dieu conservateur était Baal-Chon, le dieu destructeur était Baal-Moloch..., etc. Concernant les divinités liées aux sept planètes, on n'en connaissait que ce nombre, observe le général Faidherbe qui poursuit : elles « étaient sept Baal spéciaux et les Phéniciens admettaient un huitième dieu- planète invisible, qu'on appelait Esmoune assimilé à l'Esculape des Grecs. De plus le Baal national de chaque ville devenait pour le vulgaire, un dieu à part ; de là, Baal Sidon, Baal Tars, Baal Hermon... etc. Le Baal de Tyr, la métropole prenait le nom de Melkarth, abréviation de Melek Kiryath, le roi de la cité (Kiryath, d'où Cirta, Constantine). Le dieu national de Carthage était Baal-Hammon, le seigneur brûlant.» L'auteur rappelant en la circonstance qu' « à chaque dieu mâle correspondait un dieu femelle, une Baalath (féminin de Baal), considérée comme une manifestation du dieu Baal. A Carthage, la Baalath de Baal-Hammon, était Tanit ; à Sidon c'était Astoreth, appelée la Vénus Astarthée par les Grecs, et le démon Astaroth par la Bible. (...) » (17). Pour ce qui concerne l'ouvrage cité plus haut de M. Julius Euting, « c'est un recueil de 167 inscriptions phéniciennes de Carthage, d'Hadrumète, de Sardaigne, etc., les unes inédites, les autres déjà connues » et « parmi ces dernières (...) un hommage rendu par suite d'un vœu à la déesse Tanit et au dieu Baal-Hammon, par un nommé Gachar, fils d'Abdesmoun » nous dit l'auteur, poursuivant : « Voici comme elle se lit : L'rabat l'Tanit fen Baal ou l'Adon Baal Hammon ach nador Gachar ben Abdesmoun Bacharam. Ce qui veut dire : A la déesse Tanit manifestation de Baal, et au seigneur Baal-Hammon, (pierre, sous-entendu), qu'a vouée Gachar fils d'Abdesmoun Bacharam », l'auteur clarifiant « Nous savons que Baal Hammon est le dieu spécial de Carthage et que Tanit est la déesse correspondante à Baal-Hammon. Le nom Abdesmoun veut dire : serviteur d'Esmoun, c'est-à-dire du huitième dieu-planète. La dernière ligne se dit Bacharam. Je ne sais ce que cela veut dire : ce même mot se lit à la fin d'une inscription punique du musée britannique mais on ne l'a pas traduit. Une remarque à faire, c'est que l'antépénultième lettre de ce mot Bacharam, qui est un aïn dans notre inscription, est un alef dans celle du musée britannique. Cette variante mettra peut-être sur la voie pour arriver à la traduction. Les l' sont la préposition à.» (18). En parcourant ce que révèlent ces antiques inscriptions phéniciennes traduites, le lecteur aura certainement remarqué les curieuses similitudes entre certains mots ou expressions puniques et leurs termes correspondants en langue arabe, l'idiome du parler populaire plus exactement : ainsi l'hommage rendu à la déesse Tanit et au dieu Baal Hammon, par un nommé Gachar dont les termes suivants « L'rabat l'Tanit fen Baal ou l'Adon Baal Hammon ach nador Gachar ben Abdesmoun Bacharam » qui font songer aux mots qui suivent : « L'rabat » : Le mot rabat, qui précède le nom de la déesse Tanit, est le féminin de rab, qui veut dire seigneur dans les langues sémitiques ; comme le relève le traducteur qui rapporte que « les arabes disent à chaque instant ; ya rabi ! C'est-à-dire : O mon Seigneur, ô mon Dieu ! », ajoutant que « c'est aussi de cette racine que vient le mot rabbin, prêtre juif.(...) » (19). En poursuivant avec les autres termes, on peut aisément deviner que dans le nom composé Baal-Hammon, « Hammon » correspond à « hammi » en arabe, c'est-à-dire chaud renvoyant à la divinité brûlante, solaire des païens ; Gachar ben Abdesmoun : ben traduisant fils ; de Abd : signifiant adorateur d'Esmoun, divinité planétaire des cieux : renvoyant à l'espace : Esma ; et le dernier mot Bacharam correspondant à Bachar : signifiant transmis ou « information communiquée » : Bacharam voulant dire ici : message légué à la postérité. De même que le terme de Melkarth, abréviation de Melek Kiryath, correspond au terme Malik signifiant roi (désignant le monarque de la cité Kiryath, d'où Cirta, Constantine). Ce curieux constat de familiarités langagières entre le punique et le langage des Berbères autochtones (le roi Massinissa comme d'éminents auteurs autochtones s'exprimaient en punique, comme le rapporte les historiens) n'est pas sans faire songer au parler courant « daridja » des Algériens et Maghrébins qui a déjà fait l'objet d'un travail universitaire sur les affinités entre langages punique- daridja (ou maghribi), mené et poursuivi, comme on le sait, par le linguiste Abdou Elimam. Et l'on comprend mieux, à présent, pourquoi un certain orientaliste qui n'est pas des moindres, en l'occurrence Herbelot qui a soutenu que « l'arabe était parlé dans l'Afrique romaine bien avant l'arrivée des Arabes dans ce pays », alors que Lacroix qui rapporte cette information en adoptant son assertion, avance l'hypothèse que « le phénicien parlé dans une grande partie de l'Afrique (...) avait, avec l'arabe et l'hébreu, la plus grande analogie, ces langues n'étant, en définitive, que des rameaux d'un arbre commun. »(20). Passage rapporté par Chems Eddine Chitour dans son ouvrage « Algérie, le passé revisité », qui enchaîne « c'est donc le punique parlé par les descendants des Carthaginois qui a dû être pris par les conquérants arabes au septième siècle pour leur propre langue », l'auteur poursuivant « quant aux Berbères, ceux qui ont vécu isolés dans leurs montagnes ou dans le Sahara et n'avaient pas subi d'influence punique, ils parlaient leur langue qui était une langue sui generis n'ayant rien de commun avec l'arabe et s'écrivait avec des caractères spéciaux», l'auteur ajoutant plus loin que « Bousquet pense, quant à lui, que les découvertes d'inscriptions libyques dans le delta du Nil sont incontestablement berbères. D'autres auteurs pensent, par contre, que le phénicien et contrairement au romain paraît être si bien confondu avec le berbère, qu'il est souvent difficile de décider si les inscriptions mises au jour sont libyques ou puniques » (21). Par ailleurs voici un autre témoignage en rapport avec ces affinités « punique-maghribi », mis à jour dans les temps présents celui-là, par un professeur d'économétrie de la région de Sétif (Est algérien), en l'occurrence M. Abdelkrim Rachid Benbahmed, qui à la suite d'un examen de manuscrits traditionnels a constaté que d'anciens textes sous ses yeux exposaient des exemples surprenants d'écrits en daridja populaire : il s'agit du langage rituel des anciennes superstitieuses attribuées aux « h'rouz », ces ancestrales amulettes du Taleb passant pour être protectrices du mal qui auraient usé, depuis des lustres, de caractères vraisemblablement « puniques » s'interpénétrant avec ceux de la langue dialectale populaire, empreinte des formules religieuses : ce qui est venu démontrer, apparemment par là, la survivance de ce langage antique qui aurait, ainsi, « résisté à toutes les conquêtes pour parvenir jusqu'à nous », comme consigné dans le site qui rapporte l'information (22). Il y est indiqué, par ailleurs, que l'écriture punique n'a pas du tout disparu au cours du temps et subsiste encore non seulement dans les « h'rouz » de nos Talebs (conseillant au passage d'ouvrir un « harz », pour voir ! ), mais aussi dans les anciennes correspondances des modestes gens du peuple : à l'exemple de deux correspondances datant de 1854 découvertes par le chercheur-amateur, féru d'Histoire), faisant cas, entre autres, des échanges commerciaux. Correspondance appelée « Ketbet lebraouet » (écriture des lettres). Le site mentionnant encore : « Depuis leur premier établissement à ?Haï Bouna' (littéralement Centre punique', devenu Hippone, puis Bône, et enfin Bled el Annab et Annaba), en passant par Qirta (Cirta, puis Constantine), Qirta Haditha (?la ville nouvelle, traduit improprement par ?Qart Haddasht', ayant donné Carthage)... Concluant plus loin « cette continuité historique du punique à la deridja a été annoncée à Sétif, le jeudi 17 avril 2008, par M. Abdelkrim Rachid Benbahmed qui fut durant sa vie professeur d'économétrie, recteur, expert international du BIT à Genève, gouverneur de la Banque Africaine de Développement ». (23). La marque spécifique d'une civilisation autochtone Concernant l'antique communauté berbère, sa civilisation avait aussi son cachet particulier : multiethnique et plurilinguistique aux caractéristiques culturelles et cultuelles complexes, d'expression notamment libyque, punique, hellénique, amazighe - quoique comportant divers éléments socioculturels présentant nombre de similitudes constatables dans la culture des Phéniciens - mais qui avait néanmoins sa marque spécifique de civilisation autochtone. Car, et comme l'attestent des chercheurs anthropologues, et à leur tête l'éminent Gabriel Camps, ces caractéristiques particulières qui se sont perpétuées dans la société amazighe, longtemps après l'extinction de Carthage, il apparaît d'évidence qu'intégrées dans le modus vivendi des Berbères, elles étaient devenues par la suite -contrairement à ce que persistent à ne pas le voir nombre d'historiens occidentaux ou autres orientaux ? l'expression manifeste de patterns socioculturels inhérents non pas à l'ancienne civilisation phénicienne évanouie mais étaient devenues partie prenante de la civilisation amazighe, autochtone. Cette dernière continuant, naturellement, de véhiculer plusieurs éléments culturels et cultuels communs aux Phénico-carthaginois voisins mais cela ne l'empêchait nullement d'avoir ses spécificités propres. Autrement dit, cette civilisation amazighe antique - comme on a pu en signaler quelques éléments spécifiques s'y rapportant ci-dessus - a absorbé et assimilé les patterns culturels des Phéniciens dans une nouvelle culture autochtone d'expression absolument néo-punique, comme elle en a absorbé par la suite ceux qui allaient s'ensuivre au cours de sa complexe évolution historique. Saint Augustin d'Hippone qui écrivait en punique, constitue indéniablement la preuve de la survie de cette langue au Ve siècle dans sa région et ce malgré l'évanouissement, depuis un certain temps, de la Carthage punique, après les assauts romains. Ainsi, l'usage courant de cet idiome qu'il signale chez des gens de cette province africaine. En 401, il écrit : « Quae lingua si improbatur abs te, nega Punicis libris, ut a viris doctissimis proditur, multa sapienter esse mandata memoriae. Poeniteat te certe ibi natum, ubi huius linguae cunabula recalent. » « Et si jamais vous rejetez la langue punique, vous faites virtuellement le déni de ce qui a été admis par la plupart des hommes savants, que plusieurs choses ont été sagement préservées de l'oubli, dans des livres écrits en punique. Non, vous devriez même avoir honte d'être né dans le pays dans lequel le berceau de cette langue est encore chaud. » (24). Aussi voir en cette persistance du punique - et tous ces aspects socioculturels, cultuels, coutumiers, concomitants, hérités d'une longue tradition populaire, et qui sont devenus des acquis sociaux réadaptés et métamorphosés en adéquation avec l'évolution du cours du temps - que des séquelles résiduelles de la civilisation phénico-carthaginoise, même longtemps après sa disparition et l'évanouissement par conséquent de son influence de jadis, c'est là commettre, assurément, un déni flagrant des complexes faits et évènements marquants de l'histoire. Car au vu des vestiges du passé, documents , inscriptions funéraires sur des stèles en pierre, etc., demeurant à ce jour témoins de cette réalité culturalo-identitaire historique, il apparaît clairement que cette langue néo-punique, rattachée à un générique identitaire, le berbère, n'est autre que l'ancêtre de la « daridja » populaire, cette langue parlée par la majorité de la population du Grand Maghreb : soit la langue native de groupes sociaux majoritaires non berbérophones mais qui sont pour leur plupart Berbères d'origine, comme cela est bel et bien attesté dans la mémoire historique de l'Afrique du Nord. Et c'est au contact des langues berbères anciennes, cet autre pan identitaire ancestral maghrébin, que le punique a changé de manière progressive sous leur l'influence ; notamment du Numide et du Libyque, amorçant ainsi un processus net de différenciation évolutive par rapport au Phénicien duquel il dérive. C'est surtout aux lendemains de la chute de Carthage et de la perte de contact avec la Phénicie et ses colonies, que le punique, alors moins influencé par le Phénicien le devient davantage en présence interactive et intensément coopérative avec les langues berbères locales, de proximité. Aussi le terme « néo-punique » réfère à cette modification progressive du phénicien résultant de l'adjonction du berbère dans la langue punique qui est signalée par ce dialecte parlé dans la grande partie du Maghreb après la destruction de Carthage en 146 av. J.-C., suite à la conquête romaine de l'Afrique du Nord. Et depuis, toutes les formes de punique ont graduellement changé après cette date selon Salluste qui affirme que le punique est altéré par les intermariages avec les Numides. Une nécessaire parenthèse, ici, pour faire observer que la préservation du punique est signalée à l'époque du règne romain par une autre version de l'idiome punique qui serait le latino-punique - punique écrit en caractères latins (25), et qui était parlé jusqu'aux VIe et VIIe siècles. Un corpus de 70 textes de ce latino-punique ont été retrouvés et concernant l'alphabet néo-punique, en général, il compte 22 consonnes et quoique proches de l'alphabet phénicien, certaines lettres ont une prononciation légèrement différente en néo-punique. Vers 400 av. J.-C., cet alphabet néo-punique cursif était déjà utilisé ailleurs, parallèlement au punique traditionnel recourant à l'alphabet phénicien, et ce dans certaines parties de l'Afrique du Nord et du bassin méditerranéen où il a pu être préservé et amélioré (26). De même que le néo-punique a probablement survécu à la conquête musulmane du Maghreb, et ce serait à cet idiome que faisait probablement allusion le géographe El Bekri en évoquant au XIe siècle une langue dans l'Ifriqiya, qui n'était ni berbère, ni latin, ni copte. Et comme l'ont signalé plusieurs historiens dont Charles André Julien et Georges Marçais, entre autres, il semble que l'arabisation d'une partie de la contrée maghrébine après l'avènement de l'islam en Afrique du Nord au VIIe siècle aurait été grandement facilitée par le fait que les deux idiomes de l'arabe et du punique présentaient certains rapports de similitudes lexicales, résultant de leurs racines linguistiques, sémitiques, communes (27). Cependant, la langue populaire du maghribi (ou daridja), comme insiste là-dessus le linguiste Abdou Elimam, n'est point un idiome dérivé de la langue arabe, comme seraient tentés de le croire certains, mais est plutôt une langue dialectale tout à fait autonome avec ses caractéristiques tout à fait propres (28). La raison de cette différenciation dialectale résultant également et surtout de ce changement progressif qu'a subi le punique, au fil du temps du fait de sa progressive et large propagation à travers la majeure partie de l'actuelle Afrique du Nord et son adoption conséquente par les populations de la région (29) qui en sont, assurément, ses principaux promoteurs sous son appellation contemporaine : « daridja ». Cette langue parlée dans tout le Grand Maghreb des peuples, d'où son autre appellation adéquate le « maghribi » qui est néanmoins trop souvent l'objet d'une traduction simpliste indique notre linguiste, précisant: « on a traduit «darija» par «dialecte», alors que «vernaculaire» aurait été bien plus pertinent (...). Or le mot «dialecte», surtout en français, renvoie à [ des] langues régionales », et « c'est à partir d'une telle représentation que des notions comme «lughat el-chari3» («langue de la rue»), «lughat el-sôq» («langue du marché»), etc. ont été accolées à la darija », ainsi qualifiée alors qu'il s'agit-là d'un des niveaux de langue de l'idiome du maghribi , en l'occurrence celui du « relâché », et qui « permet également d'accéder à des registres bien plus élaborés, à l'instar du « malhûn », par exemple », comme le souligne Abdou Elimam, sachant que les registres linguistiques, suivant les « usages et les contextes sociologiques nous imposent des «façons de parler» qui ne sont pas les mêmes : registre standard, en réalité «registre relâché», registre soutenu (avec un choix de mots rares et scientifiques, par exemple ». Pour rappel, « c'est de cette répartition des fonctions que l'arabe et le maghribi ont permis de faire naître une culture maghrébine qui se distingue de la culture du Machrek par maints traits », indique Abdou Elimam, observant « (...) C'est bien parce que l'arabe ne s'identifie qu'à un registre unique que le recours aux langues populaires (lughat el-3ammiya) a constitué un des éléments précieux de stabilisation de la société arabo-musulmane. Où que vous irez, vous rencontrerez ce phénomène de dualité linguistique : en Arabie (najdi ou hidjazi + arabe), en Palestine/Jordanie (falistini+ arabe), en Irak (iraki + arabe), en Tunisie (tounsi + arabe), au Maroc (moghrabi + arabe), en Egypte (masri + arabe), en Algérie (darija + arabe), etc. L'opposition [langue locale vs. langue arabe] n'a pas d'assises, ni historiques ni sociologiques (...) D'ailleurs les langues locales du monde arabe (qoraychi, falistini, masri, moghrabi, etc.) existaient bel et bien avant l'avènement du Coran et l'émergence de la norme arabe (VIIe siècle) » (30). Aussi, toutes ces langues, soudainement devenues des «dialectes» de l'arabe, appartiennent, en fait toutes, à la famille des langues sémitiques (au même titre que l'arabe, l'hébreu, l'araméen, le syriaque, le punique, etc.). De façon plus claire, conclut Abdou Elimam, « notre langue majoritaire, la darija/maghribi est une évolution du punique au contact de l'arabe ; elle n'est pas de l'arabe. En effet plus de 60% de notre langue (mots, verbes, expressions, etc.) étaient déjà disponibles dans la langue punique (entre 800 av. JC. et le VIe siècle de notre ère). Par contre, au même titre que l'arabe, elle fait partie des langues sémitiques.» Et notre linguiste de mentionner à juste titre « on voit bien que la protection de la darija - en consacrant cette dernière dans la nouvelle mouture de la Constitution - devient un acte de survie d'une culture dont nous sommes devenus les fossoyeurs, malgré nous. Accepter d'admettre la darija en tant que langue à part entière sera un grand pas de franchi vers la reconstruction de notre cohésion socioculturelle, vers notre algérianité », (31). *Auteur-journaliste indépendant (1) Gabriel Camps, Les Numides et la civilisation punique, Ibid. (2)Abdou Elimam ENSET ? Oran- 1. Echos d'histoire des langues natives -Synergies Tunisien° 1 - pp. 25-38 (2009). (3) Ibid. (4) Voir Abdou Elimam, Le Maghribi alias « ed-daridja » (La langue consensuelle du Maghreb, Editions Dar el gharb, Oran, Algérie2003. (5)Voir Ferguson ,1959 (p. 340), Hary benjamin, 2003 (p. 68), et, plus généralement les linguistes moyen-orientaux lorsqu'ils désignent le vernaculaire sémitique nord africain. (6) Voir Le Maghribi (La langue consensuelle du Maghreb), Ibid. (7) Voir Le Maghribi (La langue consensuelle du Maghreb),Ibid. (8) Voir Le Maghribi (La langue consensuelle du Maghreb), Ibid. (9) Voir Le Maghribi (La langue consensuelle du Maghreb),Ibid. (14-26). (10) Salem Chaker, Système d'écritures berbères, 1984, (p. 30) (11) Abdou Elimam Ibid (12)Soit « daridja », Pour plus d'information, se reporter à notre ouvrage, Le maghribi, alias ed-darija, 2003 (13) Voir Synergies Tunisie n° 1 - Ibid. (14) Voir Chems Eddine Chitour, Algérie le passé revisité, (Casbah Editions, Alger 1998, 2004). (15) Voir René Dussaud : « Les religions des Hittites et des Hourrites, des Syriens et des Phéniciens », (p. 384), P.U.F, Paris 1945. (16) Inscriptions épigraphiques phéniciennes et numides, Revue Africaine Vol. n°49, (p. 370-371), publiée par La Société Historique Algérienne, Alger 1905 ; Réédition : Office des Publications Universitaires, 1, Place Centrale de Ben Aknoun (Alger). (17) Inscriptions épigraphiques numidiques de Sidi Arath, par le général Faidherbe, Revue Africaine Vol. n°49, (p. 370-371), publiée par La Société Historique Algérienne, Alger 1905 ; Réédition : Office des Publications Universitaires, 1, Place Centrale de Ben Aknoun (Alger). Ibid. (18) Inscriptions épigraphiques numidiques de Sidi Arath, Ibid. (19) Inscriptions épigraphiques numidiques de Sidi Arath, Ibid. (20). Voir Slouch, Archiv. Du Maroc, XIV, p. 56, (1912 ?), cité par Chems Eddine Chitour dans son ouvrage Algérie le passé revisité, p.33, (Casbah Editions, Alger 1998, 2004). (21) Voir L.Rinn, Essai d'études linguistiques et ethnologiques sur l'origine des Berbères, Revue Africaine, p. 115, Vol. 33, 1889, cité par Chems Eddine Chitour, dans son ouvrage Algérie le passé revisité, p.34, (Casbah Editions, Alger 1998, 2004). (22) Voir article de Fella Aribi, Sétif Info, mis en ligne par N.Boutebna (samedi 26 avril 2008, (23) Voir Site Net « publication: 07/11/2015/ 17h29 CET Mis à jour: 07/11/2015 17h29 CET). (24) Réf. Article de Gabriel Camps, Les Berbères, 1980 et 1987, éditions Errance, p. 110-111). (25) Serge Lancel, Carthage, Paris, Fayard, 1992, p. 587 (26) en « Punic » (archive) sur Omniglot) (27) El Bekri cité par Georges Marçais dans son ouvrage, La Berbérie musulmane et l'Orient au Moyen âge », dans chap. III « Le peuple d'Ifriqiya », pp. 173-178, Editions Montaigne), Paris 1946, Rééditions Afrique-Orient, (Casablanca-Beyrouth 2003). (28) Abdou Elimam Ibid. (29) Voir contribution du linguiste Abdou Elimam « La darija, une langue distincte mais solidaire de l'arabe », dans Le Soir d'Algérie du 9 juillet 2020, auteur de travaux de recherches sur le Maghrébi et de plusieurs études et ouvrages sur le sujet dont la récente publication «Après tamazight, la darija», Editions F. Fanon, 2020. (30) Voir contribution du linguiste Abdou Elimam « La darija, une langue distincte mais solidaire de l'arabe », Ibid. (31) Voir contribution du linguiste Abdou Elimam « La darija, une langue distincte mais solidaire de l'arabe », Ibid. |
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