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L'Occident et le reste du monde « mondialisés », malgré eux, dans un « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes » (Voltaire)

par Medjdoub Hamed*

Pour comprendre ce qui va se passer dans un proche avenir sur le plan économique mondial, il y a une nécessité absolue de se référer aux crises passées et montrer qu'en fait, tout est agencé dans le développement économique mondial. Sans une analyse économique aussi précise que possible des développements passés, l'humanité ne pourrait se projeter et anticiper les forces économiques en puissance, et donc des développements futurs de l'économie-monde.

Il faut aussi se dire que tout ce qui arrive à l'humanité est comme l'a écrit Voltaire « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Dans « Candide », Voltaire, s'adressant au philosophe allemand Leibniz, cherche à donner une vision optimiste du monde. « Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.

Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes [...] il fallait dire que tout est au mieux. »

Précisément, le monde est ainsi conçu, il y a des nations pauvres que la Banque mondiale classe pays à faible revenu, des nations moins pauvres à moyen classé à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et de moyen à moins riche classé à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, et enfin la classe riche à très riche dite à revenu élevé. Donc, quelle que soit la posture que l'on prend vis-à-vis de cet ordre mondial qui est donné, et donc ainsi fait, personne n'y peut rien, sauf qu'il y a des forces économiques qui font évoluer l'humanité et, par conséquent, transforme l'ordre économique mondial. Et, par cette évolution, ces forces nonobstant les desseins des grandes puissances visent en fait à repousser toujours plus la pauvreté.

Pour étayer cette approche, prenons la crise financière de 2008. Tentons de voir s'il n'y a pas un processus herméneutique de cause à effet entre cette crise sanitaire qui a bouleversé l'Occident et le monde, et provoqué une récession et une forte dépression économique inattendue et difficile à prévoir tant elle sortait du contexte des crises économiques habituelles. Que l'on peut même assimiler à une « crise dépressive corrective de l'économie mondiale » - c'est très important de le spécifier ainsi. Précisément, c'est dans un certain sens ce qui se passe aujourd'hui avec le confinement d'environ 4 milliards d'êtres humains dus à la crise sanitaire, et sur les développements économiques qui suivront normalement dans l'après-Covid-19. Et on peut même dire qu'ils seront inéluctables pour l'ensemble des économies du monde.

Mais auparavant, il est intéressant de s'imprégner des analyses de deux économistes mondialement connus.

1. Analyses de Joseph Stiglitz et de Dominique Strauss-Kahn de la situation économique du monde dans le contexte du Covid-19

J. Stiglitz, prix Nobel en 2001 et ancien vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale, donne une analyse sur les perspectives économiques pour les pays émergents et en développement : « NEW YORK - Dans les économies avancées du monde, la compassion devrait être une motivation suffisante pour soutenir une réponse multilatérale. Mais une action mondiale est aussi une question d'intérêt. Tant que la pandémie fait toujours rage partout, il constituera une menace - à la fois épidémiologique et économique - partout également.

L'impact du Covid-19 sur les économies en développement et émergentes a à peine commencé à se révéler. Il y a de bonnes raisons de croire que ces pays seront beaucoup plus fortement impactés par la pandémie que les économies avancées. [...]

Un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement datant du 30 mars offre un premier aperçu de ce qui attend les pays émergents et les économies en développement. Les plus dynamiques d'entre eux basent leur croissance sur les exportations, qui s'effondreront inévitablement avec la contraction de l'économie mondiale. Sans surprise, les flux d'investissements mondiaux sont en chute libre, tout comme les prix des matières premières, ce qui indique de gros problèmes à venir pour les pays exportateurs de ressources naturelles.

Ces développements se reflètent déjà dans les écarts de rendement sur la dette souveraine des pays en développement. Pour de nombreux gouvernements, il sera extrêmement difficile de refinancer leurs dettes arrivant à échéance cette année à des conditions raisonnables, voire de les refinancer tout court.

De plus, les pays en développement d'options moins nombreuses et plus difficile pour faire face à la pandémie. Quand les gens dépendent de leur travail pour manger au quotidien en l'absence de protection sociale adéquate, une perte de revenu pourrait signifier la famine. Pourtant, ces pays ne peuvent pas reproduire la réponse des États-Unis, qui ont mis en œuvre (à ce jour) un ensemble de mesures économiques de 2 billions de dollars qui va faire exploser le déficit budgétaire de quelque 10% du PIB (en plus d'un déficit pré-pandémique de 5%).

A la suite d'un sommet d'urgence virtuel le 26 mars, les dirigeants du G20 ont publié un communiqué s'engageant « à faire ce qu'il faut et utiliser tous les outils politiques disponibles pour minimiser les dommages économiques et sociaux de la pandémie, rétablir la croissance mondiale, maintenir la stabilité du marché et renforcer la résilience ». À cette fin, au moins deux choses peuvent être faites pour améliorer la situation désastreuse dans les pays émergents et en développement.

Tout d'abord, il faut utiliser à plein régime les droits spéciaux de tirage (DTS) du Fonds monétaire international, une forme de « monnaie mondiale » que l'institution a été autorisée à créer à sa fondation. Le DTS est un ingrédient essentiel de l'ordre monétaire international que John Maynard Keynes a préconisé lors de la Conférence de Bretton Woods de 1944. L'idée est que, puisque tous les pays voudront évidemment protéger leurs propres citoyens et économies en période de crise, la communauté internationale puisse disposer d'un outil pour aider les pays les plus nécessiteux sans mettre à contribution les budgets nationaux déjà sous tension. [...]

Il est également essentiel que les pays créanciers aident en annonçant une suspension du service de la dette des économies émergentes et en développement. [...]

Pourquoi les créanciers devraient-ils être autorisés à continuer à recevoir des revenus, en particulier lorsque les taux d'intérêt qu'ils facturent devraient déjà avoir créé un tampon suffisant contre le risque ? Si les créanciers n'accordent pas une telle suspension, de nombreux débiteurs sortiront de la crise avec plus de dette que ce qu'ils ne pourront jamais rembourser. [...]

Dans de nombreux pays émergents et en développement, le seul choix possible du gouvernement est soit de diriger moins de ressources vers les créanciers étrangers, soit d'accepter que plus de citoyens meurent. De toute évidence, la deuxième option sera inacceptable pour la plupart des pays, de sorte que le seul véritable choix pour la communauté internationale est entre une suspension ordonnée ou désordonnée. Le second scénario créerait inévitablement de fortes turbulences et des coûts de grande ampleur pour l'économie mondiale. » (1)

Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur du FMI, lui aussi donne une analyse sur les perspectives économiques des pays émergents et en développement.

« Pour les pays les plus fragiles, la pandémie s'annonce catastrophique. Un certain nombre d'exportateurs de matières premières, et au premier plan les producteurs de pétrole, entrent dans la crise avec un niveau insuffisant de réserves en devises. Le prix du baril est passé sous les 20 dollars, et celui du cuivre, du cacao et de l'huile de palme s'est effondré depuis le début de l'année. Pour les pays bénéficiant largement d'envois de fonds depuis l'étranger, 2020 pourrait voir la consommation et l'investissement se contracter violemment. Quant aux destinations touristiques, celles-ci devront survivre à un arrêt quasi total de l'activité économique en première partie d'année.

Ce revers économique risque de replonger des millions de personnes de la « classe moyenne émergente » vers l'extrême pauvreté. Or, plus de pauvreté, c'est aussi plus de morts. Les pays africains sont plus jeunes, mais aussi plus fragiles, avec des taux de malnutrition, ou encore d'infection HIV, ou de tuberculose les plus élevés au monde, ce qui pourrait rendre le coronavirus encore plus létal. De plus, là où les pays développés peuvent adopter des mesures de confinement drastiques, cela est souvent impossible dans des contextes de bidonvilles urbains surpeuplés, où l'eau courante est difficilement accessible et où s'arrêter de travailler ou d'aller au marché pour acheter des denrées n'est pas une option. L'expérience d'Ebola a montré que la fermeture des écoles - adoptée par 180 pays dans le monde - se traduit souvent par un abandon définitif de la scolarité, des grossesses non voulues, et une éducation sacrifiée pour une génération d'élèves. [...]

La riposte a commencé et les Banques centrales jouent leur rôle en inondant le marché de liquidités. Contrairement à la crise de 2008, ces dernières se sont montrées particulièrement rapides et coordonnées. [...]

Les interventions non conventionnelles se déploient en reprenant les instruments développés depuis 2008. [...]

Mais ceci n'atteindra que par ricochet les économies émergentes qui ne disposent pas d'une Banque centrale susceptible de remplir ce rôle. En revanche, il est possible d'utiliser un mécanisme qui a déjà fait preuve de son efficacité dans la crise financière mondiale : les Droits de Tirage Spéciaux du FMI. Rien n'empêche de les réactiver ; rien, sauf l'allergie américaine à tout ce qui ressemble à une action multilatérale, allergie que la tiédeur des Européens n'aide pas à contrebalancer. Allègement des dettes des pays à bas revenus et émission massive de DTS sont aujourd'hui un passage obligé pour contribuer à éviter une catastrophe économique dont les conséquences rejailliront au-delà des rives de la Méditerranée.

Avant la crise actuelle, l'Europe avait déjà le plus grand mal à gérer l'afflux de quelques centaines de milliers de migrants se pressant à ses portes. Qu'en sera-t-il lorsque, poussés par l'effondrement de leurs économies nationales, ils seront des millions à tenter de forcer le passage. Même si cela peut sembler éloigné de l'urgence présente, même si les opinions publiques ont d'autres soucis à faire valoir, il est du devoir des gouvernants de prévoir les crises après la crise. Pour les Européens, faire bloc pour étendre l'efficacité des mesures monétaires qu'ils prennent pour eux-mêmes aux pays émergents à commencer par l'Afrique est une nécessité absolue. » (2)

Bien sûr, les analyses des deux économistes sont généreuses, mais seront-ils écoutés ? Vraisemblablement non. Tout au plus les puissances financières consentiront-elles à faire un geste pour les pays à faible revenu vu que, de toute façon, elles ne pourront pas recouvrer leurs créances. Alors qu'en sera-t-il de la situation économique à venir des pays émergents et en développement ?

2. Brève rétrospective sur les grands événements économiques qui continuent à marquer le monde

Il est impératif de procéder à une rétrospective aussi précise et succincte que possible pour avoir une idée sur ce qui a prévalu il y a quatre décennies pour arriver à la crise sanitaire que vit le monde aujourd'hui.

Aussi remontons l'histoire économique à l'essor qu'a pris le monde au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Et surtout l'économie occidentale qui aura un impact majeur sur les pays du reste du monde, avec la nouvelle donne l'entrée des pays décolonisés d'Afrique et d'Asie dans le commerce mondial.

L'aide du plan Marshall, l'effacement d'une partie des dettes, les États-Unis ont joué un rôle prépondérant dans la reconstruction de l'Europe qui, reprenant progressivement ses parts de marché dans le monde, a commencé à peser sur le commerce mondial. Les grands pays d'Europe ont procédé, en 1958, à la convertibilité de leurs monnaies en or. Le change fixe mis en place depuis les Accords de Bretton Woods, aux États-Unis, en 1944, où seul le dollar était indexé directement à l'or à 35 dollars l'once, et les autres monnaies indexées au dollar, sera bouleversé par les nouvelles monnaies européennes converties elles aussi directement à l'or. Une situation qui va amener les États-Unis, dans un contexte de guerre froide et de guerre notamment au Vietnam, à user de plus en plus de la « planche à billets » pour financer leurs déficits extérieurs.

C'est ainsi que des crises monétaires apparurent entre les États-Unis et les pays d'Europe dans les années 1960. Après des accords pour aplanir les difficultés entre les puissances alliées, les États-Unis, procédant toujours à des émissions monétaires pour financer leurs déficits commerciaux avec l'Europe, sans qu'ils ne puissent les convertir en or, suspendent la convertibilité du dollar en or, le 15 août 1971. Leur stock d'or ayant fortement diminué, la suspension devient en fait définitive à partir de cette date.

Une situation que les pays d'Europe ne pouvaient accepter puisque désormais leurs exportations de biens vers les États-Unis seraient réglées par des dollars qui n'étaient plus adossés à l'or, et donc un surplus de dollar émis ex nihilo (sans contreparties productives) à la seule discrétion de la Réserve fédérale américaine. Les pays d'Europe, devant la décision unilatérale américaine, abandonnent le change fixe et optent pour le « change flottant ».

Dès lors, la situation devient difficile pour les États-Unis puisque continuer à financer leurs déficits commerciaux par la création monétaire ne fera que déprécier le dollar US sur les marchés monétaires. Le change flottant en fait protège les pays d'Europe. La « loi de l'offre et la demande » qui va déterminer les taux de change des devises fera déprécier toute monnaie en excès sur les marchés monétaires. Les États-Unis, confrontés à la dépréciation de leur monnaie, se trouveront astreints à diminuer leurs importations en provenance d'Europe et du Japon, et donc à résorber leurs déficits extérieurs.

Mais, en 1973, coup de théâtre. En pleine guerre avec Israël (quatrième guerre israélo-arabe), les pays arabes décrétèrent un embargo pétrolier contre les États-Unis et relevèrent le prix du baril de pétrole de 3 à 13 dollars. En réalité, en entente avec l'Arabie saoudite pour facturer leurs exportations pétrolières en dollar, les États-Unis ont trouvé la parade pour obliger les pays d'Europe et le Japon à acheter des dollars sur les marchés monétaires pour le règlement de leurs importations pétrolières en provenance des pays arabes. Et la facturation en dollar du pétrole exporté s'est étendue à tous les pays du cartel pétrolier (OPEP). Une clause cependant dans cette entente saoudo-américaine, les excédents commerciaux (pétroliers) des pays arabes doivent être investis en titres publics américains (bons de Trésor, obligations d'État) pour financer les déficits courants américains.

Un point important qu'il faut souligner, c'est que le quadruplement du prix de pétrole en 1973 et le triplement du prix en 1979 ont dopé l'économie mondiale puisqu'ils ont permis de maintenir les États-Unis en moteur de l'économie mondiale, et plus encore les économies européenne et japonaise en tant que pays émetteurs de monnaies internationales. Sans oublier un troisième moteur les pays exportateurs de pétrole qui ont bénéficié de la hausse des cours pétroliers.

Comme le montrent les pays d'Europe et le Japon qui sont aussi détenteurs de monnaies internationales. Dès lors qu'ils enregistrent des déficits commerciaux dus à la hausse du prix du pétrole, ils utilisent à leur tour la « planche à billets » pour financer (monétiser) leurs déficits extérieurs. Ce qui a entraîné des fluctuations des taux de change. Ainsi, par le biais des émissions monétaires, et les dépréciations de leurs monnaies qui s'ensuivent, un processus de balancier d'émissions monétaires s'opère de part et d'autre de l'Atlantique pour financer leurs déficits extérieurs. Il repose sur les déficits commerciaux des États-Unis financés par les pétrodollars et la réplique des pays d'Europe et du Japon.

Le seul inconvénient dans ce financement a été la forte inflation qui a résulté de ces émissions monétaires. Si les Banques centrales de part et d'autre de l'Atlantique se sont trouvées à injecter massivement des liquidités monétaires pour dépasser les crises, et ces masses de liquidités monétaires ont certes permis une forte croissance économique à l'ensemble des pays du monde, à l'exception de l'année 1974 pour l'Europe, il demeure qu'une spirale de l'inflation constituait un danger pour l'économie mondiale. Une hausse effrénée des prix des biens et services ne pouvait que détruire le capital, et donc les économies du monde entier.

Pour la clause imposée dans les placements des excédents commerciaux des pays arabes en bons de Trésor américains, il faut se dire que si, par exemple, les excédents des pays pétroliers arabes n'étaient pas investis en bons de Trésor, que ceux-ci étaient investis en Europe et au Japon, le retour des dollars sur les marchés monétaires ne fera qu'annuler le processus des pétrodollars. Donc, par une dépréciation marquée et continue de leur monnaie, les États-Unis seraient amenés à cesser les émissions monétaires ex nihilo et à ne plus répercuter leurs déficits commerciaux sur le reste du monde. Ils perdront le « droit de seigneuriage » que leur accordent les transactions pétrolières des pays arabes qui ne seraient plus fonctionnelles. La situation de l'économie américaine sera alors néfaste pour l'économie mondiale. Force donc de dire que les États-Unis ont un rôle central dans l'économie mondiale, et les pays d'Europe et le Japon, en tant que détenteurs de monnaies internationales, ont aussi un « droit de seigneuriage » sur le monde, qui est certes moindre mais non moins réel.

Cependant, cette situation n'est positive tant qu'il n'y a pas une forte inflation due aux émissions monétaires. Précisément, le processus monétaire est battu en brèche à la fin des années 1970. Une forte inflation en est ressortie et qui a complètement changé les donnes. A deux chiffres en 1979, la Fed américaine, pour lutter contre elle, a été obligée d'augmenter drastiquement le taux d'intérêt directeur à court terme, le faisant passer de 10% à 20%. Cette hausse brusque et drastique a mis une grande partie des économies du monde dans une situation d'endettement critique. Beaucoup de pays se sont trouvés en situation insolvable et ont fait appel au FMI.

De plus, les cours pétroliers qui étaient au sommet couplés au fort taux de change du dollar américain ont porté aux nues l'endettement mondial. L'Europe et le Japon ont été touchés à la fois par la hausse du prix du pétrole (deuxième choc pétrolier), l'appréciation du dollar US et la fuite des capitaux vers les États-Unis (attirés par la hausse du taux d'intérêt américain). En revanche, les États-Unis n'ont pratiquement pas souffert de la crise pétrolière sauf pour l'année 1982 (due à la hausse des taux d'intérêt). Quant à la hausse du prix du pétrole facturé en dollars, il ne tenait qu'à la Fed d'en émettre.

D'autre part, la politique monétaire restrictive de la Fed américaine ne laissait aucune marge de manœuvre, sur le plan monétaire, à l'Europe. Toutes injections de liquidités pour monétiser leurs déficits pétroliers étaient sanctionnées par les marchés. C'est ainsi que le franc français est passé de 4,066388 FR/USD, en décembre 1979, à 10,111696 FR/USD, en mars 1985. Le change du dollar a plus que doublé. Le deutschemark de 1,735014 DEM/USD, en décembre 1979, à 3,110070 DEM/dollar, en mai 1985. La livre sterling 0,454852 GBP/USD, en décembre 1979, à 0,911996 GBP/USD, en février 1985. (3)

3. Le tournant de l'économie mondiale et les transformations géopolitiques dans les décennies 1980 et 1990

Il faut dire que, malgré les frictions internes, l'Occident a globalement réussi face au reste du monde qui s'est trouvé endetté. Le succès de la politique monétaire et financière, la dépendance du reste du monde des marchés financiers et l'endettement mondial ont amené naturellement les États-Unis et l'Europe à opter pour la « dérégulation de leurs systèmes financiers ». Qu'ils trouvaient rentable puisque libéraliser la finance mondiale, déréguler les marchés financiers leur permettaient, grâce au recyclage des pétrodollars et à l'endettement, d'avoir un moyen de contrôle sur le reste du monde.

Des continents entiers (Afrique, Amérique du Sud, une partie de l'Asie et le bloc socialiste de l'Est) ployaient sous le poids de la dette. Une situation de marasme et de faillite économique pour un grand nombre de pays dans le monde va provoquer, en 1986, un contrechoc pétrolier. Comme aujourd'hui avec le confinement d'une grande partie du monde suite à l'irruption de la pandémie, le Covid-19. Le prix du baril de pétrole a faibli jusqu'à atteindre 10 dollars.

Mais cette situation d'endettement mondial pour les pays occidentaux et la force hors norme du taux de change du dollar vont atteindre des limites. En effet, en 1985, les grands pays occidentaux, prévoyant le retournement pétrolier, ont programmé l'atterrissage en douceur du dollar. Les Accords de Plaza, à New York, le 22 septembre 1985, prévoyant des mesures concertées des grandes Banques centrales occidentales, amèneront un repli ordonné du dollar. Le taux de change moyen du dollar/franc passe de 8,665503 FR/USD, en septembre 1985, à 6,680336 FR/USD, en septembre 1986.

Cependant, avec le contrechoc pétrolier, les États-Unis ne pouvaient que continuer à financer leurs déficits commerciaux. Comme le prix du pétrole était trop bas, et ne pouvait absorber le surplus de création monétaire de la Réserve fédérale (Fed), le dollar n'a pas cessé de se déprécier. Il baissera encore, pour atteindre, en janvier 1987, la valeur de 6.204615 FR/USD. Même évolution avec le deutschemark et la livre sterling. (3) Pour arrêter sa dépréciation, les pays du G5 (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne de l'Ouest, Japon, France) s'entendent pour stopper la baisse du dollar. Ils signent les Accords du Louvre, à Paris, le 22 février 1987. Mais si ces Accords vont atténuer la dépréciation du dollar, le problème dans le fond n'est toujours pas réglé, les États-Unis affichant toujours des déficits commerciaux récurrents.

Il faut rappeler qu'avec l'affaiblissement du dollar, en 1987, les taux d'intérêt des titres d'État (emprunts publics, bons de Trésor) à long terme ont commencé à remonter. De 7% en janvier, les taux des T-Notes à 10 ans passent à 9,50% à la fin du mois de septembre. Ce qui signifie que les investisseurs demandent un taux d'intérêt plus important pour les achats de titres publics compte tenu du risque de change, ce qui a poussé les cours des emprunts d'État à la baisse de 17%. Malgré les Accords du Louvre, les investisseurs ont tous les yeux rivés sur les déficits commerciaux américains et sur la baisse du taux de change du dollar.

En octobre 1987, la situation économique entre les États-Unis et l'Allemagne s'emballe. Devant les déficits américains qui ne cessent de se creuser, le 14 octobre 1987, l'Allemagne fédérale, craignant une fuite de capitaux vers les États-Unis, anticipe et relève le taux d'intérêt directeur court, de 3,5% à 4%. En riposte, le jour suivant, le 15 octobre 1987, les États-Unis relèvent, à leur tour, le taux d'intérêt directeur de 9,25% à 9,75%, et annoncent une augmentation de la masse monétaire (5,7 milliards de dollars). Le secrétaire d'État au Trésor, James Baker, parle d'une possible baisse du dollar en réponse du relèvement du taux d'intérêt en Allemagne fédérale.

Le 19 octobre 1987, une injection massive de liquidités en dollars par la Fed créé une panique des investisseurs - peur d'un effondrement du dollar - et des retraits massifs de capitaux se sont opérés, se soldant par un krach de Wall Street, le même jour. La panique a amené tout le monde à vendre leurs titres ne creusant en fait que plus leurs pertes. Selon les médias de l'époque, 1000 milliards de dollars de capitalisation boursière se sont évaporés en une journée. Le marché obligataire a subi de fortes corrections, les cours des titres publics emprunts d'État ont fortement baissé provoquant des pertes considérables aux investisseurs, les emprunts d'État américains à 10 ans atteindront ainsi 11% de rendement.

Il a fallu le voyage éclair du nouveau gouverneur de la Fed, Alan Greenspan, et du secrétaire américain du Trésor, James Baker, pour rencontrer en Allemagne le ministre allemand de l'Economie, Gerhard Stoltenberg, et le président de la Bundesbank, Karl Otto Poehl, pour trouver un compromis, enrayer la baisse du dollar et mettre fin à la crise. Et l'annonce du président de la Fed, Alan Greenspan qui fait savoir que la Réserve fédérale est prête à servir de source de liquidités pour soutenir l'économie américaine. Ce qui s'opéra par la reprise des Bourses du monde stimulées par une baisse du taux d'intérêt américain et par une intention déclarée du Pt Reagan pour rechercher avec le Congrès le moyen de réduire le déficit budgétaire. Le rendement des emprunts d'État américains à 10 ans commençant à baisser et les cours des emprunts publics de nouveau à remonter.

Que peut-on dire de cette crise d'octobre 1987 ? Elle constitue un tournant à la fois pour l'économie occidentale et pour le monde. En effet, elle sera suivie en octobre 1989 d'une autre crise boursière provoquée par les junk bonds (obligations pourries). Mais c'est le Japon qui sera le plus touché en 1990 par la plus grave crise immobilière et financière de son histoire. Et cette situation a débuté depuis la réévaluation de sa monnaie par les accords de Plaza, le taux de change du yen est passé de 236,739103, en septembre 1985, à 127,701089 JPY/USD, en février 1989. (3) Une hausse du taux de change qui fait replier l'économie du Japon sur elle-même, eu égard à la perte de compétitivité dans le commerce mondial. L'indice-phare de la Bourse de Tokyo, le Nikkei 225, est passé, suite à la crise immobilière interne, de son sommet historique à 38 957,44, le 29 décembre 1989, à 15 000, en 1992. Après plus de deux décennies depuis la crise de 1990, le Japon est toujours enlisé dans la déflation.

Et le Japon n'est pas seul dans ces bouleversements politiques et économiques dans le monde. Non seulement une situation difficile de l'économie mondiale suite aux chocs successifs (contrechoc pétrolier, krachs boursiers, crise immobilière, endettement mondial) mais de profonds changements géopolitiques dans le monde l'attestent : 1. Démocratisation forcée des pays d'Amérique latine (économies insolvables) ; 2. Chute du mur de Berlin, en 1989 et dislocation et disparition de l'Union soviétique, en décembre 1991 (crise économique majeure dans le bloc socialiste de l'Est) ; 3. Éclatement de la Fédération de Yougoslavie, en 1992 (idem crise économique qui a remis en cause l'État socialiste fédéral) ; 4. Guerre contre l'Irak pour libérer le Koweït, en réalité les États-Unis se préparaient à fonder un ordre unipolaire ; 5. La Chine se convertit au socialisme de marché, en 1980 ; 6. Le Japon naguère miracle japonais va se trouver enlisé dans la déflation pendant plus de deux décennies depuis la crise de 1990. Et il n'en est toujours pas sorti aujourd'hui.

Comme si cette situation de dépression économique mondiale était « nécessaire » parce qu'elle devait opérer de profonds changements géopolitiques qui sont en fait « inscrits dans les progrès de l'humanité ». Sans même que les puissances en prennent conscience et donc ne puissent s'y opposer puisque leurs projections comme leurs ambitions sont utilisées à cette fin pour avancer toujours plus l'humanité.

4.L'Occident et le reste du monde « mondialisé » malgré eux et dans un « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes »

La décennie 1990 sera très prolixe en événements. En plus des événements cités supra, il faut encore mentionner la régionalisation de plus en plus poussée du monde. De grands ensembles géopolitiques et géoéconomiques se forment. Le monde n'était plus assuré économiquement de son individualisation qui a éclaté par l'évolution de l'architecture mondiale. Pour les pays épars, il était nécessaire de réaliser des unions économiques pour affronter les autres blocs économiques. L'Union européenne en était un bon exemple à suivre dans la nouvelle configuration du monde.

Ce paradigme s'appliquera même aux États-Unis. La crise de l'endettement mondial et les conséquences qui ont suivi sur le triple plan économique, financier et monétaire qu'ont rencontrées les États-Unis, pourtant première puissance du monde, les ont poussés à copier l'Europe. Ils se sont engagés dans une vaste zone de libre-échange, à l'échelle sous-continentale. En s'unissant au Canada et au Mexique dans l'ALENA, les États-Unis entendent renforcer leur économie et celles de leurs voisins immédiats pour opposer une zone nord-américaine aux autres zones régionalisées. Le traité de l'ALENA est entré en vigueur le 1er janvier 1994. La Fédération de Russie a fait de même avec la CEI (Communautés des États indépendants).

En Europe, l'organisation à l'échelle communautaire s'est affinée. Le traité de Maastricht en 1992 institue une Union européenne et prévoie le lancement d'une zone monétaire, la zone euro. Le 1er janvier 1999, la monnaie unique, l'euro, devient une réalité.

En Asie, une zone de libre-échange de l'ASEAN est lancée en 1992, à Singapour, entre les pays membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est. Puis l'ASEAN Plus TROIS (Corée du Sud, le Japon et la Chine) en mai 2000 à Chiang Mai. Tous ces marchés régionaux visent à faire front à la nouvelle donne du monde, la « mondialisation ».

L'Amérique du Sud se régionalise aussi. Une communauté économique regroupe plusieurs pays d'Amérique du Sud, le MERCOSUR est lancé en 1991. Seuls les pays arabes et africains manquent à l'appel. Les regroupements économiques dans le monde arabe et africain sont encore au stade de balbutiement. Ainsi constate-t-on que régionalisation du monde à marche forcée témoigne que le monde est devenu à la fois trop petit et trop complexe.

Cette régionalisation est marquée par une nouvelle donne, la troisième révolution industrielle, c'est-à-dire les Nouvelles technologiques de l'information et de la communication (NTIC). Internet constitue aujourd'hui un formidable instrument mondial d'information, de communication, d'une base de données unique au monde. Dans toutes les langues, dans toutes les disciplines scientifiques, technologiques, économiques, financières, monétaires, militaires, culturelles, médicales..., il contribue fortement au rapprochement des peuples. Un simple clic et tout individu a toutes les informations sur le monde, qui se comptent par milliers, de centaines de milliers voire des millions de sites qui donnent des analyses, des renseignements et des explications sur n'importe quel domaine de la vie humaine. Internet fait désormais partie du quotidien des hommes. Facebook, Twitter, Linkedin des réseaux sociaux ont changé la vie des êtres humains. L'humanité est ouverte comme jamais par l'interconnexion qu'ont permis les progrès de la communication.

La nouvelle donne, la libéralisation financière (investissements massif américains, européens, japonais et des pays riches asiatiques), en droite ligne des progrès des NTIC, a fait des prodiges. C'est elle qui a permis le transfert d'entreprises américaines, européennes, japonaises, sud-coréennes, taïwanaises.., i.e. des délocalisations qui ont été impératives parce qu'elles n'étaient pas rentables en Occident mais rentables en Asie, particulièrement en Chine, où les coûts de la main-d'œuvre étaient très faibles. Cette libéralisation, en l'imageant, a joué comme un courant convectif entre une « masse d'air chaude humaine » au fort réservoir démographique à faible revenu surplombant une « masse d'air froide humaine » au faible réservoir démographique à revenu élevé ajusté à un coût de main-d'œuvre élevé.

Ce transfert d'activités entre les deux pôles a permis un cycle de croissance économique vertueux, entre 1993 à 2000 dans le monde. Il permettra de dépasser les récessions économiques en Occident entre 1991 et 1993. En fait, c'est le reste du monde qui, tirant profit des entreprises délocalisées et des capitaux occidentaux et donc plus favorisé, qui tirera la croissance économique occidentale. Bien que les pays occidentaux délocaliseront une partie de leurs entreprises et y investiront leurs capitaux, ils tireront aussi la croissance mondiale surtout par la consommation. Et ce sont ces échanges entre Occident-reste du monde et la production et la consommation mondiale qui suivra et satisfera les deux pôles qui auront permis la mondialisation économique et financière du monde.

Tony Blair déclara un jour que les délocalisations d'entreprises occidentales relèvent d'un processus naturel de l'Histoire. Certes, cela est vrai, elles ont suivi un cours naturel de l'évolution de l'humanité, mais il demeure que l'histoire n'agit que par ce qui est « nécessaire » et « exigé » pour les avancées de la marche de l'histoire de l'humanité. Ce qui ne dépend pas des hommes mais dépend de leur devenir.

Quand Voltaire écrit que « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes » ou encore « Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes », c'est tout simplement parce que le processus qui lie l'Occident au reste du monde est à la fois un, complémentaire et nécessaire dans le sens que cela devait être, cela devait survenir inévitablement. L'humanité ne commande pas son devenir. Et tout s'est opéré logiquement. L'Occident avait besoin du reste du monde, car sans lui il retournerait dans la dépression économique des années 1930 avec des dizaines de millions de salariés au chômage forcé, et le reste du monde de son côté avait besoin de l'Occident pour sa croissance et son rattrapage économique, et sans l'Occident, il resterait pauvre, sans progrès technologique.

La complémentarité était donc vitale pour les deux pôles et la prospérité pour le plus grand nombre. On comprend alors le sens philosophique de la sortie de Voltaire qui n'est qu'une expression de la marche « naturelle » et « obligée » du monde dans le sens qu'elle devait ainsi se produire.

L'humanité « ne se commande » que parce que l'essence du progrès qui la meut est inscrite en elle et l'universalise. Et dans ce « elle se commande », elle est aussi « commandée » pour ce « meilleur du monde » parce qu'elle est « un », et le progrès en elle la fera toujours avancer vers des devenirs, des destinées qu'elle aura à découvrir.

Si elle savait sa destinée, l'humanité ne serait alors plus l'humanité. Sachant son devenir, sachant ce qu'elle serait dans l'infinité des temps, l'humanité perdrait le sens même de son essence. Et c'est là le sens même de l'humanité de ne pas savoir, et ce pourquoi elle est, et donc « d'être, d'exister, de découvrir et se découvrir », et cela passe par le progrès du monde inscrit en elle, toujours ouvert aux possibles dans un monde possible et à venir.

5.Conclusion

Que nous réserve l'après-crise sanitaire que vit le monde aujourd'hui ? Qu'en sera-t-il de la croissance économique tant occidentale que pour le reste du monde ?

Ce qui est intéressant de relever c'est que la complémentarité entre les deux pôles économiques du monde sera toujours le vrai levier de la croissance économique et les mécanismes pour enclencher la croissance mondiale seront encore plus innovants mais relevant des mêmes principes macroéconomiques que ceux qui ont été utilisés avant la crise de la pandémie Covid-19. Et c'est ce qui donne à espérer que l'économie recommencera à croître très fortement dans les années à venir pour l'ensemble des pays du monde.

*Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective.

Notes :

1. « Les aspects internationaux de la crise », par Joseph Stiglitz. Le 6 avril 2020

https://www.project-syndicate.org/commentary/covid19-impact-on-developing-emerging-economies-by-joseph-e-stiglitz-2020-04/french

2. « L'être, l'avoir et le pouvoir dans la crise, par Dominique Strauss-Kahn ». Le 10 avril 2020

https://www.leclubdesjuristes.com/blog-du-coronavirus/libres-propos/letre-lavoir-et-le-pouvoir-dans-la-crise/

3. Historique Taux de change

http://fxtop.com/fr/historique-taux-change.php?