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La révolution algérienne est
une chance historique exceptionnelle dont on devrait se glorifier. Sa première
réalisation concrète et effective se trouve dans l'unité du peuple lui-même,
dans ses éléments constitutifs (sociaux et cognitifs) qui l'ont rendue
possible. La prise de conscience, individuelle et collective, du peuple
algérien de l'importance et de la nécessité du changement peut ainsi être
considérée comme le premier succès, le premier acquis, sur le long chemin des
grands accomplissements.
Par conséquent, pour envisager paisiblement l'avenir du pays et d'en débattre sereinement, il est nécessaire de voir cette révolution, non dans son sens de turbulence et de violence qui est d'ailleurs ici amoindri, mais comme un vrai projet de construction, de transformation de la réalité politique et sociale actuelle. C'est un élan qui tend vers un idéal mesuré (de justice, d'égalité, de liberté, de démocratie, de progrès) dont les mécanismes et les limites demeurent encore inconnus. Parce qu'elle est la garantie fondamentale pour la concrétisation de ce projet, la sécurité, sous toutes ses formes (nationale, juridique, financière), doit demeurer une valeur inaltérable. Pour ce faire, il est cependant fondamental de faire la différence entre les actions politiques que l'on peut accomplir conformément au bon sens et à la raison et celles que l'habitude pose et instaure comme des certitudes. Parce qu'elles sont connues, intimement, parce qu'elles sont on ne peut plus familières, et qu'elles augmentent abusivement leur force et leur valeur par la pratique courante, ces dernières sont généralement les plus admises pour répondre à nos problèmes politiques et sociaux les plus importants. Mais si l'on observe bien, on constate immédiatement qu'elles répondent plutôt à des comportements affectifs des plus habituels, d'usage, avec lesquels il faudra rompre, dans l'instant, si nous voulons nous engager véritablement dans la voie du changement. Le plus dangereux, dans la conduite des affaires d'un peuple, vient moins de ce qui est méconnu que du connu, parce que celui-ci tient sa légitimité et l'illusion de sa conformité de l'habitude, du recommencement, de la récursivité, de la reproduction, au sens sociologique du terme. L'action politique prend alors sa forme simple, fruste et grossière, et relègue tout ce qu'elle ne connaît pas au second degré. Si l'on effectuait un inventaire, même des moins précis, du potentiel énorme de notre pays, on ne serait pas étonné du peu de place donné à la nouveauté, à l'innovation, dans tous les domaines, à la jeunesse, à la « fraîcheur ». Aujourd'hui, ces comportements politiques se voient aisément dans le rejet des questionnements et des critiques, dans la recherche des réponses et des visions conservatrices qui laissent le monde social inchangé, égal à lui-même. C'est pour ces raisons, après plusieurs mois de crise politique, grave et sévère, certains continuent encore de voir dans cette révolution une crise passagère qui s'estompera avec le temps, au moindre prétexte ; en vérité, ils ignorent tous les effets positifs qu'elle renferme. Cependant, c'est méconnaître les forces de changements sous-jacentes à cette révolution pacifique, à cette extraordinaire effervescence populaire (et estudiantine), qui plongent leurs racines dans l'histoire profonde du pays, dans l'histoire collective du peuple algérien, au moins depuis les trente dernières années, que de croire qu'elle se dissipera comme par enchantement. Lorsque le rêve collectif d'un avenir doux est fondé sur un passé collectif douloureux, lorsque la mémoire collective sert de fondement à l'action collective qui se projette vers un avenir possible, riche et heureux, une révolution avance, sans coup férir, droit vers ses buts ; il est d'ailleurs plus facile de l'accompagner sereinement, raisonnablement, dans l'accomplissement de son projet, que de l'arrêter ou de la faire douter. Mais ce projet de construction, que cette révolution a initié, nécessite un engagement réel et assuré de toutes les forces de la nation, forces physique et économique. Si l'une de ces forces fait défaut, leur complémentarité se désagrège et la magie s'envole. *Docteur en Sciences du langage, de l'EHESS, Paris - Chercheur au Laboratoire 3L.AM-ANGERS | UPRES EA 4335.Langues. Littérature. Linguistique des universités d'Angers et du Mans |
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