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Je
me suis longuement demandé si je devais me taire ou au contraire crier haut et
fort ma profonde indignation après avoir appris la décision laconique du
ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de
reporter, comme si de rien n'était, l'année sabbatique de 150 professeurs et
maîtres de conférence.
Fallait-il attendre le 4 juillet 2016 pour transmettre de façon bureaucratique et sans états d'âme un fax aux universités, les informant du report de ce séjour scientifique ? Comment peut-on gérer de façon aussi peu anticipative un dossier aussi important que les séjours de haut niveau des enseignants ? Bien-entendu, on pourra aisément me répondre avec sarcasme que je n'ai aucun «droit» à contester une décision prise par un pouvoir d'ordre qui a toute latitude d'opérer le choix qui lui semble le plus approprié, n'étant qu'un enseignant qui s'est limité à déposer un dossier, sans plus? Autrement dit, c'est comme cela, il faut accepter « naturellement » l'injonction venue d'en haut. Pourtant, il me semble difficile d'occulter tout le processus engagé depuis des mois. Nous avons préparé de façon rigoureuse un dossier administratif et scientifique pendant de longues semaines. Notre dossier a été avalisé par le conseil scientifique et la conférence régionale des universités. Nous avons pris toutes les dispositions qui s'imposaient avec les responsables de l'université d'accueil pour établir un programme scientifique de travail (conférences à dispenser, projet d'ouvrage et d'articles, etc.). Enfin, il était impossible d'attendre septembre 2016, date prévue de notre départ, pour rechercher un logement. Il a donc fallu anticiper et engager des frais de location avec le propriétaire pour la réservation du logement. Mais tous ces aspects semblent être occultés par les responsables du ministère de l'Enseignement supérieur qui auraient pu défendre avec plus de force et de conviction le dossier « année sabbatique » auprès des autres décideurs. Ils se limitent à reproduire mécaniquement l'argument fragile et peu convaincant de la crise financière. A notre connaissance, s'il y a réellement une politique publique, c'est-à-dire une régulation des activités, le budget devait être prévu dès lors que la procédure d'offre du séjour scientifique a été engagée et mise en œuvre auprès des enseignants à partir de janvier 2016. Faut-il attendre le mois de juin 2016 pour demander une rallonge budgétaire ? Avouons notre incompréhension légitime face à l'absence de bon sens et de logique ! Le paradoxe se situe dans ce retournement brutal de situation qui n'avait absolument pas lieu d'être. Il ne peut, à notre sens, s'expliquer que par une absence de reconnaissance de l'investissement passionné de notre métier d'enseignant-chercheur pendant 31 ans. Avec ce gel ou report de l'année sabbatique, peu importe le terme évoqué, on a mis à mort notre projet, notre idée, qui devait permettre d'accéder à la production de connaissances sur notre société. L'année sabbatique ne peut pas être considérée comme un privilège. Il ne s'agit pas d'arracher malicieusement une prébende auprès de l'Etat et de rendre sa copie vierge. L'année sabbatique est instituée dans de nombreux pays. Elle doit permettre aux enseignants-chercheurs, impliqués scientifiquement, d'opérer la distance nécessaire à l'égard d'une activité pédagogique et de recherche éreintante et complexe quand elle est investie rigoureusement, pour pouvoir se consacrer pendant une année à une réflexion critique et sereine sur une question de recherche importante. Nous aurions aisément accepté une sélection des candidats pour ne retenir que ceux qui le méritent en termes scientifiques et pédagogiques. Mais non ! Les responsables ont privilégié l'alternative unanimiste, autrement dit le statu quo, en reportant l'année sabbatique pour tous les candidats, en attendant que le prix du pétrole augmente ! Evoquer la crise financière pour geler le séjour scientifique de haut niveau à 150 enseignants, c'est sincèrement produire une piètre image du savoir dans notre société. Faut-il que le développement du savoir fasse l'objet de calculs d'épicier, alors que des millions d'euros sont partis en fumée pour faire plaisir aux amis, sans que personne ne trouve à redire ? Cette décision rapide n'a pas pris en compte les attentes des professeurs qui se sont engagés avec leurs partenaires scientifiques respectifs. Qu'allons-nous dire à nos collègues français qui avaient fait en sorte de préparer notre arrivée, (bureau, ouvrages, invitation à des séminaires de travail, etc.) ? C'est un sentiment de honte qui nous envahit face à cette absence de rigueur et d'anticipation. Ce report administratif du séjour scientifique renforce notre conviction que l'université algérienne n'a pas d'âme propre, au sens qu'elle n'a pas pu, pour de multiples raisons, transmettre ce souffle de vie à ses acteurs, pour se laisser emporter par la vague de médiocrité, en s'enfermant dans un «paisible» statu quo, comme tant d'autres secteurs? *Professeur de sociologie, Université d'Oran 2 |
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