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Astronomie et populisme scientifique

par Abdelhamid Charif

Si l'on ne s'en tient qu'à la sophistication des instruments d'observation astronomique actuels, en se contentant juste de présenter ses excuses à l'Eglise, Galilée n'aurait aucune chance de s'en sortir à si bon compte et si facilement ; il devrait aussi et surtout s'incliner et s'éclipser devant des millions de maîtres.

L'astronomie, cette science physique de l'univers et ses mystères, de l'immensité du néant et l'antimatière, de l'infini et ses paradoxes, et des excursions spatio-temporelles, est la science de l'humilité et de la retenue par excellence.

Humilité, retenue, mesure, et décence doivent particulièrement marquer le profane que je suis, insuffisamment initié, mais me permettant exceptionnellement de réagir avec une opinion circonscrite au seul bon sens, sur le débat d'intérêt général autour des dates religieuses liées à la vision du croissant lunaire. Le bon sens est loin de suffire pour assimiler les fondements d'une science, mais peut toujours déceler des déficits en rationalité, notamment dans des méthodes prétendument déterministes d'une discipline où la liste des sources d'incertitude reste ouverte et non exhaustive, sans doute à jamais. Etant entendu que pour Le Créateur, toutes les sciences, pas seulement l'Astronomie, sont exactes, y compris les théories des variables aléatoires et du chaos.

L'astronomie est aussi la science qui a le plus fasciné et passionné l'homme et continue de susciter son engouement. Cet enthousiasme a permis à des savants autodidactes de contribuer au développement de cette discipline, et les amateurs de l'observation astronomique constituent toujours une main d'œuvre dévouée tout aussi gratuite qu'utile. Il convient de signaler à ce propos que la notion d'amateurisme doit être prudemment appréhendée avec toute son ambiguïté civilisationnelle, car après tout, ce sont des amateurs antiques et diluviens qui ont construit l'Arche de Noé, alors que des professionnels contemporains ont livré le Titanic.

POPULISME SCIENTIFIQUE

Il existe hélas un autre genre d'amateurisme scientifique que la crédulité publique et les maladresses complices des autorités et des médias peuvent piéger vers un populisme scientifique, se nourrissant de tout, y compris de l'irrationnel. Et c'est précisément sur la base des conditions propices à l'escroquerie intellectuelle que Voltaire a situé les débuts de la para-science des étoiles : « L'astrologie est née quand le premier charlatan a rencontré le premier imbécile.»

 Le professeur J. Mimouni a déjà louablement dénoncé le charlatanisme scientifique sévissant en Algérie [1] et j'ai moi-même salué ce courage intellectuel, plutôt rare chez nous [2].

En tant que président de l'association Sirius, M. Mimouni signe aussi régulièrement des communiqués dénonçant sans complaisance les erreurs sur les rendez-vous religieux liés au croissant lunaire. Toutefois, des détails paraissant juste regrettables au début, ont fini, à force d'être répétés, par devenir agaçants à mes yeux, et pour être franc, semer un peu de suspicion.

Clamer fort et sans retenue que l'astronomie est «la science la plus précise», et que la vision du croissant lunaire est devenue «hautement déterministe» [3-5], est une démesure scientifiquement déplorable. Quand elle s'adresse régulièrement à un large public crédulement attentif et confiant, de par la nature de cette science, elle se transforme en une imposture intellectuelle préjudiciable ; qui surchauffe d'autant plus les galeries qu'elle émane de scientifiques de renom, et s'appuyant de surcroît sur une posture avantageuse d'opposition à un régime politique impopulaire.

Le second aspect agaçant à mes yeux, et qui risque tout aussi bien d'interagir avec le populisme, concerne le manque de respect à l'égard de la tradition d'observation oculaire du croissant, et particulièrement envers ces «archaïsants» d'arabes.

L'interaction populiste finit souvent par piéger ses promoteurs dans une spirale déviante, tout comme se font piéger des prêcheurs virulents, et tout comme le payent des leaders révolutionnaires qui finissent par faire du chef un tyran dont ils seront les premières victimes.

LA NUIT DU DOUTE NE TIENT POURTANT QU'A DES INSTANTS

Quand notre Prophète (Prière et Salut sur Lui) trouva un jour ses compagnons en désaccord, polémiquant sur les différentes méthodes de prédiction de la visibilité du croissant lunaire, il trancha sec : «Jeûnez à sa vision, et rompez le jeûne à sa vision.»

La nuit du doute, ainsi décrétée, n'a jamais découragé les musulmans dans la quête du savoir, de la naissance jusqu'à la mort, dans toutes les disciplines, et surtout en astronomie. Vite sortis de l'illettrisme, ils se sont d'abord mis à consommer de la science pour finir ensuite par en produire, et diriger l'humanité durant de longs siècles.        L'existence d'une nuit de doute ne contredit nullement les versets relatifs à l'harmonie de l'univers. Elle devrait plutôt être perçue comme la limite supérieure de l'incertitude humaine entourant la visibilité du croissant.

Même si elle mérite tous les égards en tant que tradition prophétique, la vision oculaire n'est toutefois pas un rite fondamental sacré, ce n'est qu'un moyen de vérifier la condition temporelle du rite du Ramadan. Et il n'y a pas de mal à abandonner une modalité traditionnelle visant à s'assurer des conditions d'une prescription religieuse, pour la remplacer par un outil plus fiable. La boussole et le GPS permettent de déterminer plus facilement la direction de la Qibla, et sont unanimement adoptés.

Ecoutons Al-Birouni, un des nombreux savants et pionniers musulmans, auteur de 146 livres scientifiques dont 95 sur l'astronomie : «La procédure d'estimation de l'apparition du nouveau croissant lunaire est très difficile et très longue.»

Est-il possible d'affirmer aujourd'hui, dix siècles après, que ces propos ne sont plus d'actualité, que la tâche est devenue triviale et facile grâce à un déterminisme à toute épreuve, et que les croyants peuvent désormais tranquillement apprendre à domicile, sans aucun risque d'erreur, les dates du début et fin du mois de Ramadan ?

Un des savants contemporains, Ilyas[6], regrette que des astronomes musulmans, autoproclamés experts, confondent la précision de la position de la lune avec celle de la visibilité du croissant, et ce risque de confusion est également signalé par l'Observatoire Naval Américain [6,7]. Certains scientifiques ne se contentent pas de tenter de prédire la visibilité, mais utilisent les modèles surtout pour rejeter les témoignages oculaires. Des progrès, tel l'envoi de l'homme sur la Lune, ont été faussement interprétés comme des gages d'infaillibilité des prévisions astronomiques [6].

DES INCERTITUDES CERNEES PLUTOT QUE DES CERTITUDES SUSPECTES

Un scientifique, comme tout autre humain, n'aime pas vivre dans l'incertitude, mais hélas mêmes les mathématiques possèdent des branches non-déterministes ; mais c'est en reconnaissant et cernant ces incertitudes qu'on est arrivé à les chiffrer et maîtriser. Contrôler l'imprécision entourant des calculs n'est pas toujours possible, mais l'ignorer c'est de l'amateurisme discréditant ; et connaître mais faire l'impasse sur ces incertitudes, c'est substituer l'amateurisme par la malhonnêteté scientifique, sinon la lui greffer. Il est tout à fait légitime et même louable de dénoncer le manque de crédit, voire les mascarades, de certains comités officiels censés surveiller le croissant. Il est cependant navrant et consternant de tenter de tourner en dérision les disciples de cette Sounna. Les pays où cette tradition est le plus observée et subventionnée par l'Etat, à longueur d'année, sont taxés d'archaïsants. Il arrive pourtant qu'en Algérie même, ces prévisions soient elles-mêmes régulièrement discordantes et loin d'être consensuelles [6], mais on n'assiste étrangement jamais à des joutes scientifiques contradictoires, directes et tranchantes. Dans certains cas, même la tâche relativement aisée d'interprétation de ces anticipations, n'est pas au-dessus de tout soupçon.

EXAMEN ASTRONOMIQUE PROFANE DE LA VISIBILITE DU CROISSANT LUNAIRE

Le système solaire comporte le soleil comme étoile, et plusieurs corps célestes gravitant autour, dont les planètes et leurs satellites (lunes) ainsi que des astéroïdes et des comètes, la découverte future d'autres corps n'étant jamais exclue.

Ces différents objets, notamment les plus importants, sont suivis par des télescopes depuis des siècles. Ces observations expérimentales, de plus en plus sophistiquées et apportant de nouvelles connaissances quasi-quotidiennes, ne peuvent pas prédire les orbites ou diriger un long voyage astral. Une modélisation s'impose, et le modèle le plus complet est celui qui intègre tous ces corps connus en même temps, afin de considérer toutes les interactions. Cette dynamique céleste est fort heureusement suffisamment bien reproduite par la mécanique gravitationnelle de Newton. L'orbite isolée de chaque planète peut être suffisamment simulée en considérant deux objets seulement (Soleil, Planète). L'étude des mouvements de la Lune doit intégrer au moins les trois astres (Soleil, Terre, Lune). Si on veut prédire les éclipses, les dimensions des corps (assumés sphériques) doivent entrer en jeu. Et si en plus ces éclipses ou la visibilité du croissant lunaire doivent être simulées à travers les différentes régions de la planète, il faut alors coller les différents pays et continents sur la surface du globe.

Ces études font notamment appel aux techniques d'intégration numérique, à la trigonométrie sphérique et ses différents systèmes de coordonnées, ainsi qu'à l'introduction judicieuse de paramètres numériques permettant d'ajuster les modèles Newtoniens de façon à reproduire au mieux les différentes observations.

Les auteurs de ces logiciels, devant maîtriser des connaissances pluridisciplinaires de pointe, cernent mieux que quiconque les différentes sources d'incertitude ainsi que les limites de leurs outils. La précision moyenne sur un cycle annuel est meilleure que pour des durées courtes (jour, mois), car les erreurs fluctuantes s'opposent ; et par ailleurs les distances et vitesses sont loin d'être régulières, notamment pour la Lune, plus sensible aux effets des autres planètes. La durée moyenne d'un mois lunaire de 29.5 jours environ, ne se traduit pas par une régularité alternante, puisque on peut avoir jusqu'à trois mois successifs, voire quatre, soit de 29 ou bien 30 jours [9].

Le cumul des erreurs irrégulières dues aux interactions inconnues ou négligées ainsi que l'effet de l'expansion, limitent la durée de vie d'un logiciel. Ainsi, l'actuel calendrier hégirien Um-AlQura, basé sur un modèle de la NASA, ne sera plus valide après l'année 2200 [10].

Les musulmans s'intéressent plus à la naissance et visibilité du croissant lunaire, et ces dernières peuvent être plus facilement déterminées par l'observation régulière des positions de la Terre et la Lune par rapport au soleil. On se débarrasse ainsi de plusieurs incertitudes inhérentes au modèle général précédent. Peut-on pour autant parler d'infaillibilité alors que tout le monde s'accorde à dire que l'incertitude sur la visibilité est bien plus importante que sur les positions ?

Que ceux qui assimilent les éclipses et la visibilité du croissant se détrompent. Les vitesses relatives sont très différentes, et les quelques instants pouvant être déterminants pour la visibilité du croissant, juste après le coucher du soleil, sont insignifiants pour une éclipse en plein jour.

Le temps de la conjonction Soleil-Terre-Lune peut être déterminé avec précision (même si les rigoureux peuvent signaler que tout appareil de mesure comporte une certaine imprécision, qui paraîtra appréciable pour les générations futures, disposant de meilleurs moyens), et la visibilité du nouveau croissant n'est possible que si le soleil se couche avant. Et c'est précisément dans ces conditions que les divergences d'appréciation principales existent. Peut-on parler d'une prédiction «hautement déterministe» avec la disponibilité de plusieurs critères de visibilité différents [11,12] ? Et où les Arabes ne donnent pas l'impression de traîner archaïquement comme les derniers du peloton [13].

Le déterminisme des mathématiques et de la trigonométrie ne peut pas éclipser l'indéterminisme des méthodes empiriques qui s'en servent. Ces critères livrent des contours de visibilité à travers la planète divisée en zones. Est-il à cet effet possible d'éliminer tout doute le long de la ligne de démarcation possible / impossible ?

La zone intitulée «Vision impossible» doit correspondre au cas où la Lune disparaît avant ou avec le Soleil, ou que le croissant n'est pas encore né, et les visions rapportées dans ce cas sont rejetables. Les visions d'illusion ont été estimées à 15%, mais demeurent sans doute insuffisamment étudiées. La zone la plus intéressante, étrangement dénommée «Vision pas possible», correspond au cas où le croissant est déjà né mais disparaît peu de temps après le soleil (10-12 minutes) et serait trigonométriquement invisible. Cette dizaine de minutes et d'autres paramètres sont fixés sur la base d'anciens témoignages, limités en nombre et loin d'être statistiquement irréprochables car ne couvrant pas toutes les conditions possibles (acuité visuelle, motivation, géographie, altitude, météo, période de l'année?).

Si les détenteurs de ce record minimal n'étaient pas parmi les heureux élus, et qu'ils réalisent leur prouesse quelque part dans un désert arabe la veille du Ramadan, ne seraient-ils pas ainsi recalés par cette technique qui se baserait alors sur une durée supérieure, mais ne perdant pour autant, aux yeux de certains, aucun iota de déterminisme ?

Cette zone ne peut jamais être «déterministe» et peut même être remise en cause [7,13,14]. Elle ne doit en tout cas pas servir comme base de rejet systématique et intransigeant.

LA PLANTE EUPHORISANTE «QAT» DU YEMEN A LA NASA ?

La référence [14] rapporte le récit de scientifiques musulmans américains qui, après avoir lié les témoignages «rejetables» venant du Yémen, à la plante euphorisante «Qat», et suite à d'autres témoignages signalés en Amérique, décident alors d'accorder du crédit au sujet et finissent par apprendre à travers un savant musulman de la NASA, que cette large zone devrait plutôt s'appeler «Improbable mais pas impossible». Et c'est précisément dans cette zone que tout le monde arabe se trouvait le jeudi 16 juillet 2015 [15]. Alors que le cri de détresse lancé par nos scientifiques offusqués évoque carrément «un croissant inexistant» [3]. Ces méthodes «déterministes» ont par ailleurs été utilisées pour étudier, ou autopsier, notre histoire ramadanesque contemporaine [16], et les résultats ne sont pas surprenants : Les Arabes ont souvent raté leurs précieux rendez-vous religieux. N'est-il pas plus responsable et audacieux d'ajouter les témoignages fiables de croyants sincères et motivés, à cette base de données, et actualiser ainsi régulièrement ces fameuses courbes empiriques de visibilité ? Ces critères et ces méthodes mêmes, ne risquent-ils pas d'être un jour taxés, à leur tour, d'archaïques ?

Revenant à l'astronomie, certains astres, comme la Terre, ne se contentent pas de tourner autour d'eux-mêmes et autour du Soleil, ils subissent aussi des mouvements mystérieux et irréguliers, n'affectant pas les positions mais désaxant le globe (Chandler wobble) et générant des incertitudes échappant aux modèles de visibilité lunaire. Avec un cycle de 433 jours, cette source d'erreur déphasée et non synchronisée, et les autres, peuvent suggérer, au profane que je suis, de plaider davantage en faveur de l'observation oculaire défaillante à une nuit près, surtout face à une argumentation loin d'être aussi rassurante qu'elle le prétend. Qui doit-on alors blâmer le plus, un croyant (pouvant être un érudit) qui se goure en prenant une traînée d'avion pour un croissant lunaire, ou bien un scientifique qui passe sous silence, ou carrément ignore, les incertitudes entourant ses prévisions, tout en montrant une assurance aussi hautaine et démesurée qu'injustifiable ? Alors que des savants non-musulmans découvrent et reconnaissent les vertus scientifiques de l'Islam, y compris les traditions de la Sounna (le meilleur régime consisterait à jeûner trois jours par mois), certains experts musulmans, quant à eux, se basent sur des méthodes perfectibles, pour dire au monde que leur nation attachée à ses traditions se goure régulièrement en suivant le jeûne et en le rompant quand il ne faut pas.

Ces interrogations amères et embarrassantes pour l'auteur même, peuvent en appeler d'autres plus gênantes. Aurait-on par hasard peur, en révisant ces critères, ou juste en interprétant avec moins d'intransigeance les marges d'incertitude, de ne plus disposer de suffisamment de bédouins à croquer chaque Ramadan ? Et de perdre peut-être ainsi une autre visibilité ?

N'était la sacralité du sujet, l'auteur profane, ayant certainement raté des aspects importants, n'aurait jamais pris tant de risques pour s'exposer aux bourdes et retours de manivelle. Mais c'est presque un vœu, et dans ce cas c'est lui-même qui devrait assumer l'embarras et l'effet boomerang mérités ; les scientifiques, pouvant se sentir mis en cause, ne sortiraient alors que plus grandis.  Et les excuses, déjà implicites, seraient alors explicitement répétées autant de fois que nécessaire.

Références

[1] http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5197339

[2] http://lequotidienalgerie.org/2014/11/21/dilemme-du-traitement-des-effets-alimentant-les-causes-qui-seme-limmoralite-recolte-double-le-radicalisme-et-la-perversion/

[3] http://lequotidienalgerie.org/2015/07/19/celebrer-laid-sur-la-base-dun-croissant-inexistant-pas-sur-le-dos-des-scientifiques/

[4] http://www.siriusalgeria.net/ram15.htm#01

[5] http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5141890&archive_date=2010-08-24

[6] http://www.hizbululama.org.uk/files/visibility_models.htm

[7] http://aa.usno.navy.mil/faq/docs/crescent.php

[8] http://forum.setif.info/index.php?topic=12629.0

[9] http://www.moonsighting.com/faq_ms.html

[10] http://www.kamakuraco.com/PressReleaseJanuary272010.aspx

[11] http://www.islamicmoon.com/Moonsighting%20Visibility%20Advice.htm

[12] http://www.icoproject.org/pdf/2006_cri.pdf

[13] http://adsabs.harvard.edu/full/2005Obs...125...25A

[14] mustafaumar.com/.../questioning-visibility-curves-for-the-sighting-of-the-moon/

[15] http://www.icoproject.org/icop/shw36.html

[16] www.icoproject.org/pdf/guessoum_2000.pdf