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«Cultiver les
différences [?] Nul besoin de cultiver le reste, et qui se retrouvera bien
toujours. Mais le rare, l'exceptionnel, l'unique, quelle perte pour tous si
cela vient à disparaître.»
A.Gide La disparition de Mohammed ARKOUN, comme celle du marocain Abed Al-Djâbirî et de l'égyptien Nasr Hâmed Abû Zeid, toute récente aussi, fait évènement à plus d'un titre. Les sus-cités, chacun à partir de sa représentation intellectuelle, de ses choix idéologiques, de ses projets ouverts à plus d'un horizon et de la nature de sa démarche critique, se sont creusé un espace assez particulier dans notre système culturel actuel. Le vide se fera sentir sans doute, sachant que les défunts ayant su tenir-des décennies durant - des discours aussi intrépides que constants. On peut croire qu'ils doivent leur notoriété moins en réponse à un besoin culturel, qu'à un exercice pamphlétaire de la pensée; exercice trop sûr de lui épistémologiquement, et, à l'évidence, souvent contrarié. Au demeurant, rien n'empêche de reconnaître que leur avènement a renforcé la dynamique de réflexion, où la valeur ontologique de la diversité et celle épistémologique de ce que Mohammed ARKOUN appelle raison émergente1 ne cèdent pas devant la différence. Le problème est qu'ils n'ont pas toujours donné le sentiment de pouvoir distinguer l'une de l'autre. Oui, il s'agit bien d'une écriture savante qui a cherché à s'affirmer volontairement dans l'adversité, en réaction à des traditions d'écriture figées dans leur orthodoxie, dont la première vocation est de couper la route à l'exercice de la pensée libre. C'est là l'un de leurs mérites! On assimilera ces projets, d'une part à la visée de leur déconstructionnisme (encore faut-il avoir cette vision, cultivée en réponse à l'effet nietzschéen, et à la percée de la pensée heideggérienne), et d'autre part à la remise en valeur de l'esprit critique qui les a mis au devant de la scène (pour longtemps certainement), et auquel ils n'échapperont pas eux-mêmes. Réagissant à son attrait psycho-intellectuel, on est en droit d'installer cette pensée (que j'appellerai phénomène) dans le même contexte critique qu'elle s'est choisie, mais dans une autre logique que la sienne: la liberté de lire! Pour enchaîner avec ce principe, la familiarité avec les dits projets, (celui d'ARKOUN particulièrement) incline à dire que bien des polémiques les ont accompagnées tout en ayant pour origine un positionnement tendancieux, dont la vision récalcitrante, intellectuellement décontextualisée, est la pierre angulaire. Le vrai enseignement qu'on pourrait tirer de l'arkounisme et des pensées attenantes - dans l'immédiat au moins -, dans le cheminement qu'on leur connaît et surtout dans l'impact qu'ils véhiculent, c'est de les prendre non à leur littérature par trop aléatoire, mais à leurs idées élaborées loin du contexte qui les a vus naître, s'étendre puis disparaître. Concluons donc qu'une pensée ne peut tenir son originalité que de sa critiquabilité. Qu'en est-il de «l'arkounisme»? Les grandes lignes d'une pensée rebelle Dans deux systèmes de pensée diamétralement opposés, l'un, oriental, tombé en désuétude et en perte de fertilité, l'autre, occidental, pour qui un discours n'est productif que s'il met ses repères en veilleuse et traîne ses origines sur une chaise roulante, il n'est pas très surprenant de voir l'idéologie arkounienne gagner du terrain, comme elle l'a fait, sans alternatives signifiantes au discours déjà produit dans pareil contexte. Prise dans son ensemble, l'œuvre de Mohammed ARKOUN se révèle tout aussi prolifique que problématique. Prolifique car s'exprimant sur plus d'un aspect de l'héritage culturel arabo-musulman. La relecture de ce patrimoine, moyennant une méthodologie peu conformiste (pluridisciplinaire, pour reprendre sa terminologie), en est le mot d'ordre. Problématique, parce que bousculant les constantes-pas toujours en réponse à une nécessité épistémologique (au risque de se répéter) - prises comme telles des siècles durant. Il va sans dire que ce projet n'est pas né du néant. ARKOUN est justement parti d'un constat personnel qui croit qu'enfermée dans son passéisme, l'entité arabo-musulmane a aliéné son rôle de producteur de sens à qui est plus apte à s'y atteler, l'Occident en l'occurrence, à son décompte à elle bien sûr. Oubliant que l'appartenance ethnique et culturelle ne pèse plus sur les échanges épistémologiques, Mohammed ARKOUN et bon nombre de penseurs ? se réclamant pourtant de la pensée libre ? ont choisi d'approcher leur patrimoine non à partir d'une vision libérée de leur conceptualisme à eux, mais partant d'une récupération d'un héritage qui leur sert plus de couverture que de toile de fond d'une pensée destinée à changer le monde. La postmodernité les a bien servis, dans la mesure où la possibilité de s'affirmer dans l'interprétation, sinon dans la surinterprétation - pour reprendre Umberto ECO - devient le terrain propice à toute «théorie» de détournement de sens. C'est le cas de le dire, sur un territoire autre que l'interprétation libre, il n'est pas évident de pouvoir convaincre de la pertinence des projets importés et des idéaux horizontalement réfléchis et linéairement étalés. Ce que Mohammed ARKOUN a essayé de faire rentre bien dans cette logique. S'engager dans une voie de recul vis-à-vis des principaux fondements de la pensée musulmane, au nom d'une indispensable autonomie de conception et de verbe, pour s'enfoncer -par définition - dans une solitude caractérisée par une terminologie compromettante et une méthodologie sans repère, restera la singularité du phénomène arkounien. «L'arkounisme», au demeurant, pose le problème de la réception dans notre culture. Si pour M. ARKOUN ( repris par ses traducteurs tels que Hâchem Sâleh, par ses commentateurs tels que Moutâ' Safdî, par ses critiques tels que Alî HARB, par Târeq RAMADAN et par d'autres) le problème du texte coranique a de tout temps été un problème d'herméneutique - ce qui a donné lieu à des courants contradictoires et à des pratiques en décalage avec l'essence même de l'Islam, et a donné naissance au culte démesuré de reformulation- qu'est-ce qui pourrait garantir une entrée dans la modernité à partir de la conception arkounienne du texte sacré? Sa meilleure réceptivité, par exemple, dans les desseins du modernisme? Son potentiel méthodologique soucieux de déclasser tous ceux mis en œuvre jusqu'à son époque? Son harmonie avec ce qu'il appelle situations herméneutiques et les dispositions épistémologiques de son époque? La pertinence de son discours d'où sa force de persuasion? On peut penser que le projet arkounien s'est dépensé dans des propositions difficiles à aligner aux réponses attendues dans ce sens! A suivre *Faculté des lettres et des langues. Université de Sétif / Algérie. |
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