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Un baril à 180 dollars en 2010-2011 : Pourquoi la dépression économique mondiale n’est qu’à son commencement ?

par Medjdoub Hamed*

1ère partie

 

Joseph E. Stiglitz, prix Nobel en économie, écrit dans son article de juin 2009 : « En dépit des « pousses vertes » de la reprise économique, force est de constater que les banques américaines résistent aux tentatives faites pour les réglementer.

Alors que les politiciens s’étendent sur leur volonté de réformer le système pour éviter une répétition de la crise financière, ce domaine est véritablement celui où le diable se cache dans les détails - et les banques feront tout ce qui est encore en leur pouvoir pour s’assurer qu’elles pourront continuer à agir comme elles l’ont fait par le passé. » Un système, quel qu’il soit (financier, politique ou autre) peut-il se réformer de l’intérieur ? On en doute. Et Joseph E. Stiglitz ne fait que confirmer ce fait, qui est dans l’ordre des choses. Tant qu’il n’y a pas intrusion de forces extérieures au sein du système, celui-ci est condamné à perdurer. Mais aujourd’hui, la situation tranche avec le passé, des forces extérieures redoutables existent et, bien qu’ils n’aient pas encore dépassé une certaine « limite », ont déjà entamé la résilience du système financier américain. Il est certain que le système économique mondial, par ricochet, va connaître des soubresauts et des crises qui affecteront durablement la confiance des investisseurs sur le système financier américain.

 La situation économique et financière mondiale, en ce milieu de l’année 2009, demeure floue. Bien qu’elle ne soit pas opaque, les analyses d’éminents économistes sont partagées sur la reprise économique, surtout de l’économie américaine, en tant que premier moteur de l’économie mondiale. Mais, au-delà de la reprise qui, on ne peut douter, se fera, et pour combien de temps, la question demeure à juste raison, les symptômes de la crise sont toujours là et n’ont pas pour autant disparu, et même, s’apparentent à des avertissements avant-coureurs d’autres crises. Mais comment appréhender ce mystérieux processus en cours ? Le seul moyen est de remonter à l’origine de la crise, et non pas seulement des «subprimes», mais aussi des déséquilibres mondiaux qui ont joué beaucoup dans l’évolution des taux de change et des cours pétroliers, et donc sur l’économie. Evidemment, les autorités monétaires américaines ne pouvaient ignorer sur ce qui pouvait advenir, mais pouvaient-ils l’éviter ? Avaient-ils le choix ? Difficile de répondre.

 

A l’origine de la crise financière américaine

 Pour comprendre, il faut rappeler l’évolution des taux d’intérêts américains et européens et des taux de changes euro-dollar ainsi que des politiques contracycliques qui ont prévalu. Cette analyse de ces données macro-économiques nous apprendra davantage sur les motivations qui ont été à l’origine de la stratégie des autorités monétaires. La politique monétaire américaine et son implication dans le double éventail-économie américaine et mondiale-, se devait être un soutien à la politique intérieure et extérieure de l’establishment américain. L’histoire remonte à la récession de l’année 2000, avec l’effondrement des valeurs technologiques en avril et septembre de cette même année. Dès le premier trimestre 2001, la croissance américaine qui avait été de 1,9%, au dernier trimestre 2000, est passée à 1,3% pour tomber ensuite à 0,7% en rythme annuel. Dès le 3 janvier 2001, pour soutenir l’économie, la Banque centrale américaine (Federal Reserve,FED), anticipant la crise, a baissé son taux directeur de 6,5% à 6%. C’est le retournement du cycle. Devant le risque de récession, la FED a encore baissé son taux directeur à court terme à cinq reprises de 6% à 3,75%, au point qu’en mai 2001, le taux court de la Banque centrale européenne (BCE) était supérieur au taux court américain. En effet, le 1er mai 2001, la BCE, emboîtant le pas, baisse pour la première fois, depuis novembre 1999, son taux directeur d’un quart de point, il est à 4,5%. Cette baisse s’est traduite par un relèvement sensible de la monnaie européenne, l’euro, face au dollar. Ce qui se comprend, un taux d’intérêt plus élevé en Europe ne peut qu’ouvrir un début de fuite de capitaux hors des Etats-Unis. Les événements tragiques du 11 septembre, entraînant la panique, amènent les autorités monétaires américaines à baisser, en cinq reprises, le taux d’intérêt court directeur. Entre le 11 septembre et décembre 2001, le taux passe de 3,75% à 1,75%. Si, dans la phase de dépression amorcée au début de l’année 2000, l’économie était en récession, au sens technique, pendant quelque mois en 2001, pour l’année 2002, elle s’est rapidement assombrie. Quelles étaient causes qui ont été le point de départ de cette évolution ? D’abord, le renversement de la conjoncture des valeurs technologiques au début de l’année 2000, du à la prise de conscience d’une crise de surinvestissement et l’éclatement, en bourse, de la bulle financière qui a accompagné la phase de croissance. L’attaque terroriste du 11 septembre 2001 a désorganisé les stratégies d’investissement et de risques dans certains secteurs-clés, a pesé sur le climat des affaires. La diffusion de pratiques financières frauduleuses, en 2002, a atteint la crédibilité du système industriel et financier. L’effondrement des entreprises considérées jusque-là comme des modèles (Enron, Worldcom, Vivendi-Universal, etc.) donnent une idée des manipulations au sein de l’édifice boursier. Les incertitudes liées aux discussions sur une nouvelle guerre avec l’Irak ne pouvait qu’inciter à une stratégie d’attente. Enfin, la dernière et cinquième cause, et probablement essentielle, c’est le solde de la balance des opérations courantes des États-Unis qui, positif en 1991 (pour la première fois depuis 1980), ne cessait de se dégrader tout au long de décennie 90. Le déficit courant atteignait 4% fin 2001, ce qui avait fourni des ressources étrangères considérables à l’économie américaine.

 Les autres places financières n’ont pas été épargnées par cette bourrasque financière, tous les marchés d’Europe, du Japon et autres parties du monde étaient en berne. Il est évident qu’il ne pouvait être autrement. Un contexte de globalisation financière, une interconnexion généralisée laissaient peu de marge aux pays développés. Les pays dont les marchés financiers sont peu développés étaient plus ou moins épargnés.

 La Chine également compte tenu son système hybride, un « communisme capitaliste ». Il reste que la crise a joué un rôle salvateur dans le sens que, par la baisse des cours, elle a remis les pendules à l’heure, c’est-à-dire à réajuster les cours boursiers à leur valeur réelle.

 Cette bourrasque se détend dès la fin 2002. Mais des incertitudes restent, le soutien des politiques monétaires et budgétaires américaines, franchement contracycliques, notamment grâce à d’importantes baisses d’impôts, un cours favorable des matières premières, ne laissait guère prévoir quand la dépression américaine sera considérée comme terminée. Surtout que le risque d’un conflit avec l’Irak se rapprochait rapidement.

 Le 6 novembre 2002, la FED baisse son taux directeur court d’un demi-pointt, à 1,25%. En juin 2003, elle baisse encore d’un quart de point, à 1%, le niveau le plus bas depuis 46 ans. Le taux d’intérêt ne bougera plus jusqu’à juin 2004. Quant à la BCE, son taux court directeur est ramené après trois reprises, de mai à décembre 2001, à 3,25%. Décembre 2002, il est 2,75%. En juin 2003, il est à 2%, taux qui restera inchangé jusqu’en décembre 2005.

 

Les conséquences de la politique monétaire américaine sur la crise mondiale dès 2003

 Le 2 mai 2003, le président américain annonçait la fin de la « phase des hostilités majeures », le régime irakien s’est effondré après trois semaines de combat, mettant ainsi fin au règne de Saddam Hussein qui a cherché à affaiblir la puissance américaine en libellant, à partir du 28 septembre 2000, son pétrole en euro. L’euphorie de la victoire américaine sur l’Irak va avoir un retentissement considérable sur la politique monétaire de la Banque centrale américaine. En effet, la FED va dès 2002 irriguer le système financier américain, il était péremptoire que la politique poursuivie par le président Bush soit soutenue financièrement, quels que soient les aléas que l’économie américaine pouvait rencontrer dans le futur. Quatre années d’exubérance financière « irrationnelle » vont suivre jusqu’en 2005. Le taux court, bien qu’il soit relevé en juin 2004, sera jusqu’en 2005 à peine supérieur à 3%. Pourtant, les corrections boursières en 2002, avec des pertes considérables pour tout le système financier mondial, étaient encore présentes dans les esprits. Mais les enjeux auxquels faisaient face les Etats-Unis étaient aussi considérables, ce sont probablement ces raisons puissantes qui ont dicté la fuite en avant des autorités américaines. Il fallait coûte que coûte soutenir la politique du président Bush, la victoire sur l’Afghanistan et l’Irak avait un goût d’inachevé. La diminution d’impôts dont bénéficiaient les Américains, surtout les plus riches, devait sortir l’économie de la récession. Cela fonctionna, mais à quel prix ? Une stimulation de la consommation basée sur l’endettement ! Les déficits jumeaux américains s’établissaient fin 2004_ budgétaire à 422 milliards de dollars, conséquents à la guerre au Moyen-Orient et à une politique de baisse d’impôts (adoption d’un plan décennal de 350 milliards de dollars dès le début du mandat de Bush) et commercial à 640 milliards de dollars (les Américains importent plus qu’ils n’exportent). Pour faire face à leurs déficits, les Américains bénéficiaient des excédents asiatiques qui venaient se placer aux États-Unis, laissant croire à une croissance vertueuse. En fait, les grandes banques américaines et la FED ne pouvaient ne pas être conscientes des risques encourus par l’économie américaine, qui, par le recours constant à l’emprunt extérieur, surtout asiatique, ne pouvaient que gonfler la dette extérieure à des niveaux insoutenables. Dans une note de conjoncture de l’Ambassade de France à Washington du 31/12 /2003, il est dit que « le montant des investissements étrangers aux Etats-Unis a fortement décru depuis trois ans (-31% entre 2000 et 2002), alors que l’augmentation du déficit courant ( 31% entre 2000 et le troisième trimestre 2003) nécessite une hausse de l’épargne étrangère. Cela crée des tensions sur le marché des changes. » Il est clair qu’il y a, depuis l’éclatement de la bulle Internet, une désaffection des capitaux européens pour les places américaines. Conséquence : non seulement les capitaux des pays émergents étaient nécessaires pour le train de vie des Américains et les guerres menées à l’extérieur mais ne suffisaient pas à combler les déficits courants américains qui étaient en constante progression. De là, on comprend pourquoi le recours de la FED à la « planche à billet », une émission monétaire sans contrepartie — monétisation des déficits non couverts par l’emprunt. Dès le début de 2002, l’euro se redressait face au dollar. Depuis ses plus bas niveaux, à 0,84 dollar, il passait le cap de 1 euro pour 1 dollar fin 2002. Au milieu de l’année 2003, l’euro s’établissait à 1,2 dollar. Malgré des redressements temporaires, le dollar était en baisse. Harold James, professeur d’histoire et de relations internationales à la Woodrow Wilson School de l’université de Princeton, et l’histoire à l’Institut universitaire européen de Florence, écrivait, dans un de ses articles, en mai 2009 : « L’effondrement des banques autrichiennes et allemandes n’aurait pas pu entraîner le monde d’une dépression à une récession si ces pays avaient été isolés ou indépendants économiquement. Mais ils ont bâti leurs économies sur des emprunts d’argent-principalement à l’Amérique - dans la seconde moitié des années 20. Cette dépendance rappelle la façon avec laquelle l’argent des pays émergents, principalement de l’Asie, a afflué aux Etats-Unis dans les années 2000, laissant croire à un semblant de miracle économique parce que la Chine proposait des prêts. L’effondrement des banques en 1931, et en septembre 2008, a mis à mal la confiance du créancier international : les Etats-Unis à l’époque, maintenant la Chine. » Bien qu’il y ait un parallèle à faire entre les deux périodes, il faut néanmoins souligner des différences, en matière d’instruments financiers et de stature qui diffèrent entre les deux époques. Les instruments financiers d’aujourd’hui sont bien complexes et la Chine, bien qu’elle se rapproche à prendre le rang de deuxième puissance mondiale, est encore loin d’avoir l’envergure de la première puissance mondiale, malgré son savoir-faire et son milliard et demi de population.

 A titre d’exemple, en plus de la complexification financière toujours plus poussée, le libellé monétaire du pétrole est un puissant dispositif de pondération financière et monétaire. La hausse des cours pétroliers est souvent énigmatique, mais joue favorablement sur l’émission monétaire américaine. Comme nous l’avons écrit dans nos articles précédents, ce « libellé monétaire du pétrole » est une donnée stratégique pour les États-Unis. Pour comprendre, faisons une analogie avec la Chine. Il est connu ces dernières années que ce sont les Chinois qui financent le gros des déficits courants américains. Et le gros de ces déficits provient aussi du solde commercial avec la Chine. Pour que les Américains continuent d’acheter les produits chinois, il est impératif que la Chine place ses excédents commerciaux en bons de Trésor américains. Ce placement en bons de Trésor permet aux Américains d’acheter leurs marchandises qui sont d’égale qualité et moins chers que les produits européens. Sans cela, les Américains ne pourront acheter les produits chinois. Ce tandem Etats-Unis-Chine est appelé par certains économistes un « équilibre de la terreur».

 Un autre tandem existe entre le monde arabe et les États-Unis, c’est le «libellé monétaire du pétrole». Facturé en dollars, une hausse des prix du pétrole entraîne mécaniquement une hausse de la demande des dollars américains sur les marchés monétaires par les pays importateurs (Europe, Chine, Japon et autres pays consommateurs de pétrole). Une hausse des recettes pétrolières des pays producteurs de pétrole (Russie, Proche-Orient, Afrique du Nord, etc.) se traduit par des excédents commerciaux. Comme la Chine, ces excédents commerciaux, surtout des pays arabes, doivent être investis en titres américains, en bons de Trésor pour financer les déficits courants américains. Si les excédents commerciaux des pays pétroliers arabes n’étaient pas investis en bons de Trésor, les Etats-Unis ne pourraient pas financer une partie de leurs déficits. Pour résumer, si ces excédents commerciaux, tant pour la Chine que pour les pays producteurs de pétrole, n’étaient plus investis aux Etats-Unis, les Américains n’auraient plus d’intérêt à acheter des produits de la Chine, tant les griefs sont nombreux (pratique déloyale des prix, ancrage du yuan, etc.), ni ne chercheraient une hausse des cours du pétrole. Au contraire, vu leurs déficits, ils chercheraient plutôt à baisser les prix du pétrole.

 Ceci nous indique que les règles du jeu ont changé, contrairement à celles des années 20 et 30.

 

Joseph K. Stiglitz et le problème des taux d’intérêt posé par le président de la FED

 Tous les économistes s’accordaient à dire que la situation économique et financière allait connaître de sérieux accrocs. Ils avaient prévu depuis longtemps que l’économie américaine allait connaître des problèmes, ils sont aujourd’hui confortés par les événements. Comme le dit Joseph Stiglitz, « La Fed n’avait alors que peu de marge de manoeuvre pour remplir sa mission de maintien de la croissance et de l’emploi. Elle devait baisser les taux d’intérêt, ce qu’elle fit d’une façon qui ne connaît pas de précédent historique - en descendant jusqu’à 1%. Cela fonctionna, mais d’une façon fondamentalement différente dont la politique monétaire fonctionne normalement. Habituellement, les taux d’intérêt faibles conduisent les firmes à emprunter davantage pour investir davantage, et l’endettement accru est compensé par une productivité plus grande des actifs. Mais étant donné que le sur-investissement des années 1990 faisait partie du problème ayant entraîné la récession, les taux d’intérêt plus faibles n’ont pas beaucoup stimulé l’investissement. A suivre

*Chercheur