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Rachid Benallel, cinéaste, se souvient de cette belle épopée dont il restitue une partie, dans une interview radiophonique. Jeune monteur à l’Office national du commerce et de l’industrie du cinéma (ONCIC), il parle non pas d’une époque, mais bien plus que ça : d’une atmosphère. Le contexte politique d’alors, postcolonial, faisait de notre pays « la Mecque » des révolutionnaires. En plus des traditionnels mouvements de libération, FRELIMO (Mozambicain), ANC (Sud africain) SWAPO (Namibien) et les factions palestiniennes ; il en était de même pour les Black panthers, les Chiliens, les Portugais, les Irlandais, les Argentins, les Espagnols, ils trouvaient tous refuge dans le pays de « une si jeune paix ». Pontecorvo, Costa Gavras, Hanin, Montand, Aznavour, Brel, Nina Simone, Archie Shepp, Duke Ellington faisaient tous, le pèlerinage algérois. Il est vrai que l’intense activité culturelle bouillonnante de l’époque ne laissait pas indifférent. Les citadelles en étaient la Fac centrale et l’Ecole des Beaux-Arts et d’Architecture d’Alger. Il ne fallait pas aller très loin pour retrouver Kateb Yacine, Jean Sénac ou Daniel Bookman. Il suffisait de connaître le bar ou le restaurant que fréquentait chacun d’eux. L’agitation «soixante huitard » était portée par les coopérants techniques français contraints d’accomplir leur service civil en Algérie. On les appelaient « les jaunes », eu égard à la couleur jaune des plaques d’immatriculation de leurs véhicules. Les idées progressistes d’émancipation étaient véhiculées par le creuset solidaire entre tous les hommes avides de liberté. Le livre rouge de Mao était le livre de chevet de la jeunesse. La radio francophone avait ses icônes, Leila Boutaleb, Djamal Amrani ou encore Jean Sénac. Fin de citation. Voici dans quel contexte l’Afrique découvrait le pays de Ben M’Hidi qui disait, à juste titre, : « si on venait à mourir, défendez nos mémoires ». L’Algérie prenait ainsi acte de la dernière volonté de la victime d’Aussaresse. Décidée en Conseil des ministres de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), à peine sortie de ses langes, elle était créée en 1966 avec trente pays indépendants, l’organisation du premier Festival culturel panafricain échoyait à l’Algérie. Qui, mieux que ce pays, africain et méditerranéen, sorti à peine d’une nuit coloniale des plus longues et des plus éprouvantes, pouvait réussir un tel défi ? Le long chemin de la décolonisation n’était pas encore à son terme. S’il fallait libérer le reste du continent, les voies de la révolte ou de la politique n’étaient pas encore suffisantes, pour faire entendre raison aux puissances coloniales encore présentes sur le continent. Pour ce faire, on actionnait l’arme de la culture. Le pays sorti à peine de sa longue convalescence, il pansait encore ses plaies, releva le défi et c’est ainsi qu’il faisait coïncider l’inauguration du premier Panaf avec la fête de son indépendance. Les moyens financiers et humains n’étaient pas exceptionnels, les gisements pétroliers étaient encore entre les mains des trusts étrangers. Seule la volonté politique des dirigeants de l’époque a prévalu pour engager le pays dans cette belle aventure ; réussie du reste. Alger était une moyenne capitale du Sud, à peine 400.000 habitants. Elle ne disposait que de peu d’infrastructures hôtelières de grand standing, seuls, les Hôtels Saint Georges (El-Djazair) et l’Aletti (Essafir). Point d’Aurassi encore moins de complexes touristiques, tels que Sidi Fredj Zéralda ou Moretti. C’est à cet effet que fut créé le Village africain de Sidi Fredj. Pour les spectacles les salles de cinéma Algéria, l’Afrique, le Mouggar, le Triomphe et l’Atlas subirent des réhabilitations pour recevoir les activités musicales et cinématographiques. L’opéra (TNA) et la salle Ibn Khaldoun recevaient les tréteaux du théâtre. Quant aux médias, ils se limitaient à une seule station de télévision nationale dont le champ ne couvrait à peine que l’Algérois. Elle diffusait bien évidemment en noir et blanc sur un faisceau horaire qui ne dépassait guère les douze heures. Les radios arabophone, amazighopone et francophone n’étaient pas captées partout. La presse ne comportait en tout et pour tout, que deux titres quotidiens, une revue de la jeunesse FLN et une revue de l’Armée. C’est dire l’indigence des moyens d’information. Le réseau de téléphone n’était pas automatisé, il fallait passer par le standart. On ne pouvait disposer, sauf exception, d’une ligne directe,. Il est vrai qu’Alger fut parée par les plus beaux atours, luminaires et panneaux aux couleurs africaines, oeuvre de jeunes artistes. Le ravalement des façades d’immeubles en blanc et bleu renvoyait à l’appartenance méditerranéenne. Le choix de l’itinéraire du défilé inaugural n’était pas, à notre avis, fortuit. Il est à supposer que l’étonnement des participants de se trouver dans un décor colonial aura probablement chargé émotionnellement toutes ces femmes et ces hommes. Beaucoup d’entre eux subissaient encore la condition d’asservissement, ils n’ont probablement jamais traversé dans leurs propres pays, des endroits similaires traditionnellement réservés, aux maîtres du moment. Et c’est dans une sorte de simulation de liesse populaire pour de nouvelles indépendances que l’exercice se faisait « grandeur nature ». L’espoir était donc permis. Le carrefour Tafoura est ce lieu à partir duquel, la vue embrasse vers le sud-est, le mythique Boulevard Laferrière (Khemisti). Cet immense boulevard qui part de la Place Georges Clemenceau (esplanade du Palais du gouvernement) appelé jadis « forum », il dévale en traversant la rue Berthezène (Hakim Saadane) pour constituer le plateau des Glyères avec son monument aux morts dédié à la Grande guerre. Après son horloge fleurie, il coupe l’Avenue Pasteur qui garde toujours son nom, le square de la Grande Poste et la rue Charles Péguy (Abdelkrim El khattabi ?) pour aboutir enfin, au carrefour Tafoura constitué des boulevards Baudin (Amirouche), rue Alfred Lelluch ( Aslah), et le boulevard Carnot (Che Guevara). Le décor ainsi plantait, il nous faut revenir une dizaine d’années avant, à la fin des années cinquante où une guerre de sécession qui ne disait pas son nom, était engagée entre le pouvoir central de Paris et les tenants de l’Algérie française. La première semonce est lâchée le 13 mai 1958, toute la communauté pied-noir se retrouve au forum pour dénoncer la politique de la IVè République dirigée par René Coty. Un comité de Salut public est créé sous la houlette du général Massu. Ce dernier se rendait certainement compte que la voie militaire qu’il avait choisie lors de la Bataille d’Alger n’a été d’aucun secours, tente d’ébranler par la désobéissance civile, les fondements de cette république vacillante. Après l’appel du 29 mai 1958 du président Coty à Charles de Gaulle qu’il qualifie de : « le plus illustre des Français », ce dernier, après avoir pris le pouvoir, est à Alger le 4 juin 1958 où, à partir du balcon du Gouvernement général, il lance, en écartant ses bras levés en forme de V (victoire), son ambigu « Je vous ai compris ! ». Comprendra qui voudra ! La foule se déchaîne et scande « Algérie française... Algérie française... ». En dépit du tumulte des rassemblements épisodiques au Boulevard Laferrière, la guerre faisait rage dans les djebels. Toute l’armada guerrière coloniale n’arrivait pas à réduire ces bandes de hors-la-loi qui défiaient la machine de guerre d’une puissance de l’Alliance atlantique. Saisissant vite l’enjeu, l’homme du 18 juin proposait en octobre 1958 dans un discours télévisé : « la paix des braves ». Il lançait en outre un vaste programme de développement socio-économique pour l’émancipation des Français musulmans en cocomittence avec le dépôt des armes qu’il espérait obtenir de la part du FLN. La suite est connue par tous ! Comprenant vite que cette politique d’émancipation de la majorité musulmane, qui supprimerait le 2è collège électoral, ne serait pas à l’avantage des pieds-noirs en minorité, les Ultras décident de passer à l’offensive par un remake du 13 mai. Joseph Ortiz, le cafetier de Guyoville (Aïn Bénian) qui, entre-temps, crée le Front national français, et Pierre Lagaillarde, avocat de Blida et député d’Alger, soulèvent la communauté dite française le 24 janvier 1960, dans une déferlante insurrectionnelle, contre la politique algérienne du Général de Gaulle. Mis sous la protection du régiment de parachutistes de Zéralda, les Barricades et le Réduit des Facs passeront désormais à la postérité. Tels ont été les soubresauts tantôt tonitruants, tantôt sanglants d’un colonialisme vieillissant qui s’agrippait, tel un naufragé, à une ultime planche dont il en espérait le salut. Les troupes nationales bigarrées du Panaf emprunteront sur les chars fleuris, le boulevard de la République (Ché Guevara) qui s’ouvre sur le beau bleu de la mer. De là, aucun obstacle visuel n’empêchera le regard d’embrasser l’infinité de la mare nostra. Ces beaux immeubles IXXè siècle, cossus et éclairés par un soleil flamboyant, construits sur les cadavres des autochtones, ont eu pour maîtres, des gens venus d’ailleurs. Les belles arcades aux portes cochères seigneuriales abritaient les banques et les agences fiduciaires. Tout appartenait à Henri Borgeaud maître du domaine de la Trappe (Bouchaoui : simple ouvrier du même domaine, tombé au champ d’honneur) ou à Charles Schiaffino, armateur et maître du port d’Alger. Dans ce même port, 100 dockers sont emportés en 1961 par un attentat à l’explosif perpétré par l’0rganisation de l’armée secrète (OAS), créée le 3 décembre 1960 par le général Salan et consorts. L’Hôtel de ville, oeuvre néo-mauresque des architectes Guiauchin et Chassériau, donne l’illusion que nous sommes encore en terre d’Islam. Le défilé continuera son évolution sur le boulevard de la République (Zighout Youssef). Ici, se trouvait le siège de l’Assemblée algérienne, assemblée postiche constituée majoritairement de colons et d’aventuriers venus tous d’une Europe en déclin économique. Au fur et à mesure que le cortège festif avance, des pages d’histoire se déroulent à qui veut bien les lire. Au square Aristide Briand ou Bresson (Port Said), le bel opéra (TNA), de style victorien, annonce déjà la rupture avec l’autre monde, les premières terrasses de la Casbah ne sont pas loin, pour être aperçues. Au-delà du Conservatoire, c’est l’immense place du Gouvernement (place des Martyrs) et la médina arabe compacte et surpeuplée. C’est encore l’Orient avec ses senteurs, ses tumultes et ses complaintes. Ici même, sur ces boulevards, la dixième division de parachutistes (10è DP), créée le 1er juillet 1956 sous le commandement du général Massu, défilait en fanfare. Constituée de bérets rouges et de bérets verts (régiment étranger), elle ne put venir à bout de l’insurrection des yaouled. Maintenant que les clameurs se sont tues, sur ces lieux où jadis la parole était aux armes, la paix revenue permettra aux damnés de la terre de se réapproprier leurs attaches identitaires remisées dans les caveaux de la dénégation. Ce premier festival africain confirmait l’africanité de l’Algérie indépendante et le leadership non usurpé d’une nation qui a subi, plus que tout autre, un déni historique des plus abjectes. L’Algérie se découvrait à elle-même, à travers ses artistes peintres, écrivains et autres musiciens. Sous la conduite du maestro Boudjemia, sur des textes de Mustapha Toumi, Mohamed Lamari, le crooner, faisait exploser les auditoriums. La musique traditionnelle portée par le ténor Bachtarzi, le mélodieux El-Ghafour et l’altier El-Fergani remportaient l’adhésion des petites gens en les rendant fières de leur appartenance. Et, c’est à partir, sans nul doute, de cet évènement culturel, que l’Afrique s’ouvrait sur le monde, non plus par ses exotismes, mais par ses hommes et ses femmes de l’art et des belles lettres. Les voix de Miriam Makeba, Manu Dibamgo, Alpha Blondy forcèrent l’admiration pour enfin investir les scènes, jusque-là réservées du show-biz. Grâce à ces cinéastes, d’Ousmane Sembene à Med Hondo et de Chahine à Hamina, l’Afrique ouvrait une immense fenêtre dans le noir de la galaxie du monde dit « évolué ». |
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