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Les utopies ont besoin de raison

par K. Selim

Qui, des «volontaristes» ou des «gradualistes», l'a emporté au dernier sommet de l'Union africaine à Syrte en Libye ? En apparence, la question ne se pose pas. Le colonel Kadhafi a fini, à l'usure, par faire passer la transformation de la Commission de l'Union africaine en une Autorité de l'Union. Les «volontaristes» - que certains en Afrique nomment avec humour les «immédiatistes» - pourront faire valoir que cette nouvelle autorité aura pour attribution de coordonner les politiques de défense et des relations internationales.

Mais coordonner ne veut pas dire faire. C'est par essence la vocation de toute organisation que d'assurer une coordination entre ses membres. A l'évidence, ceux qui sont hostiles à toute précipitation et privilégient des intégrations régionales à la faisabilité plus évidente, ont accepté un compromis de pure forme pour satisfaire Kadhafi qui accueillait ce sommet chez lui. On chercherait en vain en effet quelle sera l'autorité de la nouvelle «Autorité africaine», quand on précise clairement et d'emblée qu'elle n'est pas dotée de prérogatives supranationales. Aller vers les Etats-Unis d'Afrique - c'est l'objectif proclamé - signifie bien que les Etats membres acceptent de céder leur souveraineté nationale au profit des institutions continentales.

Mais ce noble objectif présuppose une diffusion substantielle de la démocratie, à même de préparer le dépassement des cadres nationaux vers la grande «vision africaine». On en est bien loin. Les formes de gouvernement en vigueur chez maints pays africains «immédiatistes» n'ont, c'est un euphémisme, aucun lien, même lointain, avec la démocratie. A l'opposé, c'est chez les «gradualistes» que l'on trouve les plus solides démocraties du continent. Ces derniers font valoir, non sans raison, que même les organisations régionales, qui ont toutes les raisons de marcher, éprouvent encore des difficultés à se stabiliser et à se renforcer. Il n'est pas besoin d'aller très loin sur ce registre, il suffit de voir l'état de l'Union du Maghreb dont fait partie la Libye, qui est en flèche pour l'imposition des Etats-Unis d'Afrique.

Devant ce constat de faiblesse des organisations régionales, la volonté d'imposer tout de suite un gouvernement africain est une illusion. Les motivations des «gradualistes» sont diverses. Il n'en reste pas moins que les réserves qu'ils persistent à émettre à chaque rencontre continentale viennent de manière salutaire tempérer des ardeurs irrationnelles. En acceptant une Autorité ayant la mission de «coordonner» les politiques de défense et des relations internationales, ils ont sauvé la mise au colonel Kadhafi qui sauve son sommet.

Mais sur le fond, ils persistent à penser qu'il faut s'atteler à réaliser ce qui est faisable, plutôt que de s'embarquer dans des aventures perdues d'avance, et qui, au fond, ne feront que reculer l'idéal africain. Même les utopies ont besoin de réflexion sérieuse.