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Council on Foreign
Relations, un cerveau d'idées
Gillian Tett, directrice de la rédaction américaine du Financial Time a interviewé l'ancien gouverneur de la Banque centrale américaine, Alan Greenspan, sur l'or, le 29 octobre 2014, dans le «Council on Foreign Relations». (1) Avant de voir ce que dit Alan Greenspan, qui fut le président charismatique de la plus grande Banque centrale du monde, la Fed (Federal Reserve Board) américaine. A l'époque, un seul mot de lui pouvait faire trembler les marchés mondiaux. Qu'en est-il de cette institution américaine, le «Council on Foreign Relations», (ou Conseil sur les Relations étrangères) ? Et si Greenspan a donné sa vision à cette institution américaine, c'est que celle-ci est un think tank spécialisé dans la politique étrangère et des affaires internationales américaines d'envergure mondiale. Son siège est à New York City, avec un bureau à Washington, DC. De hauts responsables politiques de l'administration américaine, dont plus d'une douzaine de secrétaires d'Etat, des administrateurs de la CIA, des généraux quatre étoiles de l'armée américaine, des hauts dirigeants du secteur bancaire, des grandes entreprises économiques et de la finance, des avocats, des professeurs des grandes universités américaines, des hauts dirigeants des mass-médias. Cette élite au plus haut niveau pense la «stratégie américaine dans le monde». Une institution qui conseille le pouvoir exécutif américain. Le CFR est la «tête pensante officieuse de l'Amérique». Et le CFR a une longue histoire. Il tire son origine à la fin du Premier Conflit mondial. D'abord dans une organisation nommée l'«Inquiry», ou l'«Enquête», un groupe de chercheurs (juristes et politiques) qui ont participé à la Conférence de la Paix de Paris, en 1919, et ont eu une forte influence sur les 14 points développés par le président Woodrow Wilson. En 1921, le «Council on Foreign relations» a été fondé, remplaçant l'Inquiry. Aujourd'hui, le CFR qui groupe de hauts responsables du gouvernement, des membres éminents de la communauté américaine provoque des réunions pour discuter de la politique étrangère américaine. Il fait des recommandations à l'administration présidentielle et à la communauté diplomatique. Dans toutes ces recommandations qu'il émet, le CFR s'assure des intérêts économiques et géostratégiques de l'Amérique. Précisément, en créant un large forum, aux représentants du gouvernement, aux organisations internationales et ONG, aux grandes entreprises et à la société civile, il entend apporter la réponse la plus adaptée aux enjeux de l'heure et donc à la politique extérieure en période d'incertitude. D'autant qu'il y a dans le monde nombre de think tanks -toutes les nations en disposent- qui jouent le même rôle que le CFR. Les institutions d'intelligence et de recherche stratégique foisonnent dans le monde. Signifiant par là que le CFR n'est pas propre à l'Amérique, il y a réellement une guerre de cerveaux d'idées entre les nations. Alan Greenspan «avertit» sur l'or On comprend dès lors l'exposé d'Alan Greenspan, au CFR, un des think tanks les plus écoutés de l'Amérique. Ecoutons-le. Gillian Tett : L'un des chapitres intéressants de votre livre parle de l'or. Il y a déjà eu plusieurs débats dans les médias au sujet de votre position sur l'or. Vous vous demandiez pourquoi les gens achetaient encore cette «relique barbare». Je ne sais pas si John Paulson est dans la salle. Mais c'est une question intéressante. Mais pensez-vous que l'or est actuellement un bon investissement, compte tenu de ce que vous avez dit sur les crises potentielles à venir ? Alan Greenspan : Oui. Habituellement, les économistes sont très forts pour faire des réponses ambiguës? Mais cette fois-ci, je vais répondre sans faux-fuyants. L'or est une monnaie. Il est toujours, selon toute évidence, la monnaie de référence. Aucune devise fiduciaire, même le dollar, ne peut l'égaler. Comme nous avons pu le voir dans le passé, les crises ont toujours eu des répercussions sur le prix de l'or. Mais le prix de l'or est à «moitié» un prix de matière première. Donc quand il y a un ralentissement économique, son prix descend comme celui du cuivre. Mais il possède aussi des caractéristiques monétaires intrinsèques. Ce n'est pourtant pas inné chez l'homme? Je ne sais pas par quel mécanisme cela arrive, mais il se comporte comme s'il l'était. Les monnaies avec une valeur intrinsèque comme l'or et l'argent, par exemple, sont acceptées sans garantie d'une tierce partie. Par exemple, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ou juste après, les Allemands ne pouvaient pas importer de marchandises sans payer en or. Ceux qui expédiaient les marchandises s'assuraient d'abord d'obtenir de l'or et se souciaient peu de la solvabilité du pays?C'est un phénomène très rare. C'est pourquoi l'accord entre les Banques centrales européennes pour coordonner les ventes de l'or (CBGA) -car des ventes ont eu lieu quand le prix était au plus bas- a été renouvelé cette année, et officialisé via un communiqué affirmant que «l'or reste un élément important des réserves monétaires mondiales». La question est, pourquoi les Banques centrales investissent-elles dans un actif qui n'apporte aucun rendement, mais que l'on doit entreposer, assurer, etc. Pourquoi font-elles cela ? Si vous consultez les données, vous verrez que tous les pays développés, à quelques rares exceptions, possèdent des réserves d'or. Pourquoi ? Gillian Tett : J'imagine qu'en ce moment, c'est parce qu'il y a beaucoup d'interrogations sur la valeur des devises fiduciaires qui perdent de leur crédibilité? Greenspan : Bien, c'est là que je voulais en venir. A chaque fois qu'il y a de grosses incertitudes, la moitié de ce qui détermine le prix de l'or se met à bouger. Gillian Tett : Exact Greenspan : Je trouve cela fascinant? Est-ce que Benn Steil est dans la salle ? [Alan Greenspan mit la main à côté de sa bouche comme pour chuchoter et se tourne vers la salle pour regarder s'il est là] Gillian Tett : Oui. Greenspan : Avant de lire mon livre, lisez celui de Benn? Il va vous intéresser, car il dit des choses fascinantes à ce sujet. Il évoque notamment le test ultime qui a eu lieu au Mount Washington Hotel, à Bretton Woods, en 1944. Ce vrai débat intellectuel entre les partisans de l'étalon de change-or et ceux qui souhaitaient la création d'une monnaie fiduciaire internationale, le «bancor», telle que prônée par John Maynard Keynes?Keynes était là en 1944, et malgré tout son prestige, il ne pouvait pas contrer le fait que le dollar américain était convertible en or, et c'était son principal problème. Tout le monde voulait l'or des Américains. Et je pense que Benn a vraiment décrit cela de manière extraordinaire, selon moi. Je vous remercie. Gillian Tett : Je suis certaine qu'avec de tels commentaires vous allez devenir l'idole des partisans de l'or. Le phénomène-or dans l'évolution du dollar sur les marchés monétaires Le message de l'ancien gouverneur de la Fed laisse pointer des dangers à venir dans un monde de plus en plus incertain. Un système monétaire international dont une transition a commencé et qui, depuis l'émergence de la Chine et les pays du BRICS, aura certainement à durer. Le conseil de Greenspan sur l'achat de l'or semble sincère. Il sait que l'or est un bon investissement, une «valeur refuge» pour les années à venir. Les crises potentielles sont réelles à voir seulement aujourd'hui le retournement de la politique monétaire américaine depuis juin 2014. Le cours du pétrole a chuté de plus de 50%. Il a commencé remonter depuis le deuxième semestre de 2017. Quant au dollar, il monte. Et nous avons cette «corrélation étrange», quand le dollar baisse, l'or monte (et inversement). Se rappeler en 1980 la hausse drastique du dollar. Le taux de change du dollar est passé d'un bas de 4, 005634 Fr à 9,693887 Fr en février 1985. A l'époque les États-Unis avaient fortement serré le robinet monétaire et augmenté le taux d'intérêt directeur. Durant la même période, l'once d'or a baissé, et est passée d'environ 850 dollars à moins de 300 dollars. De même, avec la crise financière de 2008, alors que le dollar a baissé fortement pour atteindre au plus haut de la crise 1,5797 euro en juillet 2008 pour remonter, quatre mois plus tard, à 1,273215 euro. La même période, l'or évoluera inversement et passera de 1000 dollars à environ 700 dollars l'once. Après novembre 2008, le dollar baissera de nouveau, l'or fait le chemin inverse, il remontera. Et ainsi de suite. Depuis la chute des cours pétroliers qui a commencé dès juillet 2014, le même processus s'est enclenché pour le couple or-dollar. La hausse du dollar passe, le 1er juillet 2014, de 1,3694 dollar pour un euro à 1,0843 dollar pour un euro, le 7 mars 2015. Soit une hausse de 20,819%. Inversement la baisse de l'once d'or passe de 1316,20 dollars, le 19 juin 2014, à 1167,39 dollars le 7 mars 2015. Evidemment, les baisses ou les hausses tant pour le dollar que pour l'or ne sont pas linéaires, et c'est naturel, cependant la tendance, même avec des pics dans les fluctuations, est là, et reste attachée à l'évolution du cours du dollar. Depuis 2017, il suit inversement la courbe ascendante du dollar. Le cours du dollar, en baisse, passe à 1,25 dollar pour un euro, le 15 février 2018. En février 2018, le cours de l'once d'or, en hausse, passe à environ 1300 dollars. Ces évolutions sont surtout marquées par des changements de politique monétaire, soit par des restrictions de liquidités engendrant des crises de liquidités et donc crise, soit par une expansion de liquidités pour relancer la croissance. Se rappeler lorsque «le système bancaire s'est bloqué en 2008» et la méfiance des banques entre elles due aux crédits toxiques «subprimes», des investisseurs comme les acteurs financiers qui avaient besoin de liquidités ont vendu ou prêté leur or contre des liquidités en dollars, en euros, etc. Donc détenir de l'or est une règle prudentielle en cas de crise monétaire. Une «valeur refuge» qui même si elle n'offre aucun rendement, et que l'or doit être assuré et sécurisé (ce qui occasionne des frais), rend néanmoins de précieux services en cas de difficultés financières monétaires nationales ou internationales. Il faut aussi souligner que l'once d'or n'a pas cessé d'augmenter depuis 2000, passant en quinze ans de 300 dollars environ, après un pic de 1900 dollars en 2008, à environ 1167 dollars en 2015. Depuis 2016, il a remonté, et malgré les fluctuations, il se situe aujourd'hui autour de 1300 dollars. Ce qui le valorise dans le système financier international. Enfin, un dernier point, et celui-ci est essentiel, le phénomène «couple dollar-or évoluant contradictoirement» en réalité est provoqué par la Réserve fédérale américaine. Par la «Nécessité même du processus qui régit les émissions monétaires des quatre grandes Banques centrales du monde». L'ancien banquier central Alan Greenspan comme les autres banquiers centraux (Royaume-Uni, Eurozone, Japon, Chine?) savent très bien que ce «balancier du dollar qui monte et l'or descend, et inversement» est nécessaire à la financiarisation de l'économie mondiale, et donc assure la viabilité du système monétaire international. Du moins dans le système actuel, «ce qui ne signifie pas que celui-ci est perpétuel». Et l'évolution du prix de l'or qui ne suit pas les règles du marché, c'est-à-dire la loi de l'offre et de la demande, ne doit pas étonner, comme d'ailleurs le cours baissier aujourd'hui du pétrole, une autre variable stratégique dans le système monétaire international. On comprend dès lors l'importance qu'Alan Greenspan donne à l'or, dans le sens que les matières premières, en particulier l'or et le pétrole, constituent des cartes maîtresses dans la viabilité du système monétaire international dominé par l'Occident. Et le problème est que ce n'est pas la domination de l'Occident qui est la cause de ce dysfonctionnement qui n'est en réalité qu'en apparence, mais bien le système lui-même qui est venu ainsi. Pourquoi le système monétaire international est venu ainsi ? Il est important d'expliciter l'origine du système monétaire international qui a fait l'objet de milliers d'études de toutes sortes d'académiques à celles plus popularisées sur le «bancor» qu'avait proposé l'économiste anglais John Maynard Keynes. On a beaucoup écrit et dit sur le système monétaire international et sur le bancor. Alan Greenspan, dans son interview par Gillian Tett, en a fait mention supra, et que nous reprenons. «Ce vrai débat intellectuel entre les partisans de l'étalon de change-or et ceux qui souhaitaient la création d'une monnaie fiduciaire internationale, le «bancor», telle que prônée par John Maynard Keynes?Keynes était là en 1944, et malgré tout son prestige, il ne pouvait pas contrer le fait que le dollar américain était convertible en or, et c'était son principal problème. Tout le monde voulait l'or des Américains. Et je pense que Benn a vraiment décrit cela de manière extraordinaire». Cela est évident. En 1944, il ne suffit pas d'être un prestigieux économiste pour imposer ses idées. Keynes, faut-il rappeler, s'est opposé résolument contre les «Réparations allemandes». Mais Keynes dans son idéalité intellectuelle n'a pas pris suffisamment la température de l'idéalité humaine. Cette idéalité humaine reste potentiellement matérielle. Et pas seulement, la matérialité relève aussi des conjonctures historiques relevant elles-mêmes des «contingences qui président à l'évolution du monde humain». Le deuxième conflit mondial était, osons le dire non par fatalisme mais par connaissance du «Nécessaire et du contingent» qui se complètent, donc «nécessaire». Pareillement le «bancor» était une monnaie qui anticipait le temps. John Maynard Keynes, idéaliste, comme pour les «Réparations allemandes», voulait un monde serein et neutre. Mais le monde n'est pas serein ni neutre, il est objectif, réel. Et dans cette réalité, «souvent dure et implacable». Sa proposition du «bancor» ne pouvait être acceptée. Ce n'est pas que le représentant américain, Harry Dexter White (économiste au département du Trésor américain) avait raison. C'est la situation financière et monétaire du monde qui prévalait et faisait que l'homme humain ne pouvait que suivre son humanité, i.e. à ce qui lui est permis et qu'accordent les lois de la nature, et donc suivre les conjonctures historiques. Et contre Keynes, il y avait la conjoncture historique. La proposition du représentant du Royaume-Uni, du fait même d'une Europe sortie de la guerre, endettée et ruinée, ne pouvait être acceptée par les États-Unis. Lâcher le dollar pour une monnaie hypothétique sur laquelle l'Amérique n'avait aucune prise aurait été suicidaire. Cependant, on ne peut ignorer la grande avancée que fut la proposition de John Maynard pour adopter le bancor, comme une monnaie commune entre les nations du monde. Elle aurait simplifié beaucoup comme les pertes de change, les attaques spéculatives, et autres avantages. Il faut seulement voir que «le bancor se rapproche beaucoup de la monnaie unique européenne» L'euro qui a demandé un long processus (50 ans d'adaptation avec un marché unique, une libéralisation financière, etc.) et une période de mise à niveau pour chaque membre de la zone euro, avec le respect de conditions budgétaires, financières et monétaires draconiennes, pose encore des problèmes entre les pays membres. Il scinde l'Europe monétaire en deux catégories, des pays vertueux qui s'adaptent et qui tirent des dividendes, d'autres moins vertueux, déficitaires, qui s'adaptent difficilement et paient en coûts sociaux. Mais ce n'est pas négatif en lui-même le système, il nécessite des corrections qui viendront progressivement avec le temps. Malgré les difficultés que l'on constate aujourd'hui, au sein de la zone euro, entre le modèle allemand basé sur le tout-exportation, à l'instar du Japon et de la Chine, et ceux des modèles européens du sud basés surtout sur les services (tourisme, transport, agriculture?). Des dysfonctionnements persistants. Aussi, en revenant au «bancor», que serait-ce si, avec toute la bienveillance que l'Amérique aurait mise, ce système aurait été retenu ? Il est évident qu'il n'aurait certainement pas fonctionné, ou s'il l'avait été, n'aurait que peu duré. Comme d'ailleurs le Bretton Woods lui-même a fini d'exister en août 1971. Le président Nixon avait unilatéralement suspendu la convertibilité du dollar en or. Le «Bancor» de John Maynard Keynes On a beau relater que John Maynard Keynes était à Bretton Woods pour trouver une place à l'empire britannique en déclin. Et, Harry Dexter White visait à établir un ordre financier mondial avec le dollar américain, comme le laisse penser Benn Steil dans son livre «The Battle of Bretton Woods», ou «La bataille de Bretton Woods». Que l'Establishment américain avait tracé un ordre du jour géopolitique ambitieux que White devait appliquer, et un autre argument avancé que les mentors de White cherchaient vraisemblablement à utiliser la conférence de 1944 comme moyen d'éliminer la Grande-Bretagne comme un rival. Tout cela peut être vrai, et on comprend qu'il y avait des enjeux planétaires dans l'utilisation de l'étalon or comme contrepartie physique d'un poids d'or fin fixe qui garantit l'émission d'une monnaie. La Conférence de Bretton Woods a été un prolongement de la Conférence de 1922 -Accords de Gênes- qui avait pour but de rétablir l'ordre monétaire mondial complètement désorganisé par la Première Guerre mondiale. Et en 1944, revenait le même souci des puissances. Sauf que ce sont les forces historiques qui ont tranché en 1922, comme en 1944. Et nous avons vu ce qui s'est produit en 1971, le système du Gold Exchange Standard n'a pas été pérenne. 1971 avait signé un nouveau système, le «flottement impur des monnaies» sur les marchés monétaires. Un système qui conserve le dollar comme monnaie-centre mais donne plus de pouvoir aux autres monnaies-devises qui en font partie. Un progrès, peut-on dire dans l'Histoire monétaire de l'humanité. Reste le «bancor» de John Maynard Keynes. On ne peut dire que sa proposition a été inutile ou a été contrée par White. Non. Puisque dès 1944, et partant de son inspiration -et si «John Maynard Keynes a été inspiré par quelques bons génies qui veillent sur l'humanité», et c'est le cas...- elle va ouvrir une nouvelle vision aux concepteurs de l'Europe, et les amener à créer 55 ans plus tard un «bancor» nommé «euro» pour une Nouvelle Europe. On peut qualifier John Maynard Keynes, après Adam Smith, d'«Einstein de l'économie moderne». *Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective. Note : 1. Source : Cfr ? https://www.goldbroker.fr/actualites/alan-greenspan-recommande-investir-or-proteger-crise-645 |
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