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Passionné par
l'histoire de la guerre de libération nationale, je me fais un devoir de lire
tout livre-témoignage sur cette période.
Votre livre «Amirouche, une vie, deux morts, un testament», au vu du tapage médiatique et de la polémique qui ont précédé sa parution, a aiguisé ma curiosité et suscité un intérêt particulier, m'amenant à le lire deux fois. Après ces deux lectures, je suis envahi pas un sentiment où se mêlent déception et colère. Déception de voir l'homme politique que vous êtes prendre le dessus sur l'historien que vous auriez voulu être. Colère de voir que la biographie d'un héros national sert de trame à une analyse politique partisane. La même méthode que ceux que vous condamnez pour leur manipulation de l'histoire. Enfin en lisant votre livre, je ne comprends pas l'utilité de l'intrusion dans le récit d'éléments autobiographiques: votre bravoure d'écolier de 11 ans lançant à la face de votre instituteur «non Amirouche n'est pas mort!», votre emprisonnement à Lambèze, votre voyage à Tunis dans le cadre de la Ligue des droits de l'homme, ou encore votre invitation par le parti démocrate américain à Boston, qui révèle le sénateur Obama et j'en passe ! Est-ce une propension à vous mettre en avant? Votre livre est à l'opposé de ce que vous préconisez: «une lecture apaisée de l'histoire». Dès l'avant-propos, le décor est planté. Diatribes contre le régime par des phrases assassines (Boumedienne et makhzen, le tandem Boussouf- Boumedienne ?) et des accusations graves (les armées Française et Algérienne ont fait preuve de remarquable complémentarité?). Même le héros du tiers-monde, Mehdi Benbarka n'est épargné (p.19). Sous votre obnubilation à faire du Colonel Amirouche, héros national, un mythe en le présentant comme «un chevalier preux, sans peur et sans reproche», vous n'hésitez pas à lui attribuer l'engagement du président Kennedy au côté du peuple algérien (p. 28), c'est occulter le travail titanesque fait par Aït-Ahmed, Yazid et Chanderli qui, dès 1956, réussissent à inscrire la question algérienne à l'ONU, et les contacts, dès cette année, avec les sénateurs américains dont le jeune J.F. Kennedy. Ce dernier exprime hautement l'opinion américaine: «L'Algérie a cessé d'être un problème français» et déposé devant le Sénat une résolution demandant «l'intervention du gouvernement américain en faveur de l'indépendance de l'Algérie». Ce soutien cependant n'engageait pas l'Algérie à se désolidariser du peuple cubain - Ce qui aurait été un reniement des principes même de la révolution algérienne-c'est ce que vous ne prenez pas en considération en condamnant le voyage de Benbella à Cuba en 1963. Ceci dit, permettez M. Saadi, à un simple citoyen, qui n'est ni un homme politique ni un historien, de faire quelques commentaires sur votre livre. 1- Le Colonel Amirouche est un des plus illustres héros de la guerre de libération, aussi n'a-t-il nullement besoin pour être valorisé de dévaloriser d'autres acteurs de cette période, surtout lorsqu'ils ont été parmi les premiers maquisards. A. Ramdane disait « que dès que l'on s'engageait dans la révolution, on était des morts en sursis». Ces premiers maquisards n'étaient pas certains de survivre jusqu'à l'indépendance. -Le Colonel Si Nacer - de son vrai nom Mohammedi Saïd - dont les parcours, avant la révolution et après l'indépendance, sont condamnables, n'en est pas moins l'un des tout premiers maquisards de la Kabylie, et l'un des premiers colonels de l'ALN, bien sûr comme tout un chacun avec ses faiblesses et ses moments d'héroïsme. Ses 130 kg, comme vous vous plaisez à le souligner dans le but de le ridiculiser, ne l'ont pas empêché d'organiser, selon les conditions d'une révolution balbutiante, la Kabylie. - Le Colonel Ali Kafi, avec qui vous pouvez ne pas partager la même analyse politique, voire la même idéologie(et c'est votre droit), a droit à un procès d'intention en règle. Mais ne mérite nullement, tout d'abord simplement en tant qu'homme, puis en tant que l'un des premiers maquisards, l'insulte de « condottière » (chefs mercenaires au 13ème et 14ème siècles en Italie, à la solde de différents Etats). -Le Colonel Lotfi, malgré les qualificatifs élogieux que vous lui attribuez (vous vous octroyez le rôle de juge), vous mentionnez qu'il dirigeait la Wilaya V à partir du Maroc. Il est nécessaire de rappeler pour la vérité historique que le Colonel Lotfi , de son vrai nom Boudghene Ben Ali, est né à Tlemcen en 1934, il rejoint les rangs de l'ALN en octobre 1955. Devient capitaine de la zone 8, et commandant membre du PC de la Wilaya V. En 1958, est promu Colonel commandant la Wilaya V. L'unique fois où il quitte sa Wilaya, c'est pour assister à la réunion du CNRA à Tripoli pendant l'hiver 1959-1960. Il tombera au champ d'honneur le 28 Mars 1960 au sud de Béchar. L'âge des colonels de l'ALN, semblant avoir un intérêt pour vous, je vous signale que le colonel Lotfi a été promu colonel à 24 ans et est mort à 26 ans. 2- Ferhat Abbas, le premier président du GPRA dédiait son livre «Autopsie d'une guerre» à «la mémoire de Abane Ramdane, et à celle de tous les Algériens exécutés injustement par leurs propres frères ». Les exécutions injustes ont été légion pendant la guerre: officiers de l'ALN et djounoud (lors de la bleuite), des civils lors d'expéditions punitives (Mellouza ou Dagen). Selon tous les témoignages, si la responsabilité de Amirouche n'est nullement engagée à Mellouza, elle est par contre pleine et entière à Dragen, appelée « la nuit rouge de la Soummam» et la «bleuite», même si dans votre livre vous tentez de l'atténuer. Ecoutons le témoignage rapporté par F. Abbas (Autopsie d'une guerre): «Au lendemain de cette nuit, un vieux Kabyle en fit le reproche à Amirouche; «Nous avons le droit de châtier les traîtres», répondit Amirouche, Dieu est avec nous». Et le vieillard de répliquer: « Si tu continues dans cette voie, il ne restera en Algérie que toi et Dieu». Lors d'une rencontre avec Amirouche (qui n'était pas encore colonel), F. Abbas lui demandera des précisions sur les conditions du massacre; les explications fournies sont jugées par F. Abbas comme «raisonnements spéciaux» et il ajoutera: «J'ai jugé Amirouche comme un combattant courageux, actif, mais psychologiquement sans nuance». Pour ce qui est de «complot de la bleuite» lors duquel des officiers de l'ALN et des centaines de jeunes ayant abandonné les bancs des lycées et des universités pour rejoindre le maquis, furent sauvagement torturés et exécutés sommairement, les arguments que vous utilisez dans votre livre ne peuvent aucunement atténuer la responsabilité du colonel Amirouche. Mettre cela sur le zèle de son adjoint, le commandant Mahyouz, qui a fait ses classes dans les rangs des SS de l'Allemagne nazie, n'est pas recevable comme argument. Vous-même, vous soulignez que Amirouche était respecté et obéi par ses hommes. Expliquer que la Wilaya IV a été atteinte dans une moindre mesure n'est pas un argument sérieux, d'autant plus que c'est Amirouche qui a suggéré «la purge», comme vous le soulignez. Un crime de cette ampleur, qui s'apparente à un crime de guerre, ne peut être blanchi par des supposées félicitations du GPRA, dont vous ne présentez aucune preuve d'archives. Enfin vous «jouez» sur le nombre des victimes, ce qui est purement scandaleux ! comme si le nombre de «seulement» 400 victimes pouvait en atténuer l'atrocité. Le journal «El Watan» rapporte, dans une de ses éditions de Mai 2010, que le colonel Youcef Khatib justifie ces crimes «par l'intérêt de la révolution» , argument irrecevable au regard du droit à la vie. Même si l'on s'accorde à dire qu'aucune révolution n'est propre. Allez expliquez cela aux familles qui ont eu l'honneur et le bonheur de voir leurs enfants répondre à l'appel de la patrie et qui apprennent qu'ils ont été assassinés par leurs frères. F. Abbas dira que «Amirouche et son adjoint Mahyouz étaient trop simples pour déjouer le piège». Il rapportera des paroles: «il y a quelque chose qui ne va pas, il est impensable que des hommes que j'ai bien connus, que j'ai formés, qui se sont battus à mes côtés et dont le patriotisme est au-dessus de tout soupçon, soient devenus des traîtres». Selon les déclarations de Abbas et de Krim, on est loin de prétendues félicitations du GPRA. 3- Tous les acteurs et témoins de la guerre de libération reconnaissent l'organisation exemplaire de la Willaya III. Cependant, il faut nuancer. Chaque Willaya s'organise en fonction du terrain (la Kabylie montagneuse, l'Oranie faite de plaines) et de ses capacités humaines et matérielles. La tolérance de Amirouche que vous soulignez quant au respect du jeûne du Ramadhan, des prières, etc., n'est simplement que le reflet du caractère tolérant de cette époque où les Algériens vivaient leur religion dans le cadre de la laïcité, avant que notre pays ne soit le théâtre de bigoterie sous-entendue par l'Islamisme. De même, la mixité était de règle dans toutes les Wilayate. Cela m'a été confirmé par des maquisardes de la première heure de la Wilaya V : feu Mme Benyahia Zohra, ancienne anesthésiste au CHU d'Oran et Mme Yekhou Saléha toujours vivante. 4- Le colonel Amirouche n'a pas été assassiné mais est mort en héros, debout, les armes à la main devant une armada que vous décriviez avec précision. Le même destin que le colonel si Mohammed ou encore celui du colonel Lotfi. Je reprends les paroles de Abanne Ramdane, sus citées: «Quand on s'engage dans la révolution, on est des morts en sursis». Vous insistez sur le caractère suspect de cette mort en dehors de la Kabylie (affirmation pleine de sous-entendus) pour avancer votre certitude, le colonel Amirouche a été donné aux Français par Boussouf et Boumedienne, grave accusation sans aucune preuve matérielle, sinon un témoignage rapportant que Krim aurait demandé à Amirouche de changer d'itinéraire, sans aucune explication. Ce témoignage serait crédible car il recouperait un autre que vous rapportez: à l'EMG, un message français aurait été capté informant du déplacement de Amirouche. De là à affirmer qu'il aurait été donné par ses frères d'armes est un pas qu'aucun historien ne franchira par manque d'archives. D'autres témoignages rapportés par d'autres acteurs réfutent la thèse du complot. Les historiens un jour trancheront sur la base d'archives. En sous-tendant cette question par votre haine viscérale du régime de Boumedienne, le long de votre livre, vous ne rendez pas service à la vérité. 5- La séquestration des ossements des colonels Amirouche et si Haoues est condamnable et moralement inacceptable. Cependant, les acteurs de cette période n'étant plus de ce monde, tout ce qui pourra être dit sur les raisons (si toutefois, raisons il y a) ne peut être que spéculation. 6- A Oran, pendant la guerre, nos mères n'ont pas chanté pour nous les louanges de Amirouche. Nos sœurs et cousines n'ont pas composé de poèmes à la gloire de Amirouche. Les instituteurs dans les écoles ne nous ont pas annoncé la mort de Amirouche. Mais je me souviens des mines tristes et défaites des Oranaises et Oranais, apprenant la mort de Amirouche par «L'Echo d'Oran». Amirouche, au même titre que Zabana ou le colonel Lotfi, est un illustre héros national pour les Oranais. L'impression qui se dégage de votre livre est que la Kabylie le revendique pour elle-même. Je vous reproche de l'avoir «ghettoïsé» dans la Kabylie. A plusieurs reprises, vous le qualifiez de « jeune chef Kabyle » ou de « chef kabyle » plutôt que de responsable de la Wilaya III. Vous rapportez souvent ses propos en tamazight, comme si cela était nécessaire à la clarté du récit. Pour souligner l'efficacité de Amirouche, vous comparez le PC de la Wilaya III à un mini-gouvernement, pour finir carrément de comparer la Kabylie à un «mini-état». Comparaison lourde de sens pouvant inciter certains aventuriers à suggérer que le colonel Amirouche pourrait être le précurseur des idées défendues par le MAK ( mouvement pour l'autonomie de la Kabylie), lui qui est mort héroïquement pour une Algérie indépendante et unie. Ce sont les six commentaires que je souhaiterai faire après lecture de votre livre. Ce livre ne vous aide pas à jouer le rôle de rassembleur des forces démocratiques auquel vous aspirez. Car dans ce livre vous assenez brutalement des vérités, vos vérités qui vous semblent absolues, ne souffrant ni démenti ni contradiction. Tous ceux qui vous ont amené la contradiction, vous les avez voués aux gémonies, souvent en usant de l'insulte : Monsieur Benachenhou, le colonel Ali Kafi, l'écrivain Rachid Boujedra, etc. Au passage, vous vous en prenez aux intellectuels (complices du régime), les communistes (leur «soutien critique» à Boumedienne), même le grand historien Mohammed Harbi n'échappe pas à votre esprit vindicatif. Je cite: «la difficulté des intellectuels algériens à préserver leur autonomie quand ils ont été acteurs de la guerre» (p. 341). Je suis d'accord avec vous «que les hommes de conviction survivent rarement aux révolutions», et vous citez Che Guevara. A la différence de la biographie de Amirouche que vous présentez, quand on lit celle du « Che » où l'on visionne le film qui lui a été consacré, on découvre un héros hors du commun, auteur d'actes héroïques, doué du sens de l'organisation, mais aussi un homme avec ses faiblesses et ses erreurs humaines. Dr Saâdi, ne faites pas de Amirouche un mythe. La génération actuelle vivant dans un monde globalisé et à l'heure des NTIC ne croit pas aux mythes, mais aux héros en chair et en os. Le colonel Amirouche, quelles que soient ses erreurs de jugement, restera pour chaque Algérienne et chaque Algérien un héros national de l'épopée de la révolution. D'ailleurs d'est en ouest, du nord au sud, dans chaque ville, chaque village, un édifice public, une place ou un boulevard porte son nom. Dr Saâdi, restez l'homme politique, défenseur d'une Algérie républicaine, démocratique, moderne, ouverte à l'universalité et laissez aux historiens le soin d'écrire l'histoire, dont c'est la mission. L'histoire pour être objective ne peut être écrite sur la base d'archives, comme le déclare à «El Watan» le sociologue et historien D.Djerbal. *Professeur de chirurgie et cancérologie CHU Oran |
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