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Le métier de foreur pétrolier
est celui qui permet de nourrir la flamme qui préservera nos descendants des
rigueurs de l'hiver mais il n'est pas qu'une formalité pour s'adjuger une
offrande céleste. C'est aussi le sacrifice parfois suprême d'hommes et de
femmes, hors du commun. De ces hommes qui partent et repartent vers des
contrées toujours plus éloignées de leurs épouses, mères ou filles ne cessant
de prier pour leurs retours improbables.
Surgissant de derrière les crêtes onduleuses des dunes de Tifernine, les mastodontes de fer venus du Texas telles d'énormes bêtes fourbues sous leurs lourdes charges se frayent un chemin vers la nouvelle plateforme qui les accueillera. C'est là qu'ils déposeront le derrick et tous les équipements nécessaires à la réalisation de leur nouvelle mission : creuser le sable incandescent pour faire jaillir la potion magique qui permettra de fonder l'oasis des temps modernes. Des hommes encagoulés dans des chèches kaki espèrent l'arrivée pas trop tardive de «la bête» afin qu'ils puissent installer le campement avant la nuit. Ils sont là et las depuis l'aube. Ils ont slalomé toute la nuit avant d'atteindre la plateforme enclavée de montagnes de sable menaçantes. Ils n'ont fait qu'attendre toute la journée. Mais attendre dans ces contrées, c'est se dessécher et tarir ses glandes lacrymales à force d'évacuer les grains de sable des globes oculaires rougis. Enfin la civilisation est de retour. Vite ! Chacun à sa tâche. Les ordres fusent tels des menaces. On ne badine pas avec la discipline dans ce métier. Personne ne s'en plaint d'ailleurs. On a tous à la fois un chef pour vous rappeler à l'ordre et un subordonné à galvaniser, motiver ou sanctionner. La hiérarchie a été pensée pour ne faire que des responsables. Du plus haut gradé au dernier maillon, tous peuvent produire une idée lumineuse qui garantira l'atteinte de l'objectif ou au contraire causer la ruine du projet. Du plus modeste manutentionnaire au président directeur général, personne n'est de trop, jamais de sureffectif. Paradoxalement «nul n'est indispensable».Telle est la devise qui a fait de ces hommes des forces de la nature. Le défi permanent, la solidarité, l'empathie qui caractérisent ces forçats volontaires, on ne les retrouve dans aucune autre profession. Ce qui rend ces hommes rudes attachants c'est l'humour élevé au rang de culture. Pourtant le drame n'est jamais loin. Les statistiques font froid dans le dos. Les handicaps, les mutilations, les frustrations sont fréquentes. Parfois on ne peut assister ni aux naissances de sa progéniture ni aux décès des siens. Il est rare que ces hommes trouvent les mots pour consoler leurs enfants déprimés de voir toujours repartir leur papa. Une chèvre famélique, on croise de moins en moins de gazelles, négocie quelque tige sur un talus dénué d'ombre où se trouvent couchées quelques chambres à air gorgées d'eau. Ces outres des temps modernes servent aux nomades de réservoirs ambulants. Plus loin, depuis qu'a été creusé le puits servant à alimenter le camp en eau bouillante, se sont installés quelques dromadaires impassibles. Ils vivront là de croûtons de pain, et de pudding outrageusement sucré, le boulanger de l'équipe s'improvisant pâtissier ne maitrisant pas encore l'art du mille-feuille. Le bivouac durera le temps pour les bêtes de couvrir leurs côtes apparentes, et aux R'guibates de se faire quelques provisions de pain rassis et soigner leurs plaies. Que ce soit les hommes ou leurs bêtes, les blessures sont fréquentes dans cet océan de sable féérique, en apparence inoffensif, mais qui réserve parfois des rencontres mortelles. Scorpions et vipères à cornes sont souvent tapis sous une fine couche de sable. Le projet durera quelques semaines si le forage se déroule dans les meilleures conditions, mais on n'en est pas encore là. Le responsable des transports hurle ses ordres à des chauffeurs d'engins, virtuoses du volant. Dès les dernières lueurs du jour estompées, le groupe électrogène s'ébranle couvrant les cris de joie des sondeurs célébrant les mécanos et électriciens très sollicités pour la circonstance. Pendant que le personnel technique se rue vers les chambres puis les douches, l'intendant et les cuisiniers s'affairent à préparer le repas, mettre le couvert. Ce soir encore, le thé sera proposé par les camionneurs à la belle étoile. La nuit fut courte mais constellée d'anecdotes, d'éclats de rire et des reliquats des prières de la journée. On n'arrête pas un convoi de 50 millions de dollars rien que pour la sauvegarde de son âme. Aux premières lueurs du jour, le muézin du moment, le plus souvent quelqu'un du sud du pays et de préférence non assujetti aux contraintes du foreur, appelle à la prière du fadjr qui marque la reprise des travaux. Ici le travail est véritablement un acte de piété. Les journées sont longues, le soleil implacable et les vents de sable furieux rajoutent à la pénibilité des tâches. Tout le monde adhère au défi qui consiste à lever le derrick avant la nuit, car plus tôt sera érigé le mât, meilleur sera le bonus accordé pour la performance. Ici, on n'est payé que si l'on creuse la terre hostile aux intrus. Les plus anciens Naïlis gantés, casqués, armés de lourdes masses, célèbres frappeurs de pièces d'acier récalcitrantes, se mettent en ordre de bataille. Le vieux soudeur soufi prosélyte auprès de nos visiteurs occidentaux court dans tous les sens pour proposer son aide aux plus jeunes. Sid Ali de la casbah, féru de chââbi, manie la pompe à graisse avec conviction. Tout doit s'emboîter sans accrocs. Plus loin, un air de maalouf parvient aux oreilles du second poste qui court vérifier le bon déroulement du montage des conduites de boue. L'assemblage des organes de surface est réalisé en quelques heures malgré l'apparente bonhommie affichée par les acteurs dans ce coin du chantier. Le chef de chantier, ingénieur de son état mais rompu au jargon du métier, distribue ses ordres dans tous les accents du pays. Gueulantes, apostrophes, sermons et menaces confèrent à l'ambiance un air de kermesse, côté derrick. Le mât de 142 pieds sera dressé avant la prière du Maghreb. C'est un moment particulièrement délicat du fait des risques de chute fatale à la tour. Le «safety meeting» d'avant l'opération conduit par le chef de poste sous l'œil attentif du surperintendant se déroule dans un silence religieux. -tawakalou 3ala Allah? ya allah, let's go? chacun à son poste ! Dix minutes auront suffi pour dresser la fierté du groupe. A 19 heures, il ne reste plus que l'éclairage à assurer. La journée a été dure. La pause déjeûner n'a duré que quelques minutes. Au signal du patron un débriefing est vite entamé. Il n'y a pas eu trop de manquement à la sécurité, pas d'incident notable. Les tâches à réaliser le lendemain sont rapidement passées en revue et la transition pour le passage aux équipes de nuit est décidée pour la nuit prochaine. Au Baraka Allah fikoum est venu clore les débats un énergique : amali fiha ziada? c'est Barkat qui comme toujours ajoute sa pincée de revendication au plat du jour. Puis telle une compagnie au combat sur le front à qui l'on vient d'annoncer une trêve, tout le monde se mis à crier et courir vers le camp. On dirait des écoliers à l'annonce des grandes vacances. Il n'est que 5h30 lorsque le déluge s'abat sur ma porte. C'est H'sissen qui rejoint son bureau des opérations. Il en est le chef de département. Je m'occupe de la maintenance opérationnelle des équipements. Tous les matins, il me taquine avec son dynamisme légendaire, un monstre de travail, érudit dans sa filière, une personnalité hors du commun. Il doit récupérer les rapports de tous les chantiers pour les 24h écoulées avant 7h pour préparer le meeting de la direction des opérations. Assistent également à cette réunion quotidienne, le directeur des opérations de forage, le chef du personnel, le responsable de l'hygiène et sécurité, le responsable de la maintenance et un représentant de la direction des transports. Je rejoins mon ami vers 6h15. Nous avons peu de temps pour évaluer la situation de dizaines de chantiers. Des solutions aux ennuis mineurs sont vite adoptées et proposées par téléphone aux responsables de chantiers qui en ont besoin. Pour les problèmes plus sérieux nécessitant une intervention physique de superviseurs spécialistés basés à Hassi-Messaoud ou un soutien logistique conséquent, les décisions à prendre doivent être discutées et validées par le directeur des opérations à l'issue du meeting. Les chantiers sont parfois situés à des milliers de kilomètres. La moindre erreur de diagnostic peut coûter des dizaines voire des centaines de milliers de dollars. Aujourd'hui peu de chantiers présentent des réserves émanant de nos clients. Le forage va bon train et les visages s'illuminent lorsque H'sissen n'annonce que des T1 (chantier rémunéré au plein tarif) et peu de NPT (Temps improductifs). Justement le Rig20 vient de réaliser une performance inespérée : 3 jours de gagnés lors de son déménagement pour BP/STATOIL. On apprécie mieux le goût du café, ce n'est pas toujours le cas. Il est des matins où les visages sont fermés. Ces moments-là peuvent être le fait d'un accident grave, un engagement auprès de nos clients non assumé, un manquement à la sécurité des personnes, des réservoirs, ou des équipements et c'est le purgatoire pour les coupables. Mais le miracle dans ce métier, c'est la dialectique qui régit les rapports du chef à son subordonné. A force d'estime et d'admiration réciproques vous pouvez assister à des empoignades épiques au petit matin lorsque l'adversité est au rendez-vous, puis lorsque les problèmes sont éradiqués apparaissent: la sérénité, l'empathie, la bonne humeur, la satisfaction. Vous verrez alors l'atmosphère se détendre autour d'un thé. Cela se passe généralement vers 15h, heure à laquelle on note les feedbacks résultant de nos actions du matin. On peut alors blaguer, se faire de gentilles taquineries, ou deviser sur les comportements des uns et des autres, le devoir accompli, c'est de bonne guerre. Vers 8h arrive l'équipe de forage de jour: le chef de poste, son second, l'accrocheur, 2 ouvriers de plancher, 1 mécanicien de sonde et 2 manœuvres de sonde. L'équipe de surface elle, est arrivée à 7h : électriciens, soudeurs, chauffeur de grue et personnel d'entretien des habitations situées sur la plateforme de forage occupées par les chefs de chantier, chef mécanicien, chef électricien, le représentant du maître d'œuvre et le boueux (chimiste en charge des fluides de forage). Les géologues, eux, ont leur quartier dans le camp principal. Le chantier compte environ une quarantaine de travailleurs représentant une dizaine de métiers pour réaliser le forage d'un puits de pétrole ou de GAZ dans des délais et avec des coûts qui varient d'une région à l'autre, selon la nature plus ou moins difficiles des sols. La relève se fait toutes les quatre semaines, tout le monde assurant 12h de travail quotidiennement quelles que soient les conditions climatiques. Des équipes restreintes de tierces compagnies viennent également réaliser des opérations spéciales à certains stades d'avancement. Aujourd'hui débute effectivement le forage, après inspection par le représentant du maître d'œuvre des moyens mis en œuvre pour l'exécution du projet. Rien n'est laissé au hasard. Le moindre soupçon de défaillance d'équipement, manquement aux règles de sécurité ou absence d'habilitation du personnel peut retarder le début de l'action. Dans ce cas de figure, la sanction est immédiate : pas de rémunération jusqu'à ce que l'entrepreneur lève les réserves émises par le client, ce qui serait catastrophique et perçu comme une hérésie dans la profession. L'équipe de nuit ayant tout préparé, après le pré-job meeting d'usage, commence alors le forage des premiers mètres avec le bruit caractéristique des différentes machines, et le choc des tiges d'acier. Le chef de chantier peut enfin rejoindre son bureau pour finaliser et signer les différents documents, mais surtout libérer les engins ayant servi au déménagement de l'appareil. Les protestations du chef de transport n'aboutiront à rien devant le refus du chef de chantier de facturer une grue défaillante. La règle est simple .On ne paye ni les personnes ni les machines à ne rien faire. Très vite, la première phase est complétée. Les premières centaines de mètres de tubage sont posés et cimentés. L'accalmie durant le temps de prise du ciment permettra la pose et tests des BOP's, pièces majeures pour la sécurité du puits et du personnel en cas d'éruption. Dès lors, les automatismes sont retrouvés. Sur un chantier de forage vous ne verrez jamais un travailleur désœuvré au cours de ses 12h de poste. Les seuls répits sont autorisés pour les besoins de restauration ou d'hydratation. Un sondeur consomme jusqu'à 10 litres d'eau et plus par grandes chaleurs. Imaginons le stress de l'organisme durant les longues journées de Ramadan, tous observant le jeûne. La foi avec ses préceptes pour ces hommes est indiscutable. Lorsqu'un forage débute dans de bonnes conditions, et qu'aucun équipement n'a subi de dommage, auquel cas on procède immédiatement aux réparations, le chef de chantier en collaboration avec le représentant du maître d'œuvre passe en revue les moindres détails de la phase suivante. Il s'assure de la disponibilité de tous les équipements devant servir à sa réalisation, note les paramètres à adopter pour la fabrication du fluide de forage par exemple et instruit ses collaborateurs pour la mise en œuvre de tous les moyens nécessaires à la réussite, suffisamment tôt pour ne pas être pris au dépourvu à des moments critiques. Si commander c'est prévoir, forer c'est toujours tout prévoir, y compris le pire. Durant des décennies, sur les plateformes de forage, toujours loin de la civilisation, il n'y avait ni télé ni radio et encore moins de téléphone. Les seuls loisirs étaient la lecture pour ceux qui savaient et aimaient lire et les veillées nocturnes au thé à la menthe. On raconte de bonnes histoires, on invente de nouvelles blagues. La dernière en date est une devinette: «Quelle est la différence entre les foreurs à la retraite et les moudjahidines ? Réponse : quand il y en a un qui disparait chez les premiers, deux naissances sont enregistrées chez les seconds». Aujourd'hui, le Barça et les «Meringués» ont leurs supporters à l'ombre des derricks. Les chantiers sont connectés via Vsat pour le travail. On n'est plus obligé de vociférer dans les micros de vieilles VHF pour appeler les secours en cas d'accident ou d'incident grave. Aussi les réseaux sociaux et le téléphone sont souvent accessibles pour les communications privées. Vingt-huit jours se sont écoulés dans des conditions plus que satisfaisantes. C'est le moment le plus attendu par l'équipe A qui doit partir en congé et le plus pénible pour celles qui doivent assurer la continuité car le décalage horaire et le doublage qui consiste à ne se reposer que pendant huit heures entre deux postes de douze heures, use les nerfs et augmente les risques d'accidents. La liesse qui caractérise les jours de départ en congé après un mois de labeur fait oublier les risques encourus durant les trajets parfois interminables en raison de pistes cahoteuses mais aussi à cause des car-jackings fréquents dans le désert. Les contrebandiers ne sont jamais loin et nos 4x4 feraient leur bonheur. La météo ou des grèves de la compagnie aérienne affrétée pour le transport des travailleurs vers les wilayas du Nord transforment parfois ce qui devait être une délivrance en cauchemar. Deux mois se sont écoulés et le forage tire à sa fin. La performance est encore une fois inédite, ce qui ne manque pas de réjouir le personnel. La fierté se lit sur les visages et le client ne cache pas sa satisfaction. Le Twin-Other De Havilland à ailes hautes effectue un passage en rase-mottes au dessus de la plateforme presque plus bas que le niveau de la passerelle d'accrochage située à plus de trente-cinq mètres du sol. Une manche à air accrochée au sommet du derrick indique aux pilotes la direction du vent. L'avion disparaît derrière la dune pour se poser sur les quelques centaines de mètres de tuf improvisées. C'est le manager de Bp/Statoil qui vient assister à l'extraction de la dernière ?'carotte». Elle renseignera sur le résultat de cette exploration. Durant l'opération de carottage, les géologues n'ont pas caché leur optimisme pour la découverte d'un réservoir d'huile estimable. Trent Nelson le manager, après un passage obligé par ce qu'on appelle «INDUCTION «( rappel des procédures d'usage aux visiteurs) va d'abord saluer les travailleurs avant de rejoindre le bureau de son représentant sur le site. Quelques minutes plus tard, il rejoint le chef de chantier pour le féliciter. Il n'est pas venu les mains vides. Des cartons sont disposés devant le bureau. Ils contiennent des jaquettes frappées des insignes des deux compagnies SH/ENAFOR et BP/STAOIL. Elles sont rapidement distribuées au personnel. Le manager passera la demi-journée dans la cabine des géologues et repartira avec des étoiles dans les yeux. Bientôt la région connaîtra un développement fulgurant et nos hommes repartiront à la recherche d'un autre Eldorado. * Retraité du dpt de la maintenance Enafor-SH |
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