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Du temps de l'esclavage, les
planteurs américains soupçonnaient les rassemblements communautaires d'esclaves
d'être des sources potentielles de violence et même de rébellions. Mais tous
les esclaves africains étaient-ils chrétiens ? Pas du tout. Dans l'Amérique
coloniale, seule une petite minorité d'esclaves était chrétienne. Beaucoup
d'entre eux étaient animistes ou pratiquaient l'Islam, une religion courante en
Afrique de l'Ouest, une région d'où beaucoup d'esclaves africains avaient été
capturés et expédiés en Amérique du Nord, depuis 1730. Ainsi, la pratique de
l'Islam parmi les esclaves était commune. Cela faisait partie de leur culture
et vie spirituelle.
Dans un article intitulé : « Les origines musulmanes des esclaves américains (parties 1 et 2): De l'Afrique aux Etats-Unis », publié en 2014, Aisha Stacey affirmait que « les Européens voulaient que les esclaves travaillent sur les terres qu'ils possédaient dans les Caraïbes et dans les Amériques, ils étaient une source de travail plus abondante que les ouvriers contractuels. Il est possible que les musulmans fussent parmi les 20 Africains amenés à la colonie de Jamestown, en Virginie en 1619. » Les historiens modernes pensent qu'au plus fort de la traite des esclaves au 18ème siècle, jusqu'à 7 millions d'Africains avaient été capturés, vendus à des marchands d'esclaves et maintenus en Afrique, dans des conditions difficiles, jusqu'à leur expédition vers les Amériques. On estime, également, que jusqu'à 30% des esclaves en Amérique du Nord, étaient musulmans. Certains érudits, comme Michael Gomez, Sylviane Diouf et d'autres africanistes, utilisant divers matériaux historiques, ont trouvé quelques indices suggérant que « certaines des figures les plus importantes de l'histoire afro-américaine, comme Frederick Douglass, Harriet Tubman, Martin Delaney et d'autres ont été des descendants de musulmans asservis. » Selon Gomez, la présence musulmane en Amérique du Nord «est antérieure à l'arrivée des colons anglais». Il note, également, qu'il y avait une importante population musulmane en Floride espagnole et parmi les Français en Louisiane, et dans d'autres régions, en particulier la région des îles de la mer de Caroline du Sud et en Géorgie. Il maintient que «la présence musulmane... était active, saine et convaincante». Il observe également que «beaucoup de musulmans ont pu continuer à pratiquer l'Islam, même sous la protection de l'expression rituelle chrétienne». Dans « Serviteurs d'Allah: Musulmans africains réduits à l'esclavage dans les Amériques, » Sylviane Diouf affirme que non seulement les musulmans étaient présents en grand nombre dans le sud américain d'avant-guerre, mais qu'ils forgeaient une vie conforme à leur foi et à leurs croyances. Les musulmans africains ont maintenu les cinq piliers de l'Islam tout en observant rigoureusement les restrictions diététiques religieuses et en forgeant des liens communautaires avec les autres musulmans. Ces restrictions sont, généralement, l'abstention de manger de la viande de porc et de ses sous-produits, et de boire des boissons alcoolisées. La tradition folklorique orale des musulmans africains esclaves était un témoignage convaincant du rôle que l'Islam a joué, dans le maintien du patrimoine culturel et de son caractère africain, dans les colonies sudistes d'avant-guerre. En fait, certains musulmans africains alphabétisés ont cherché à préserver cet héritage, en écrivant quelques chapitres ou sourates choisies du Coran. Diouf a, également, ajouté: « Les hommes enturbannés et les femmes voilées, leurs chapelets de prière autour du cou, le coton haché, la canne (à sucre) coupée et le tabac roulé, du lever au coucher du soleil. Comme d'autres esclaves, ils étaient battus, fouettés, maudits, violés, mutilés et humiliés. Au milieu des abus et du mépris, ils continuaient à prier, à jeûner, à être charitables, à lire, à écrire sur le sable, à s'entraider, à chanter leurs airs solitaires et à montrer leur fierté en eux-mêmes, leur religion et leur culture ». Quelques célèbres esclaves musulmans africains en Amérique du Nord: - Omar ibn Sayyid (1770-1864): C'était un érudit musulman du Sénégal bien éduqué. Il avait été enlevé de sa maison et envoyé sur un navire vers une plantation dans le sud américain, en1807. Omar avait vécu en Caroline du Nord et du Sud et était l'un des premiers musulmans, les plus célèbres aux États-Unis. Il avait laissé, derrière lui, au moins 14 ouvrages d'histoire et de théologie en arabe y compris une célèbre autobiographie. - Adbul Rahman Ibrahima Sori (1762-1829): Né prince d'une famille royale du royaume de Futa Jallon, en Afrique de l'Ouest (aujourd'hui en République de Guinée), il avait été vendu comme esclave, en 1788. Cet érudit musulman Fulani a passé 40 ans comme esclave à Natchez, dans le Missouri. Après avoir été libéré, en janvier 1829, il partit pour le Liberia avec sa femme mais sans ses neuf enfants esclaves restés aux USA. Il mourut peu de temps après. Terry Alford a écrit une biographie intitulée : « Un Prince parmi les esclaves (Prince Amog Slaves) ». La vie d'Adbul Rahman avait été adaptée au cinéma dans un film ayant le même titre écrit et réalisé par Andrea Kalin (2008). - Ayuba Suleiman Diallo (1701-1773): également connu sous le nom de Job ben Solomon, il est né à Bundu, au Sénégal (Afrique de l'Ouest). Ce célèbre savant musulman a, également, été victime du sinistre «Passage du Milieu», dans le cadre de la traite des esclaves, dans l'Atlantique. Le «Passage du Milieu» fait référence à une pratique du commerce d'esclaves africains qui furent entassés dans des bateaux puis transportés, à travers l'Atlantique, vers les Indes Occidentales. La traversée durait trois à quatre mois et pendant ce temps-là, les esclaves noirs étaient gardés en rangs mais enchaînés dans la cale. Ayuba avait passé environ deux ans, en esclavage, dans le Maryland, puis il avait été amené en Angleterre et enfin libéré. Il avait impressionné aussi bien les Américains que les Européens avec son esprit éveillé, sa culture et son sens aigu de l'identité africaine et musulmane. Ses amis anglais avaient organisé son retour en Afrique, sa terre natale, en 1734, où il était devenu un agent commercial de la Compagnie royale africaine. Ses amis avaient également écrit sa biographie qui dépeignait ses pensées et ses sentiments sur l'esclavage américain et la culture et la religion africaines. - Abu Bakr Al-Siddiq: Né à Tombouctou, en 1794, Abu Bakr était membre d'une famille riche et sophistiquée de Mandingo (aujourd'hui Ghana). Capturé, lors de la guerre locale, et vendu en esclavage, en 1807, il se retrouva dans une plantation jamaïcaine où, malgré un baptême forcé, il resta un musulman dévoué. Abou Bakr est l'auteur d'une longue biographie, en arabe, et était connu comme un écrivain accompli. Il a compilé de nombreuses listes de routes commerciales, en Afrique de l'Ouest, également en arabe. Richard Madden, un abolitionniste irlandais, en Jamaïque, a tenté de traduire les écrits d'Abu Bakr. Plus tard, ils furent, également, traduits en anglais par George C. Renouard, un Londonien, profondément, impressionné par la foi musulmane profonde d'Abu Bakr et ses vastes connaissances géographiques. - Salih Bilali: Originaire de Massina, au Mali, Salih Bilali (aussi appelé ?Tom') était un esclave de l'Île de Saint-Simon en Géorgie. Bien connu par ses contemporains; Tom était un musulman très religieux et un leader dans sa communauté. Malheureusement, de nombreux détails de la vie de Salih Bilali aux États-Unis avaient été obscurcis par le temps. L'histoire de sa vie en Afrique a été enregistrée par son maître, James Hamilton Couper, dans une lettre que Couper avait écrite et publiée plus tard. Plus tard, des souvenirs de Salih Bilali avait été recueillis auprès d'ex-esclaves. Toutefois, l'on sait plus sur son ami, Bilali Mohamed, également résident de Géorgie. - Bilali Mohamed: Bilali était un surveillant sur l'île de Sapelo, en Géorgie, où il était connu pour avoir convaincu ses compagnons de ne pas déserter durant la Seconde guerre contre la Grande-Bretagne, en 1812. Son maître, Thomas Spaulding, avait montré sa confiance en Bilali, en l'armant lui et ses hommes avec des armes à feu, pour défendre l'île contre les Britanniques. Bilali écrivait en arabe et était considéré comme un leader de la Communauté musulmane, à Sapelo. Les enfants de Bilali avaient étudié l'Islam, sous sa direction. Certains de ses descendants se trouvent, aujourd'hui, dans l'île de Sapelo. Il avait été enterré avec son tapis de prière et une copie du Coran, symboles de la foi musulmane qu'il a pratiquée tout au long de sa vie. Bien que les traductions de son travail se soient avérées difficiles, ses écrits originaux sont conservés à la Georgia State Library à Atlanta. - Mahommah Gardo Baquaqua: Né à Djougou (aujourd'hui Bénin) vers 1830, l'histoire géographique de Baquaqua s'étend de l'Afrique de l'Ouest au Brésil, en passant par Haïti, New York, le Canada, le Michigan et finalement l'Angleterre. Ses mémoires avaient été conservées dans un récit intéressant : Biographie de Mahommah G. Baquaqua, dans laquelle il décrivit sa patrie africaine. Son récit est aussi la seule œuvre documentant la vie d'un esclave brésilien à cette époque. Après avoir été libéré, à New York, Barquaqua avait travaillé pour un employeur abusif, à Haïti, et était devenu un adversaire ténu du christianisme tel que prêché par les missionnaires locaux. Baquaqua était lettré en anglais, mais ne pouvait écrire que quelques mots en arabe, et il a, brièvement, fait ses études au Collège Central de McGrawville, à New York. Il avait ensuite déménagé au Canada et collaboré avec l'écrivain Samuel Moore et l'imprimeur George Pomeroy, pour composer sa biographie. - Mahammed Ali Ben Saïd (Nicholas Saïd): Il était l'auteur d'une autobiographie expressive qui témoigna de son héritage musulman africain. Après avoir été soumis à une marche des esclaves à travers le désert du Sahara, en 1849, il avait servi des maîtres en Turquie et en Russie, avant d'être engagé en tant que domestique pour un Européen voyageant vers les Amériques. Il était, finalement, devenu un enseignant dans le Michigan en 1862 et plus tard, a servi dans le 55ème régiment des Volontaires de Couleur du Massachusetts, une unité qui avait combattu dans plusieurs batailles importantes de la Guerre Civile. Son autobiographie rédigée en anglais avait été publiée dans l'Atlantic Monthly, en octobre 1867, sous le titre : «Un Natif de Bornoo.» Une omission intéressante de l'ouvrage était le sujet de l'esclavage. Bien que la religion musulmane ne fut pas spécifiquement abordée dans ses mémoires, les perspectives relayées par son écriture avaient reflété une éducation islamique et plusieurs références à «Allah» sont incluses. En conclusion, l'esclavage était perçu par les abolitionnistes, selon toutes les normes morales et aussi religieuses, comme un système effroyable qui devait être déraciné du sol nord-américain, par tous les moyens, y compris les soulèvements violents. Diverses rébellions dirigées souvent par des esclaves, tels que Gabriel Prosser (1800) et Nat Turner (1831), attirèrent l'attention sur la cruauté de la soi-disant ?institution particulière » qu'était l'esclavage. Le traitement lamentable des Noirs avaient motivé les penseurs laïcs, les philosophes et un certain nombre d'évangélistes activistes, à façonner des moyens efficaces pour résister à cette infâme « institution ». Aujourd'hui, le retour des Américains à l'Islam se fait à grands pas, sous l'égide, cette fois des Blancs qui bénéficient d'une grande culture islamique et aussi arabe tels que le Cheikh Hamza Yusuf de Californie, Yusuf Estes du Texas, que j'avais rencontré personnellement, une fois à l'Université d'Essex où j'étais étudiant post-gradué à la fin des années 1980. *Ancien chargé de cours à l'Université, auteur de la série intitulée : «The Student's Companion to the History of the American People, vol. 1, 2, 3, 4» |
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