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« Si vous voulez mettre un
peuple à mort, coupez-lui la langue, saisissez ses terres. C'est précisément ce
que veulent faire les sionistes avec nous. » Khalil Sakakini,
Le mouvement sioniste, Al-Iqdam, Le Caire, 23 février
1914.
Toutes ces pratiques abjectes utilisées en Algérie par la France dès 1830 (Expropriations, spoliations, démolitions, cantonnement, resserrement, refoulement, séquestres comme punitions collectives, internement, exécutions sommaires, recours à une justice d'exception voire une justice militaire entièrement au service du pouvoir colonial) seront pratiquées par Israël de la manière la plus horrible depuis la Nakba de 1948 jusqu'à nos jours. En Palestine, l'acquisition des terres de la part des Juifs commencera avant la création de l'Etat d'Israël et revêtira plusieurs formes. Cette opération sera différente du modèle colonial français extrêmement brutal et meurtrier dès 1830. En Palestine, depuis 1880, une partie non négligeable des terres palestiniennes sera vendue par les Arabes eux-mêmes ; de riches propriétaires terriens du temps de l'empire ottoman et qui vivaient ailleurs (Liban, Egypte, Syrie ). Le reste des terres en possession des Juifs provenait soit de l'administration du pays mandataire (cessions), soit des institutions religieuses charitables ou de philanthropes comme le baron français Edmond de Rothschild. Ces acquisitions des terres coïncideront avec les premières vagues d'immigration juive qui se contentaient au début d'établir des colonies agricoles telles « Les Amants de Sion » suivies par les vagues successives des « Aliyah » (1880/1939) expulsées par la terreur antisémite qui régnait en Europe (pogroms). Cette frénésie d'acquisition des terres avec des ambitions politiques inquiétantes finira par susciter une grande inquiétude et une farouche résistance du côté palestinien et arabe (Révoltes arabes 1936/1939 1, intellectuelle et politique). Youssouf Diya al-Khalidi, député au Parlement ottoman et Maire de Jérusalem écrivit en 1899, étant donné que la Palestine est majoritairement peuplée de non-juifs, « De quel droit les Juifs l'exigent-ils pour eux-mêmes ? L'argent juif ne sera pas en mesure d'acheter la Palestine. Elle ne peut être prise que par la force des canons et des navires de guerre ». Dans la presse arabophone, plusieurs intellectuels arabes 2 aborderont assez tôt l'épineuse question d'un Sionisme préoccupant obnubilé par la « conquête et le transfert de la population palestinienne ». La maturation du projet sioniste prônant l'installation d'un Foyer national juif mettra du temps pour s'affirmer, le projet finira par s'imposer de manière urgente dans un climat défavorable et très menaçant pour tous les Juifs d'Europe, notamment avec la survenue du Nazisme. Sur les traces de Léon Pinsker et de Moses Hess surgira sur la scène politique européenne un personnage déterminé et irréductible. Théodore Herzl, avec des revendications très claires, se chargera de donner vie à ce rêve d'installation d'un Foyer national juif en Palestine. En se dotant de tous les moyens politiques et financiers, Herzl mènera son projet jusqu'au bout : création de l'OSM (Organisation Sioniste Mondiale) en 1897 qui créera à son tour en 1929 l'Agence juive (futur Gouvernement israélien), ainsi que la création du Fonds pour l'implantation juive (1899). « C'est la volonté de Dieu, écrira Herzl, que nous revenions sur la terre de nos pères, nous devrons ce faisant représenter la civilisation occidentale, et apporter l'hygiène, l'ordre et les coutumes pures de l'Occident dans ce bout d'Orient pestiféré et corrompu »3. Herzl était bien déterminé à en finir avec les Palestiniens, il écrira dans son journal intime le 12 juin 1895 : « Nous devrons essayer de faire disparaître la population sans le sou de l'autre côté de la frontière en lui procurant de l'emploi dans les pays de transit, tout en lui refusant tout emploi dans notre propre pays ».4 La période la plus violente et carrément génocidaire de l'occupation de la Palestine sera celle issue du partage de 1947 et du conflit qui en débouchera en 1948. On pouvait assez tôt entrevoir les prémices de la diabolique machination israélienne. L'expulsion, le génocide et l'effacement de la Palestine étaient déjà programmés. 5 Évidemment, l'historiographie sioniste propagera une vérité mystifiée. Fort heureusement, suite à l'ouverture en 1978 des archives d'Etat israéliennes et britanniques, la nouvelle historiographie post-sioniste (Simha Flapan, Avi Shlaim, Benny Morris, Ilan Pappé ) ainsi que les brillantes recherches plus anciennes effectuées par d'éminents Historiens palestiniens (Walid Khalidi, Nur Masalha, Elias Sanbar ) 6 confirmeront l'épuration ethnique. Affichant un mépris assumé à l'égard de l'ONU, dès 1937, David Ben Gourion, futur Premier ministre d'Israël, expliquait : « Après la formation d'une armée importante dans le cadre de l'établissement de l'État [juif], nous abolirons la partition et nous nous étendrons à l'ensemble de la Palestine. »7 Quant à son alter égo Yossef Weitz, chef du département colonisation de l'Agence juive en 1940, il déclarait déjà : « Il doit être clair qu'il n'y a pas de place pour deux peuples dans ce pays. Nous n'atteindrons pas notre but si les Arabes sont dans ce pays. Il n'y a pas d'autres possibilités que de transférer les Arabes d'ici vers les pays voisins - tous. Pas un seul village, pas une seule tribu ne doit rester. » 8 Plus de 700.000 Palestiniens seront expulsés de leurs terres dans des conditions inhumaines, plus de 400 villages seront détruits, avec comme bonus 25% de terres palestiniennes qui iront grossir les 56% de la Palestine déjà acquises à Israël lors du partage de 1947. Ainsi, on estime qu'entre le 15 mai 1948 et la fin de 1951, plus de 684.000 Juifs ont immigré en Israël et se sont installés sur une partie non négligeable des terres abandonnées par les Palestiniens.9 En dépit de la véhémente condamnation de l'ONU (Résolution 194 du 11 décembre 1948), aucun Palestinien n'y remettra plus jamais les pieds dans sa terre natale. Tel sera le décompte de ce premier dépeçage. Sur ces terres palestiniennes désertées, Israël installera de facto entre 1948 et fin 1951, plusieurs centaines de milliers de Juifs immigrés. Plus de 300 colonies essaimeront sur ces terres outragées. Le sort qu'elle réservera aux tribus bédouines du Néguev et de Galilée sera terrible. Eclatées, atomisées, resserrées à proximité d'une zone militarisée qui abritera illégalement des colonies qui à leur tour limiteront la liberté de circuler de ces tribus bédouines. Mettre fin à leur mode de vie millénaire et les priver de leurs terres qui constituaient leur seul moyen de subsistance, entérinait leur extinction, leur effacement, leur disparition, à moyen ou à long terme. Vulnérabilisées par cette satanique opération de cantonnement, refoulement, déplacement, démolition, ces tribus s'étiolent et se rabougrissent sans que personne ne se rende compte. L'une des armes les plus redoutables de la politique israélienne, identique aux méthodes nazies appliquées dans les camps de concentration, sera de tenir au secret ce qui s'y tramait sur ces malheureux territoires. Des Palestiniens incarcérés dans des réserves où nul ne peut y accéder en toute liberté pour éclairer le monde sur la condition inhumaine de ces tribus anachroniques que l'on faisait disparaitre à la manière des Américains avec leur « Indian Removal Act » (« loi sur le déplacement des Indiens ». Il leur faut toujours une Loi pour justifier et légaliser les génocides. Les Américains procéderont à la déportation d'une cinquantaine de tribus entre 1831 et 1838. Cette opération légendaire surnommée la « Piste des Larmes », particulièrement brutale, s'effectua à marches forcées et coûtera la vie à des milliers d'Amérindiens. La Palestine sera le jouet exclusif d'un Etat israélien psychopathe conforté dans ses délires par toutes les puissances occidentales. Suite à l'épuration ethnique10 de 1948, les Militaires confisqueront immédiatement les territoires palestiniens des zones frontalières en invoquant la question sécuritaire. Le Pouvoir qui leur sera dévolu sera sans commune mesure. Au moyen d'Ordonnances successives (1948/1949)11, ils géreront le foncier palestinien à leur guise. Ces Ordonnances militaires israéliennes serviront à autre chose qu'à neutraliser et sécuriser l'espace conquis, elles permettront à l'Etat de tirer profit et de fructifier par tous les moyens possibles les terres et biens immobiliers spoliés. Dans l'illégalité la plus complète, la colonisation israélienne sera gérée et organisée durant plusieurs années par des institutions aux prérogatives considérables : «The Custodian of Absentee Property », « The Development Authority » et le « Fonds National Juif ». Israël bricolera des lois pour légaliser toutes ces opérations de dépossession des terres palestiniennes. La loi de mars 1950, « The Absentee Property Law » (Loi sur la propriété des absents) permettra à Israël de s'approprier et de gérer, par l'intermédiaire de ses différentes institutions, préalablement créées à cet effet, des milliers de biens meubles et immeubles palestiniens (des terres, des maisons, des actifs, des entreprises, etc.). En 1953, le Knesset (Parlement israélien), adoptera une nouvelle loi « The Land Acquisition Law » (La loi sur l'acquisition de terres), Loi très importante qui allait clore définitivement la question juridique des biens palestiniens spoliés (terres, propriétés et autres biens abandonnés par les Palestiniens après les opérations militaires de 1948). Israël pouvait désormais gérer comme bon lui semblait cet immense patrimoine foncier palestinien. La loi sur l'acquisition de terres a été promulguée pour garantir la « légalité » de la confiscation des terres pendant et après 1948. Cette légalisation rétroactive permettra la saisie de terres sur la base des impératifs de « Sécurité » et de « Développement ». Le deuxième dépeçage foncier s'effectuera, toujours de la manière la plus illégale, suite à la guerre des six jours. C'est principalement la déroute des armées arabes de 1967 qui a permis à Israël de s'approprier une fois de plus un territoire qui n'était pas le sien ( l'Égypte perdit la péninsule du Sinaï/60 000 km2 et la bande de Gaza/360 km2, la Jordanie, toute la rive occidentale du Jourdain, y compris Jérusalem-Est /5 600 km2, la Syrie, le plateau du Golan/160 km2), de s'agrandir et de s'installer dans la durée avec pour conséquence inévitable de cette frénésie colonisatrice, l'effacement de la ligne verte (La ligne d'Armistice de 1949). « L'objectif suprême du sionisme a été et reste toujours la création d'un État qui englobe toute la Palestine (Eretz Israël ou Terre d'Israël), entièrement débarrassée des Arabes ».12 A suivre *Universitaire Notes 1_ Mazin B. Qumsiyeh, Popular Resistance in Palestine : A History of Hope and Empowerment, Londres-New York, Pluto Press : Palgrave Macmillan, 2011, p. 41-42 - Rashid Khalidi, Palestinian Identity : The Construction of Modern National Consciousness, New York, Columbia University Press, 1997, p. 99-100. 2_Rashid Khalidi, Ibid., p. 120-144. 3_ Theodor Herzl, The Complete Diaries of Theodor Herzl, New York et London, Herzl Press and T. Yoseloff, 1960, I, p. 343 4_ Ibid. 5_ Walid Khali, « Plan dalet: The Zionist Master Plan for the conquest of Palestine », Journal of Palestine Studies, 1961. 6- Mazouzi Mohamed, « Palestine : L'effacement, Le poids de l'historiographie », Le Quotidien d'Oran du 20/04/2024 7_ Simha Flapan, « The Birth of Israel, Myths and realities », Pantheon, New York, 1987. P.22. 8_ Benny Morris, « 1948 and After, Israel and Palestiniens », Oxford : Clarendon Press ; New York : Oxford University Press, 1990. 9_ Peretz, Don « Israel and the Arab Refugees », Document publié sous les auspices des Nations Unies: UNX. 325.254 (569), pp. 437, 231 10_ Ilan Pappé, « Le nettoyage ethnique de la Palestine », Fayard, 2006, p.8 11_ « The Abandoned Areas Ordinance », « The Defence Regulations (security) », « The Emergency Regulations (security zones) », « The Emergency Regulations (cultivation of waste lands) ». Acquisition des terres en Palestine, Nations Unies, New york 1979 https://www.un.org/unispal 12_ Fayez A.Sayegh, Le colonialisme sioniste en Palestine, Paris, Éditions Cujas, 1968 [1965], p. 37. |
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