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«Seule
une stratégie extrêmement simple, claire et spécifique a des chances de
réussir» Peter Drucker
Il est aujourd'hui largement admis que la constitution d'un potentiel scientifique et technologique est un élément déterminant des politiques de développement économique et social. Pour valoriser ce potentiel, il faudrait lui trouver un relais, des débouchés et des possibilités de coopération scientifique et technologique avec l'aval industriel. L'observation, dans les grands pays de l'OCDE et dans les pays dits émergents, plus particulièrement les pays asiatiques, montre que la politique scientifique et technologique présente de multiples complémentarités avec la politique industrielle. L'existence de complémentarités comparables, dynamique, pérenne et plus étroite dans notre pays est, à l'évidence, un objectif souhaitable. Cependant, l'un des problèmes majeurs auquel l'Algérie fait face depuis notre indépendance, dont nous célébrerons cette année son 60ème anniversaire, est l'absence d'articulations claires entre formation, recherche (avec ce qu'elle implique le cas échéant, de démonstration de faisabilité économique) et innovation (et son instrument privilégié le transfert de technologies) qui devraient constituer des secteurs d'activités fortement interdépendants de notre système national de recherche. Le bon fonctionnement de chacun d'eux pris individuellement, comme de l'ensemble qu'ils forment, conditionne étroitement le progrès des connaissances et le développement économique. Par conséquent, l'Algérie ne pourra résoudre ses problèmes économiques de développement auxquels elle fait face et les nombreux défis qui s'annoncent à l'horizon si elle ne dispose pas d'un système de recherche intégrant la recherche scientifique et technologique, le développement expérimental et les services scientifiques et technologiques qui soient dûment articulés, en amont, avec le système éducatif et, en aval, avec le système de production de biens et de services. Il est évident aussi que la recherche qui viserait à articuler le fonctionnement du système national de recherche avec la pénurie de personnels de planification, d'organisation et de gestion des activités scientifiques et technologiques ne saurait assurer un développement durable et harmonieux des trois secteurs qu'on représente parfois par le modèle de triangle, à savoir : secteur État dont la finalité est la recherche liée à la mise en œuvre des politiques gouvernementales, le secteur université dont la finalité est la recherche liée à l'enseignement et à l'avancement général des connaissances et enfin le secteur entreprise et industrie dont la finalité est la recherche liée au processus de changement technologique. Le développement de chacun des secteurs nécessite de coordonner l'action des différents agents et de faire en sorte qu'ils coopèrent à la réalisation des objectifs socioéconomiques définis par l'État. Cependant, l'histoire a voulu que ces trois secteurs se développent inégalement et ont tendance chacun à agir suivant une logique qui lui est propre plutôt qu'à des règles claires, empêchant de la sorte la valorisation de notre potentiel scientifique et technologique. Ce n'est pas en multipliant la signature de conventions-cadres de partenariat entre les universités et les entreprises économiques, comme cela semble être le cas actuellement, que nous pourrions parvenir à créer des passerelles et des synergies entre les deux secteurs université-entreprise faute d'y apporter de profondes réformes structurelles nécessaires à un développement économique notamment la recherche-développement (R&D) et l'innovation et une modification des contenus et des pratiques pédagogiques en matière d'enseignement et de formation. Ce n'est pas non plus la formation des doctorants au niveau des entreprises économiques, telle que préconisée tout récemment par le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique lors d'une rencontre organisée en collaboration avec la Confédération algérienne du patronat et du citoyen (CAPC), qui doit permettre d'établir et de développer la relation université-entreprise en l'absence d'entités de R&D propres aux entreprises. Nous estimons que la priorité doit être donnée à la mise en place de ces entités opérationnelles sur lesquelles les doctorants seront adossés, comme le dicte le bon sens. C'est sur cette toile de fond que s'inscrit la présente contribution à travers une question-clé devant être posée : quelle sorte de recherche scientifique et d'actions correspondantes devraient être conçues et mises au point afin de créer les nécessaires articulations entre la politique scientifique et technologique et la politique de développement économique à l'échelle nationale dans le contexte d'une économie mondiale ouverte de plus en plus compétitive et interdépendante ? C'est sur cette toile de fond que devrait aussi se situer présentement le débat qui doit être constructif, rationnel et responsable sur l'économie pour laquelle l'année 2022 lui est consacrée et l'initiative de rassemblement et de cohésion nationale prônés par le président de la République pour la réédification d'une Algérie nouvelle, semblent marquer un tournant décisif de notre histoire. Mais cela ne pourrait se réaliser sans un grand projet de société commun pour lequel nous avons plaidé et sans un leadership politique qui lui est crucial. Au-delà des questions liées au développement d'une vision stratégique, à la mal-gouvernance, aux leviers technologiques potentiels pour le développement économique, à l'élaboration des plans nationaux de développement, aux pôles de développement, etc., qui ont été déjà suffisamment traitées dans nos précédentes contributions, la présente contribution décrit cependant la démarche méthodologique et les modalités de définition des axes et thèmes de recherche scientifiques spécifiques précis qui seraient en adéquation avec les besoins en matière de développement économique dans un contexte de mondialisation croissante de l'économie. Celles-ci permettraient de remédier aux problèmes posés pour le passage de la recherche scientifique au développement technologique et de celui-ci à la mise sur le marché d'un produit par le biais d'entités de R&D propres aux entreprises et d'entités de recherche mixtes université-industrie d'appui aux activités de R&D, dans un environnement mondialisé en constante évolution, qui constitueraient le point de jonction entre le monde universitaire et le monde industriel. Ces entités, pour rappel, sont déjà prévues par la loi n°15-21 du 30 décembre 2015 portant loi d'orientation sur la recherche scientifique et le développement technologique. Sur la base de ces éléments et des faits déjà présentés, tentons maintenant de proposer une stratégie clairement définie et fondée sur une approche intégrée permettant aux trois secteurs susmentionnés de savoir sur quelles priorités faire porter les efforts sur lesquelles se bâtiraient les réformes institutionnelles au sens large et au sens strict qui, selon nous, sont absolument nécessaires en misant sur la recherche scientifique et le progrès technologique comme éléments moteurs pour surmonter la profonde crise multidimensionnelle qui affecte l'ensemble de la communauté nationale. La stratégie devrait s'articuler autour des principaux axes suivants pour chacun des secteurs : 1. Développement des capacités d'élaboration des politiques de la recherche scientifique et de développement technologique A titre de rappel, l'Algérie, en matière de politique de la science et de la technologie (S&T), était dépourvue depuis longtemps d'un organe de politique scientifique et technologique. Le gouvernement s'est alors efforcé de combler cette lacune en créant la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT), un organe prévu par la loi n°08-05 du 23 février 2008, chargée de la mise en œuvre, dans un cadre collégial et intersectoriel, de la politique nationale de recherche scientifique et de développement technologique. Cependant, depuis sa création, cet organe s'était fixé comme objectif de créer des laboratoires de recherche universitaires et des infrastructures nécessaires au développement d'activités de recherche. L'Algérie compte, selon les données de la DGRSDT, au mois d'octobre 2020, 1.472 laboratoires de recherche, 20 plateformes technologiques, 18 unités de calcul intensif, 16 plateaux techniques physicochimiques, etc. Il convient toutefois de noter que ces investissements ne répondent nullement aux besoins de développement économique faute de vision d'ensemble et de stratégie nationale intégrée axée sur la couverture des besoins économiques et sociaux. Nous pouvons déclarer sans trop risquer de nous tromper que la majorité de ces investissements avaient tendance à revêtir un caractère plus sectoriel qu'intersectoriel. Partant de ce constat, et se fondant sur les expériences acquises des pays émergents en matière d'élaboration de politiques, de collecte, d'analyse et d'exploitation des données statistiques, de planification, de programmation, d'orientation des activités liées aux transferts de technologie, il est donc de la première importance que les décideurs politiques s'imposent le devoir de s'informer auprès des sources autorisées pour constituer des capacités et de personnel qualifié dans le domaine du management de la S&T au regard des modules d'enseignement en la matière. La formation de personnel qualifié devrait donc constituer un volet essentiel de la stratégie dont l'objectif principal est l'intégration de la S&T dans le développement économique et social. Cette conviction repose sur ma propre expérience et sur ma participation au Cours régional de programmes et de projets d'investissement en Afrique dans le domaine de la S&T, qui s'est tenu à Badagry (Nigeria) du 1er au 19 septembre 1992. Le cours était organisé par l'UNESCO et l'Université des Nations unies en coopération avec d'autres organismes internationaux de renom. Honnêtement, se trouver dans un tel milieu était complètement nouveau pour moi, mais très enrichissant. 2. Développement d'entités de R&D en entreprise L'autre axe majeur de la stratégie est la constitution d'entités de R&D au sein des entreprises qui représentent le chaînon manquant dans notre système national de recherche. L'enjeu est donc bien celui des changements économiques et technologiques qui doivent être apportés à l'entreprise, en tant que locomotive de la croissance économique, via l'innovation et le transfert technologique. Toutefois, il convient de rappeler le fait que le type d'activité exercé par les entités de R&D est essentiellement orienté vers le développement de produits ou de procédés de fabrication nouveaux ou améliorés. Ceci fait appel à une masse de connaissance et de savoir-faire pluridisciplinaire, son transfert vers notre pays est un processus où le facteur humain jouerait un rôle déterminant : il ne peut véritablement avoir lieu en l'absence des ressources compétentes capables de le maîtriser tout au long de la séquence recherche-développement-production dont les rapports sont contingents à une culture qui favorise l'engagement et l'intégration. Promouvoir le développement de ces entités dans notre pays, via l'adoption de politiques scientifiques et technologiques réalistes et adaptées aux spécificités nationales et de stratégies de coopération scientifique, technologique et industrielle de " rattrapage " reposant sur un cadre de ressources partagées, ainsi que sur une approche conjointe du suivi, permettrait à terme à nos entreprises de maîtriser la production des nouvelles technologies ainsi que leur usage et d'offrir des débouchés en matière d'emploi de scientifiques et d'ingénieurs et devrait par conséquent atténuer l'effet de la fuite des cerveaux. Cependant, dans le cadre d'un processus de développement technologique favorisant l'industrialisation du pays, il y a lieu de rappeler et de souligner que le point d'entrée de la technologie importée doit être, autant que possible, un laboratoire ou unité pilote ou de démonstration de faisabilité économique, où la nécessaire adaptation peut se faire, plutôt qu'une unité de production. A cet effet, promouvoir la création d'un potentiel national dans quelques secteurs de technologie de pointe sur lesquels se fondent les systèmes modernes de production, qu'on peut considérer comme des leviers du développement économique national, est primordial pour jeter les bases des futurs points forts de la seconde phase d'industrialisation. On verra ainsi qu'un processus dynamique et autonome de développement industriel peut être mis en route dans certains créneaux essentiels, et que ce processus devrait ultérieurement avoir des effets d'entraînement et de mobilisation dans des domaines plus larges. Dans cette perspective, outre les pays émergents amis, les personnalités industrielles expatriées qui ont des connaissances du niveau le plus élevé et qui sont des autorités reconnues sur le plan international, seront certainement prêtes à jouer un rôle dynamique si on leur fait appel, d'abord dans un processus d'audit, ensuite pour la mise en œuvre des réformes qui pourraient s'avérer nécessaires. Il pourrait être également souhaitable que ces personnalités puissent contribuer au transfert vers notre pays de leurs branches d'activités d'innovation génératrices d'importants revenus, ciblant des objectifs économiques en fonction de la demande des marchés internationaux et des besoins nationaux en employant une main-d'œuvre locale avec notamment sa mise à niveau par la formation. Ceci ne peut se faire sans une volonté politique ferme et claire. 3. Développement scientifique et technologique Le troisième axe de la stratégie s'articule autour de deux volets étroitement liés et interdépendants : - l'élaboration et la rénovation des programmes d'enseignement, la mise à niveau des matériels didactiques destinés aux jeunes chercheurs et aux étudiants et également l'instauration d'un diplôme universitaire (DU) de développement et de création de Start-ups innovantes ; - la définition des axes et thèmes de recherche spécifiques précis en adéquation avec les besoins en matière de recherche des entités de R&D des entreprises. Une adéquation qui ne peut se réaliser concrètement que dans le contexte actuel d'une mobilisation pour la S&T, c'est-à-dire une promotion de l'éducation et la formation supérieure tant dans le cadre formel qu'informel. Ces mécanismes permettraient d'assurer une articulation plus étroite, d'une part, entre la formation et la recherche et, d'autre part, entre la recherche et le développement expérimental mené en entreprise. L'identification et la définition des thèmes de recherche spécifiques et leurs axes d'études qui correspondent aux besoins en matière de développement économique peuvent être obtenus en ligne en consultant les sites de différents journaux et les conférences internationales les plus prestigieuses. Quant à l'élaboration et la rénovation des programmes d'enseignement et des contenus, les experts scientifiques locaux et expatriés reconnus issus du monde académique et du monde universitaire seront prêts à contribuer à la réalisation des objectifs politiques bien définis et à la définition d'une stratégie claire dans le domaine de l'enseignement et de la formation. En conclusion, le problème des relations entre formation, recherche, démonstration et production dans notre système national de recherche est donc celui des articulations. Pour remédier à cette situation, nous avons proposé une stratégie intégrée adaptée pour les trois secteurs en question s'articulant autour de diverses mesures destinées à donner plus de cohérence et à favoriser l'interaction entre les différents acteurs concernés. Pour que cette perspective prenne tout son sens, concrètement, il est impératif de définir les priorités et les objectifs en matière de développement économique qui sous-tendront les différentes mesures de réforme structurelle dans les domaines de l'administration, de la recherche, de l'enseignement supérieur, de la formation professionnelle, de l'éducation, etc. Ce processus est absolument nécessaire du fait qu'il s'appuie sur des faits qui relèvent des constatations évidentes si l'on veut éviter le gaspillage des deniers publics, la dispersion des moyens techniques, humains et financiers, le double emploi, le touche-à-tout, la corruption, le manque de coordination et de planification, le cloisonnement disciplinaire, la mauvaise gestion, l'immobilisme, la fuite des cerveaux, etc. Ce processus de changement sera possible seulement quand nous réaliserons son absolue nécessité. A ce moment-là, le seul obstacle qui se dressera devant nous sera notre inertie. Quoi qu'il en soit, nous espérons que les propositions clés présentées ici d'une stratégie en matière de développement économique retiendront l'attention des décideurs politiques au niveau le plus élevé et susciteront la réflexion de tous les milieux intéressés à la recherche dans ce pays, y compris les principaux acteurs, les chercheurs eux-mêmes. Qu'elles soient le germe d'une cohérence autour d'un plan stratégique de réorganisation d'ensemble de la R&D et devenir un modèle comme moteur du développement et de la croissance. Notre œuvre devrait être une œuvre collective, et par conséquent, le dialogue doit devenir une stratégie permanente. Notre pays dispose de grandes potentialités économiques, minérales, énergétiques et surtout humaines aussi bien locales qu'expatriées. Sachons nous organiser et nous montrer dignes des sacrifices consentis par nos valeureux chouhada et de cet héritage essentiel qu'ils nous ont légué celui de l'indépendance de l'Algérie. *Docteur en microélectronique Directeur de recherche en retraite Ex-directeur de la DPREP/DGRSDT/MESRS |
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