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Zaki Allal est né le 23 décembre 1987 à Tlemcen. Il est médecin
et pianiste.
En 2012, il a fondé aux USA une startup installée au cœur de la Silicon Valley (Californie) là où est en train de se fabriquer l'avenir du monde. Il a été également jusqu'en 2016, le responsable pour la France et les pays francophones de l'Université de la Singularité, un pôle d'innovation et d'excellence financé par Google et la NASA. Comme artiste, il est connu pour ses compositions de piano qu'il a interprétées notamment au célèbre Carnegie Hall à New York. Le 28 février dernier, il a entamé une tournée internationale intitulée « Un piano, un monument » à Alger, par un récital qu'il a donné à la basilique Notre-Dame d'Afrique. Son destin assez exceptionnel est un message d'espoir pour tous les jeunes Algériens qui ne veulent pas renoncer à leurs rêves et à leurs ambitions. Zaki Allal a accepté de répondre aux questions du Quotidien d'Oran. Le Quotidien d'Oran : Zaki Allal, vous avez un profil « qui ne court pas les rues » si je peux m'exprimer ainsi. Vous avez 32 ans, vous êtes né à Tlemcen, vous avez fondé une startup localisée au centre de recherches de la NASA, au cœur de la Silicon Valley, en Californie (USA), spécialisée dans la transplantation d'organes, l'espérance de vie et l'application des nouvelles technologies à la médecine. Comment un jeune Algérien qui a fait ses études de médecine à Oran, s'est retrouvé, quelques années plus tard, à la tête d'une startup basée aux États-Unis et à participer à la fabrication du monde du futur ? Zaki Allal : Je suis très touché par vos mots élogieux. Depuis le temps, les choses ont évolué, et je me dois de faire quelques précisions. J'ai quitté la startup Organ Preservation Alliance que j'ai fondée avec des amis, et l'ai léguée à une nouvelle génération d'entrepreneurs qui ont repris le flambeau. Mon cofondateur a lui aussi quitté pour créer sa propre entreprise dans la biomédecine. Et ce fut pareil pour moi. J'ai aussi quitté la Singularity University. J'ai quitté la Silicon Valley pour Washington D.C. afin de me consacrer à d'autres projets encore plus ambitieux. Pour être très franc avec vous, mon parcours de la faculté de médecine d'Oran jusqu'aux Etats-Unis fut plus au moins « direct ». En 2008, c'est un professeur d'histologie qui, une fois pendant un cours, nous parla du Professeur Elias Zerhouni, ancien directeur du NIH (National Institute oh Health) américain. J'avais pris la peine de le contacter par email, et il m'avait répondu. Il m'avait encouragé à poursuivre ma passion pour la recherche et l'innovation. J'avais persévéré et j'avais été chanceux de faire des stages cliniques en chirurgie cardiaque et transplantation à l'université d'Harvard. Là, j'avais rencontré d'autres personnes qui m'avaient proposé d'aller me former en médecine du Futur à l'université de Google au centre de recherches de la NASA. J'étais encore étudiant, je m'étais donc empressé de finir mon cursus, décrocher mon diplôme de médecin en Algérie et puis revenir à la Silicon Valley pour poursuivre une aventure entrepreneuriale. Au même moment, mes camarades et confrères préparaient le concours du résidanat à Oran, alors que moi j'avais la tête «ailleurs ». C'était difficile d'être «atypique» et souvent je me questionnais si je faisais le bon choix. Cela dit, ma passion et mon ambition m'avaient bien guidé, ainsi que mes parents - tous deux médecins - qui m'ont toujours soutenu et m'ont laissé définir ma carrière - en zigzag - comme je le voulais, loin de l'orthodoxie du parcours médical classique linéaire. Le Quotidien d'Oran : Parlez-nous plus amplement de quelques projets sur lesquels vous travailliez dans la Silcon Valley, notamment concernant l'application des nouvelles technologies à la médecine ? Zaki Allal : J'ai eu la chance de lancer une startup à but non lucratif dans les biotechnologies appliquées à la transplantation médicale qui s'appelle l'Organ Preservation Alliance (OPA). La startup qui était financée par l'ancien fondateur de PayPal (plateforme de paiement en ligne) Peter Thiel, a contribué grandement à la recherche biomédicale dans le domaine de la greffe des organes, notamment en fournissant des financements et des moyens dans la recherche des processus de préservation et de stockage des organes à des fins de transplantation. Nous nous intéressions aux applications militaires, spatiales ou cliniques. J'ai fondé la startup en 2012 avec un ami. Nous avons grandi au fil des années, et nous avions fini par organiser le premier sommet mondial sur la conservation d'organes en février 2015. Notre startup avait notamment collaboré avec la NASA, la Maison Blanche et la DARPA (l'Agence de développement technologique du Département de Défense américain), l'université de Harvard et de Stanford. Je me suis retiré fin 2015 afin de me consacrer à d'autres projets, et laisser la jeune génération de chercheurs prendre le relais. Mes nouveaux projets étaient liés au précédent : plus j'étais au contact des décideurs du monde de demain, plus je me rendais compte qu'il y avait des failles éthiques et bioéthiques très critiques auxquelles il fallait faire face, notamment des questions liées au transhumanisme, la biosécurité, la cyber-sécurité, la sûreté de l'intelligence artificielle, l'éthique des modifications génomiques, etc. Je me suis alors intéressé à la géopolitique des technologies, ce que moi j'appelle la « géotechnologie ». Aujourd'hui je suis chercheur affilié à l'Institute of World Politics à Washington D.C., un centre de réflexion et de recherche spécialisé dans les questions stratégiques internationales basé à Washington D.C. Ce centre a été fondé par un ancien conseiller du Président Ronald Reagan. Je travaille sur les questions liées au monde de demain. Le Quotidien d'Oran : Lorsque vous occupiez des responsabilités au sein de la Singularity University, aviez-vous « déniché » des jeunes talents algériens, africains, arabes ? Zaki Allal : Je ne suis plus représentant de l'université de la Singularité, je ne peux donc pas en parler. Cependant, cette semaine nous lançons avec l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique en Algérie le concours « 3indi 7oulm » (« J'ai un rêve ») une émission de télé-réalité pour jeunes entrepreneurs qui ont des idées entrepreneuriales. Je suis membre du Jury, en compagnie de personnalités du monde des affaires. L'émission sera tournée pendant l'été et sera diffusée à la rentrée. Le Quotidien d'Oran : Vous co-animiez depuis le mois d'avril dernier et jusqu'à récemment, une émission bihebdomadaire de débats sur une chaîne de télévision nationale privée, consacrés à la « Révolution du sourire algérienne ». Êtes-vous rentré à Alger pour ne pas passer à côté des moments historiques que vit notre pays depuis le 22 février dernier ? Zaki Allal : Je garde un pied en Algérie et un pied aux Etats-Unis. Je rentre régulièrement pour voir ma famille, mes amis, discuter avec les jeunes entrepreneurs, chercheurs, intellectuels et artistes, mais surtout, essayer de voir comment l'on peut construire l'Algérie de demain, immense pays au potentiel incroyable. Ce qui m'importe, c'est le développement de l'Algérie et l'épanouissement des Algériens. J'ai eu la chance de collaborer avec plusieurs institutions et organisations en Algérie dans ce cadre, et j'ai tiré quelques leçons. J'estimais personnellement qu'il était nécessaire d'apporter des idées fraîches, nouvelles, constructives, et c'est pour cela que j'ai été ravi d'accepter d'être chroniqueur dans une chaîne de TV privée pour débattre sur l'Algérie Nouvelle, l'Algérie de demain. Cela dit, je ne suis pas rentré pour la « Révolution du sourire », j'étais assez « chanceux » d'être à Alger au moment de son déclenchement car je donnais un concert « Un piano, un monument » à Notre-Dame d'Afrique, à Alger, le 28 février 2019, soit la semaine de la révolution. En 2013, j'avais lancé ma tournée internationale au Carnegie Hall de New York. En 2019, j'ai voulu un départ symbolique en lançant ma nouvelle tournée depuis la magnifique basilique surplombant les hauteurs d'Alger. J'ai eu aussi à donner un autre concert à la résidence de l'ambassadeur des Etats-Unis à Alger, la villa Montfeld, siège historique des accords d'Alger de 1981, qui ont permis la libération des 52 otages américains de Téhéran. L'Algérie, à l'époque, avait joué un rôle de médiateur dans la négociation entre l'Iran et les Etats-Unis d'Amérique. Cette villa, au style néo-mauresque, est aujourd'hui classée patrimoine historique au Département d'Etat américain. Par le biais de ma tournée « Un piano, un monument », j'essaie de pousser la public à contempler le patrimoine et les oeuvres architecturales, toutes un produit d'une ère de coexistence et de paix. Le Quotidien d'Oran : En parallèle à votre travail scientifique, vous faites aussi de la musique, et quelle musique ! Vous jouez et composez de la musique classique. En 2013, vous sortiez votre premier album intitulé « Celestial » et donniez un récital au prestigieux Carnegie Hall à New York. La science et l'art ne sont donc pas incompatibles ? Zaki Allal : Absolument pas ! bien au contraire. Pour moi l'art et la science sont beaucoup plus proches que l'on imagine communément. Pour ceux qui ne pratiquent ni l'un ni l'autre, ils semblent être des opposés polaires, l'un axé sur les données et les évidences, l'autre sur les émotions. L'un dominé par des « introvertis techniques », l'autre par des « excentriques expressifs ». Pour ceux d'entre nous qui travaillons dans l'un ou l'autre domaine aujourd'hui (ou bien ceux qui ont un lien avec les deux), nous savons que les similitudes entre la façon dont les artistes et les scientifiques travaillent dépassent de loin leurs différences stéréotypées. Tous deux consacrent leur travail à poser les grandes questions que nous nous posons : « Qu'est-ce qui est vrai ? Pourquoi est-ce important ? Comment pouvons-nous faire avancer la société? ». Tous deux cherchent ces réponses en profondeur, et souvent de façon errante. Nous savons que le laboratoire du scientifique et l'atelier de l'artiste sont deux endroits réservés à la recherche ouverte, à l'échec, au processus de quête perpétuelle, l'apprentissage se fait par une boucle de feedback continue entre la pensée et l'action. La science et l'art sont des tentatives humaines pour comprendre, décrire et donner du sens au monde qui nous entoure. Les sujets et les méthodes ont des traditions différentes et les publics visés sont différents, mais je pense que les motivations et les objectifs sont fondamentalement les mêmes. Les artistes et les scientifiques s'efforcent de voir le monde d'une nouvelle façon et de communiquer cette vision. Le monde a besoin de plus de scientifiques et d'artistes. À l'époque de Léonard De Vinci, l'art et la science n'avaient pas encore atteint l'état de polarisation que nous voyons aujourd'hui, ils coexistaient naturellement. Mais d'après mon expérience de pianiste et de médecin-chercheur, il est clair pour moi que même les pratiques actuelles de la recherche scientifique ont beaucoup à gagner en faisant participer les artistes, souvent et très tôt, au processus. Les artistes peuvent être des collaborateurs des scientifiques dans la communication de la recherche scientifique ; de plus, ils peuvent servir de partenaires dans la navigation (gestion) de l'inconnu scientifique. Il y a beaucoup d'exemples où l'on peut utiliser l'art pour la science, ou la science pour l'art. Dans mon expérience personnelle, notamment entre la musique et la médecine, j'ai eu à utiliser la musique à des fins thérapeutiques à travers la musicothérapie, ou bien à utiliser des capteurs de mouvement, de tension musculaire, et un électroencéphalogramme pour améliorer la technique de relaxation et d'interprétation pianistique. Le Quotidien d'Oran : Votre destin assez exceptionnel est un message d'espoir ainsi qu'un encouragement pour tous les jeunes Algériens qui veulent avancer dans la vie. Qu'avez-vous envie de dire à ces jeunes, particulièrement durant cette période où ils manifestent en nombre et pacifiquement, chaque vendredi, pour que naisse l'Algérie de leurs rêves? Zaki Allal : J'aime ce chiffre que je répète souvent : 75% de la population algérienne a moins de 35 ans. Pendant les deux décennies passées, la moyenne d'âge des gouvernements dépassait largement la soixantaine. Nous avons donc vécu les 20 dernières années avec une minorité qui a gouverné la majorité, avec sa logique, sa vision et des comportements venant d'une ère révolue, déconnectés de la réalité. D'où «l'asphyxie» de la jeunesse ayant déclenché la révolution pacifique. Aujourd'hui, rien ne peut arrêter la jeunesse dans sa démarche noble et louable qui est celle de construire un avenir meilleur, plus sain pour le pays. |
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