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La ministre, les médias et les politiques : entre l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité

par Yahia Ziani *

Voilà longtemps déjà que vous essayez de mettre un bâillon à l'esprit humain ! Et vous voulez être les maîtres de l'enseignement ! Et il n'y a pas un poète, pas un écrivain, pas un philosophe, pas un penseur que vous acceptiez ! Et tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par les génies, le trésor de la civilisation, l'héritage séculaire des générations, le patrimoine commun des intelligences, vous le rejetez ! Si le cerveau de l'humanité était là devant vos yeux à votre discrétion, ouvert comme la page d'un livre, vous y feriez des ratures. Victor Hugo, «Discours à l'Assemblée législative du 15 janvier 1850, sur la liberté de l'enseignement», dans Actes et Paroles, vol.1, p. 214.

Jamais dans l'histoire des gouvernements algériens, un ministre n'a fait l'objet d'une compagne de calomnie et de dénigrement, comme c'est le cas avec Mme Nouria Bengharbrit Remaoun. Dès son installation au poste de ministre de l'Education, il y a deux ans, Mme Bengharbrit subit des attaques de toutes parts. De l'indigne campagne sur «ses origines», au «faux problème» des contractuels, l'on essaye de la discréditer, la contrarier et l'affaiblir. Cette contribution n'a nullement l'objectif de défendre ou de soutenir la ministre. Il semble clair qu'elle mène sa mission, avec fermeté et constance, sans avoir besoin de réconfort. Toutefois, force est de constater que cette campagne révèle qu'être femme ministre, avec un projet réformiste en outre, pose en Algérie un problème dans la conscience « conformiste » et dans les conduites de certains médias non habitués à des pratiques intrépides et impavides.

À peine installée dans son poste de ministre, que des campagnes odieuses ont été menées sur ses origines, l'institution scientifique qu'elle avait dirigée et ses idées ; ce qui témoigne que ses détracteurs étaient disposés à manifester le sentiment d'agressivité et de haine lesquelles ne cessent de nourrir leurs propos. Certains médias ont consacré plusieurs émissions jetant un discrédit manifeste sur les programmes qu'elle compte appliquer dans le domaine de l'éducation, pourtant, élaborés en respect des recommandations de la Commission nationale de réforme de l'éducation. Ce faisant, ils alimentent une offensive qui dure jusqu'à maintenant et dans laquelle ne sont épargnés ni la vie privé ni l'honneur de la ministre. Des chroniqueurs et éditorialistes (parfois sous pseudonyme) font de leurs tribunes une occasion de détractation et d'imposture.

La haine attisée par des rumeurs honteuses, nourrie de misogynie et jalousie, l'on essaye de présenter aux Algériens une ministre sujet à doute. Aux yeux des milliers d'enseignants et des millions de nos élèves, un responsable du secteur est présenté sous une posture déshonorante et scandaleuse avec la connivence des certains médias cherchant de l'audimat ainsi que de la part d'hommes politiques convoitant les voix des électeurs pour les scrutins futurs. Aussi, faut-il souligner que la couverture médiatique de la grève des enseignants contractuels a montré à quel point l'hypocrisie s'est faite présente. Le soutien inconditionnel de certains politiques et journalistes à cette grève et les attaques lancées contre la ministre à cette occasion (jugée inhumaine, impitoyable, arrogante), bien que les revendications soient déraisonnables au regard des lois de la République et du principe des égalités entre les citoyens, montrent à quel point l'action de « solidarité » est nourrie de supercherie et d'imposture.

En effet, en se livrant à une telle attaque inattendue, burlesque et insensée, l'objectif s'est avéré clair, dès le début : discréditer la ministre et la déstabiliser. Mais pourquoi ? Est-ce qu'être femme à la tête d'un département ministériel des plus importants du pays constitue-t-il un objet de contestation déguisée ? Les médias et les personnes qui ont nourri ces attaques extrêmes craignent-ils pour l'école algérienne et des élèves ? En essayant de montrer que l'école est un pilier central de la cohésion sociale, une catégorie de protagonistes, se présentant comme étant les défenseurs des valeurs authentiques de la société algérienne, ont voulu s'en accaparer pour en faire une revendication à caractère politique dont les visées ne sont autres que de nature déstabilisatrice. Ce qui explique pourquoi, en prônant l'arabité et l'islam comme valeurs refuges, ils s'en servent dans leurs attaques contre la ministre. L'imposture se révélant ainsi promptement fantaisiste.

A chaque déclaration de la ministre ou de cadres de son département, des voix s'élèvent pour dénoncer et crier au scandale. Qu'il s'agisse d'un projet de réforme, ou d'une mesure «ordinaire» d'organisation administrative imposée par le contexte, l'occasion est toujours propice pour contester, accuser et diffamer.

Bien qu'elle se présente comme une urgence absolue, la réforme de l'éducation en Algérie devient aux yeux de certains organes de presse et milieux politiques une question appelant à l'indignation. La réforme dans le secteur de l'éduction a toujours été une mission délicate et complexe. Depuis l'indépendance, rares sont les ministres qui ont mené jusqu'au bout leur projets de réformes (faute de temps, de moyens ou de bonne volonté). Les recommandations de la commission Benzaghou, restées dans leur majorité sans suite, témoignent de la difficulté et la complexité de la réforme. Installée par le chef de l'Etat en 2002, cette commission avait pour objectif principal de « procéder à l'étude d'une refonte totale et complète de notre système éducatif ». Il va sans dire que cette commission est devenue elle-même l'objet de critiques acerbes. Cependant, avec l'arrivée de l'actuelle ministre, des voix émanant de milieux conservateurs se sont déchainées comme si Mme Benghrebrit avait apporté une autre réforme alors qu'étant membre de la dite commission, elle ne fait qu'appliquer ces recommandations, que les deux chambres du parlement ont approuvé.

Si on revient à cette commission, il importe de souligner que le chef de l'Etat a certainement tenu compte de la nécessité de préserver un équilibre raisonnable dans sa composante. Cet équilibre tient compte, eu égard à l'histoire sociale et culturelle du pays, des spécialités différentes de ses membres et également des courants intellectuels qui s'y trouvent, tout naturellement. Quinze ans après la remise du rapport de la dite commission, c'est Mme Benghabrit qui est la principale mise en cause. Dans un contexte politique et social marqué par une forte opposition à toute réforme, le secteur de l'éducation se trouve l'objet de compromis, de négociation et de marchandage pour l'adoption des réformes qui sont plus que jamais nécessaires pour aller vers un enseignement de bonne qualité.

Au sujet des différentes propositions, il importe de préciser qu'elles ont fait l'objet d'une critique radicale. Ainsi, par exemple, en se focalisant sur l'utilisation de la darija, simple recommandation parmi une centaine proposée lors d'une conférence de spécialistes, un débat stérile a suivi, devenu aussitôt un « enjeu » de revendications fallacieuses de la consolidation de l'identité « arabo-musulmane ». Dans ce cadre, notons que les diatribes et attaques engagées avec une charge émotionnelle veulent à dessein mettre en échec la réforme, présentée par les tenants de l'ordre conservateur comme un déni identitaire, un service rendu à l'ancienne force coloniale. L'on relève donc que les attaques gratuites sont devenues banales. A force de ressasser la même calomnie contre la personne du ministre de l'Education, sa famille, les cadres du ministère, l'opinion publique découvre la véritable nature d'une presse à la solde de courants rétrogrades. C'est dire combien une certaine presse est loin de se tenir à l'éthique et encore moins à la défense des intérêts du pays.

A cet égard, faut-il rappeler que les dérapages médiatiques ignominieux, les débats agités stériles abondant de mensonges éhontés propagés dans certains médias et à travers les réseaux sociaux, nous interpellent aujourd'hui afin de revenir à la raison et réfléchir à l'avenir de l'école algérienne.

L'opportunisme politique, et même la ferveur patriotique et identitaire, ne doivent en aucun cas faire oublier aux Algériens les enjeux réels de la réforme dans le secteur de l'éducation et de sa nécessité.

Les rapports de l'UNESCO sur l'éducation mettent en exergue la qualité de l'enseignement afin de rendre efficace le rôle des écoles. Qualité, enseignement pour tous, égalité entre les sexes, tels sont les vrais enjeux de l'éducation aujourd'hui.

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu'au-delà des débats stériles, des avancées sérieuses sont réalisées. Notons tout d'abord que l'accord portant sur la Charte d'éthique et de stabilité du système d'éducation signée par le ministère de l'Education et huit syndicats dont l'objectif principal est d'assurer la stabilité de l'école et de pérenniser le dialogue constitue un progrès sans précédent. Il est l'expression du sens de responsabilité du ministère de tutelle d'un côté, et de l'autre des partenaires sociaux. Cette charte érige une nouvelle forme de partenariat et de travail.

Aussi, la réforme a pour but de donner la place qu'il faut aux écrivains et penseurs algériens. Pour les semeurs de doute et les défenseurs des constantes de la nation utilisées comme alibi dans les attaques fortuites, il importe de rappeler que le ministère a opté pour une « nationalisation » des programmes scolaires afin de donner de la visibilité à la littérature et la pensée algériennes. Dans maintes reprises, il a été signalé que l'objectif principal est celui de lutter contre la médiocrité et œuvrer pour une école efficace, accueillante, performante et attrayante.

Dans l'Algérie actuelle, il est plus que jamais intéressant de concentrer les débats sur la réformes en tenant compte, non pas des divergences politiques, mais de l'intérêt de l'école et des élèves. Comme le révèle un rapport de l'UNESCO, la qualité doit devenir un enjeu stratégique dans les plans de l'éducation. L'enseignement pour tous n'est pas seulement une question de moyens financiers, mais il doit être l'expression de la volonté des pouvoir publics à faire de l'école un outil primordial visant à contribuer au développement du pays. Combattre la pauvreté, lutter contre l'analphabétisme, vivre en meilleure santé, améliorer l'apprentissage, mieux former les enseignants?, tels sont les enjeux réels de la réforme.

C'est pourquoi il faut convoquer le sens de l'éthique pour ne pas perdre de vue les réalités qu'affronte l'école algérienne aujourd'hui. Parler des menaces contre l'école à cause de l'enseignement des langues ou de l'éducation islamique en présentant de faux arguments, voire de fausses informations afin de discréditer les responsables de l'éducation nationale, c'est bien montrer qu'on est bien loin de l'éthique de responsabilité.

Le rapport à l'UNESCO sur l'éducation pour le vingt et unième siècle est intitulé : « L'éducation, un trésor est caché dedans ». Joli titre ! Cherchons à faire apparaitre ce trésor, ou au moins laissons les spécialistes le faire, et cessons donc le discours de haine et de rancœur.

*Psychologue