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En marge du colloque international de médecine légale Cas d'école : «Autopsie» d'une lettre de suicide

par Houari Saaïdia

Le 2 avril 2009, le service médico-légal de l'hôpital de Sidi Bel-Abbès reçoit un cadavre de sexe masculin. Selon le P.-V. de la police, le corps de la victime a été retrouvé dans son domicile, allongé en décubitus dorsal dans la salle de bain, un tuyau provenant du robinet de gaz introduit dans la bouche. Une lettre, destinée à sa femme, avait été retrouvée dans sa poche. Cadavre et lettre passeront à l'autopsie. C'est à des fins purement scientifiques que cette histoire macabre a été relatée en marge du colloque international sur la médecine légale, abrité par l'EHU d'Oran, mercredi et jeudi derniers. Sous le titre «autopsie d'une lettre de suicide», la commission collégiale, composée de médecins légistes et de psychologues, du CHU de Sidi Bel-Abbès, est revenue sur ce drame, qui a fait école en la matière. Chiffre révélateur: selon l'ONS, chaque année, près d'un million de personnes se donnent la mort à travers le monde. Quelque 20% des suicidés laissent une lettre, une note, avant de s'enlever la vie. «La lettre d'adieu est une construction narrative de soi, le suicidé laisse la trace d'un soi durable», note l'étude. Dans le cas d'espèce, l'hypothèse d'une intoxication par l'oxyde de carbone coulait de source. Ce qui sera confirmé par l'examen toxicologique du sang. Ceci donne lieu alors à nombre d'interrogations: «dans quel contexte l'acte a été commis?», «suicide ou crime déguisé ?», «pourquoi une lettre de suicide ?», «quels sont les signes spécifiques pouvant orienter vers un passage à l'acte?», «quel est le rôle de l'entourage?»... L'analyse de la lettre fait ressortir la colère et la haine de son auteur, enseignant de son vivant, envers son épouse, son affection et son amour pour ses enfants. Le suicide était, selon le décryptage de la lettre, envisagé depuis longtemps, dans un but de punition: «à moi la mort, à toi les remords! », lit-on en bas de la lettre, dont les traits reflétaient l'anxiété, la tristesse, des troubles de sommeil, la perte du goût aux choses, le sentiment d'échec, de l'inutilité, de la dévalorisation. Les informations recueillies auprès de l'entourage immédiat du défunt, père de deux garçons, universitaires, et une fille, lycéenne, ont fait état d'un conflit conjugal de longue date, difficultés relationnelles avec les parents, désintérêt, isolement total depuis quelques jours, tableau clinique d'une dépression... Conclusions de l'autopsie psychologique de la lettre de suicide: «personnalité dépressive, anxieuse. Conflits conjugaux. Contexte familial difficile, impuissance à trouver des solutions. La victime s'est donnée la mort pour punir l'autre, sa femme».