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George W. Bush a
commencé ses mémoires. Attention, tournez sept fois votre langue avant d'y
penser.
Les autobiographies de dirigeants politiques ne sont pas hautement littéraires. Tout d'abord, peu d'entre eux écrivent bien, règle confirmée par quelques exceptions comme Nehru, Churchill et de Gaulle. Pas surprenant que la plupart ait recours à un « nègre » comme le montre l'excellent thriller L'Homme de l'ombre de Robert Harris, véritable critique féroce de l'ancien premier ministre britannique Tony Blair. Aussi, ces mémoires n'offrent en général rien de plus que des bribes d'auto-justification agrémentées de listes de célébrités que le narrateur a rencontrées au cours de sa vie au sommet. Pour ne citer qu'un exemple, l'autobiographie de Bill Clinton, qui fait naturellement preuve de chaleur, esprit et grande éloquence lorsqu'il s'exprime en public, ne vaut pas la peine d'être lue. Enfin, ces livres sont d'ordinaire écrits contre grosse rémunération. Et le fait que les éditeurs rentabilisent leurs énormes avances qui se chiffrent en millions dollars me dépasse. Lorsque le grand général George C. Marshall ? dont les mémoires sur la seconde guerre mondiale et son mandat de secrétaire d'état américain auraient valu leur pesant d'or ? s'est vu offrir pour son autobiographie un million de dollars par un éditeur dans les années 1950, le vieil homme a répondu : « Mais à quoi bon ce million de dollars ? » Quelle différence avec le monde actuel ! La bonne nouvelle sur le projet Bush, sans titre pour le moment, est qu'il ne va apparemment pas servir à parfaire sa réputation comme à l'accoutumée. Plutôt que de commencer par le début de sa présidence avec le si suspect décompte automatique des votes en Floride et de s'attarder sur la fin amère et impopulaire de son mandat, il a l'intention de se concentrer sur les 20 décisions les plus importantes qu'il a prises à la Maison Blanche. Il insistera aussi sur les moments clés de sa vie, tels que sa décision d'arrêter de boire et le choix de Dick Cheney comme Vice-président. Couper court à toute dipsomanie parle en sa faveur, montre sa force de caractère et le soutien apporté par sa femme et sa famille. Ce n'est simple pour personne de s'affranchir d'une dépendance. Ceux qui réussissent, aidés par une foi croissante dans le cas de Bush, méritent sympathie et approbation. Je n'ai jamais douté de sa détermination ni de son amabilité ? malgré quelques plaisanteries assez embarrassantes digne d'un fils de riches. Je n'ai jamais cru non plus que ce président était idiot : critique que lui ont assénée nombre de ses homologues européens, des souverains guère plus philosophes. Le problème de Bush n'était pas son manque d'intelligence mais une absence totale de curiosité intellectuelle. Il se contentait de rester campé sur ses propres préjugés, le reste du monde n'avait qu'à s'adapter à son étroit terrain dénué de profondeur. C'est là que Cheney entre en jeu. Aucun doute que le moment où Bush l'a choisi était clé. Imaginez, par exemple, comme le monde serait différent et quels auraient été les avis sur la présidence Bush s'il avait choisi Colin Powell ou John McCain pour l'assister ? Cheney a servi et alimenté les préjugés de Bush. Sans pitié, il a aussi remué ciel et terre pour occuper le champ politique laissé libre par l'indolence du président et le manque d'influence de la Conseillère à la Sécurité nationale Condoleezza Rice. En quoi Dick Cheney croyait-il ? Il pensait que Ronald Reagan avait prouvé que les déficits fiscaux ne comptent pas. Il croyait au capitalisme ? ou tout du moins au soutien à apporter aux grandes sociétés et aux riches. S'il comprenait les tenants et les aboutissants de l'économie de marché dans un état de droit reste à prouver. La législation n'a jamais été son point fort. C'était un apologiste de la puissance américaine, même s'il s'est débrouillé, durant la guerre du Vietnam, pour éviter de prendre part aux souffrances des appelés sur le front. Il pensait qu'un président américain devait agir au-delà des règles de la constitution américaine et que son pays n'avait pas à se soumettre à la juridiction internationale. Le règlement c'était pour les autres et son désaccord public avec Bush à la toute fin de son mandat était dû au refus du président d'accorder son pardon à son ancien secrétaire général, « Scooter » Libby, accusé de parjure. L'influence de Cheney a provoqué le sanglant désastre irakien, l'humiliation morale de Guantanamo, la torture par l'eau et « l'extradition extraordinaire », le désespoir de leurs amis et le mépris des critiques, une parade cérémonieuse instituant deux systèmes de mesure sur le globe. Partisan et mesquin, Dick Cheney fut l'un des vice-présidents les plus influents des Etats-Unis. Aucun autre à mes yeux n'a tant porté atteinte à l'Amérique chez elle et à sa réputation à l'étranger. Pas surprenant donc que Bush considère son choix comme une décision clé. En politique, les idées comptent. Et comme Bush n'en possédait que quelques-unes assez simplistes, son adjoint, un intelligent substitut a donné forme et dirigé son programme. C'est ce qui l'a perdu. Son bras droit, qu'il a fatalement choisi, a fait sombrer sa présidence tout en la discréditant. Le plus tragique dans l'histoire est qu'un grand nombre de personnes a dû payer un tribut autrement plus lourd pour Cheney que Bush lui-même. Le prix de Dick Cheney voilà une idée de titre pour ses mémoires. Traduit de l'anglais par Aude Fondard *Chancelier de l'université d'Oxford et membre de la Chambre des Lords britannique |
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