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Il n'est plus
aisé d'évoquer aujourd'hui le théâtre en Algérie, qui connait des moments
sombres. Comme s'il avait dangereusement perdu pied au milieu d'un gué, où tout
va mal, à tel point que le désespoir tient lieu d'espace thématique essentiel
de la production théâtrale et artistique marquée du sceau de l'extrême
médiocrité.
Les responsables du ministère de la Culture, apparemment peu au fait de l'état actuel de l'art scénique en Algérie et dans le monde, pensent régler les problèmes en injectant de l'argent à des « coopératives » ou à des théâtres publics, amorphes, mal gérés, dont l'unique objectif est de se préparer pour le Festival national du théâtre professionnel. Tout se fait comme si l'allégeance devenait le lieu essentiel de la distribution d'une rente finalement faite pour neutraliser toute parole dissidente. Le jeu en vaut-il la chandelle quand on sait que les choses sont graves ? On organise une autre édition du Festival national du théâtre professionnel tout en sachant que le niveau reste similaire à celui des éditions précédentes, c'est-à-dire médiocre et que la revendication fondamentale, celle de la remise en ordre radicale du fonctionnement de l'entreprise théâtrale, désormais obsolète, est évitée, sinon exclue de tout calendrier par une ministre qui ne semble pas cerner la problématique théâtrale, multipliant à l'envi les théâtres régionaux comme si le chapeautage par le ministère de ce type de structures allait régler le problème. Logique trop peu opératoire. Aujourd'hui, où la plupart des espaces culturels publics sont occupés par les meetings politiques, tournant souvent le dos à l'activité artistique et où de nombreux dirigeants cherchent, par tous les moyens, à se maintenir à des postes de direction conservant ainsi leurs avantages, narguant des comédiens et les éléments d'autres métiers techniques, noyés dans le carcan administratif et bureaucratique de ces théâtres, trop fermés, sans vie, gagnant des prunes. Jamais, peut-être, les théâtres en Algérie n'ont connu une désagrégation aussi grave. Les métiers techniques (accessoiristes, décorateurs, éclairagistes, machinistes...) manquent dangereusement à des productions dramatiques qui font appel à une multitude d'éléments techniques, parce que le théâtre est avant tout une « machine cybernétique », c'est-à-dire recourant à une flopée de langages de manifestation. N'est-il pas temps de penser à revoir de fond en comble l'activité théâtrale sans aucune complaisance, c'est-à-dire, débureaucratiser un secteur qui est, par nature, réfractaire à ce type de fonctionnement ? Rompre avec les pratiques actuelles est nécessaire pour changer les choses. Est-il concevable qu'au ministère, on impose à des théâtres des textes d'amis, trop mal écrits, puis l'argent est distribué à tous les membres du personnel, y compris, le directeur, se transformant, pour la circonstance rentière, en producteur. Sans parler de ces « festivals culturels locaux du théâtre professionnel » (sic, seul le ministère de la Culture détient la clé d'explication de cette absurde dénomination) qui constituent autant d'espaces de distribution de la rente. Un projet culturel sérieux manque au ministère de la Culture. On vient de créer une autre structure, encore une, l'agence de rayonnement culturel. On n'en finirait pas. La crise est à son comble. La pratique théâtrale a été déviée de son sens originel faisant courir à tous crins tous ceux qui, marqués par un extraordinaire opportunisme, cherchant à gagner plus, en entrant dans le jeu trop peu opératoire de produire en fonction des commandes. Alors que la question palestinienne n'a pas beaucoup intéressé le théâtre en Algérie (comme d'ailleurs la Guerre de Libération algérienne n'a non plus pas interpellé les théâtres arabes), à part essentiellement les travaux de Kateb Yacine et de Nourreddine Aba, aujourd'hui, on s'y met. Des pièces, mal fagotées, sur la Palestine qui aurait exigé une meilleure composition et une meilleure écriture, sont présentes. Comme cette manie de vouloir confondre littérature et théâtre, deux espaces distincts, même si le paradoxe du théâtre réside dans cette ambivalence du théâtre comme production littéraire et représentation concrète. Des auteurs se mettent à adapter des textes romanesques au théâtre comme si cette pratique pouvait pallier l'absence de qualité des textes dramatiques de ces dernières quinze années, marquées par une absence presque flagrante d'ossature et de ressorts dramatiques. Dans cet univers de l'écriture dramatique, le plagiat fait des ravages, comme d'ailleurs au niveau de la mise en scène (y a-t-il réellement de véritables metteurs en scène ?) et de la scénographie avec notamment cette propension à des « élans d'aérodynamique ». Et si on reprenait les anciens textes d'auteurs algériens ou du répertoire étranger. Il faut vite arriver à cette évidence que le théâtre n'a pas encore ses auteurs attitrés, même si de petites expériences inégales sont menées ici et là, sans grandes ambitions. Même les auteurs considérés par la presse comme « murs » ne semblent pas encore déroger à cette règle de l'absence d'une structure dramatique prenant en charge les paramètres de l'écriture dramatique. Si les auteurs et les metteurs en scène, malgré la présence de quelques jeunes singulièrement intéressants qui tentent, sans soutien sérieux, certaines aventures, se caractérisent par un flagrant manque de souffle, l'interprétation reste le parent pauvre d'un théâtre à bout de nerfs, érodé. D'ailleurs, le jeu des comédiens, souvent surfait et superficiel, est en porte-à-faux avec le discours de la pièce. Les comédiens oublient cette vérité première que le capital d'un comédien, c'est son corps qu'il est condamné à travailler quotidiennement. Quel est le « comédien » en Algérie qui entretient son corps ? C'est autour de la performance physique des comédiens que se sont construites les plus grandes théories du théâtre. Qui connait les indispensables exercices de Vakhtangov, Meyerhold, Piscator ou Stanislavski ? Qui parle théâtre dans les travées du théâtre ? Aucun débat sérieux sur la pratique théâtrale en Algérie n'a lieu dans les établissements du théâtre qui ne possèdent même pas une bibliothèque ou une médiathèque de théâtre. Une telle discussion est-elle possible ? C'est le vide total et le divorce avec l'intelligence, depuis notamment la disparition de Alloula, Kateb Yacine, M. Kateb, Bouguermouh, Hadj Omar... Certes, quelques rares hirondelles demeurent, souvent marginalisées, ne pouvant peupler une scène mal occupée, vivant une sorte de malaise tragique. L'exigence de travail manque sérieusement dans un univers scénique dépouillé de tout esprit de professionnalisme et de gestion saine des tréteaux. La formation est l'espace déficitaire de cette pratique. Des stages de formation ont eu lieu dernièrement dans certaines structures, trop peu sérieux, négligeant gravement les lieux fondamentaux de la formation, notamment les métiers les plus touchés du procès de production, les fonctions techniques. Comme s'il fallait répondre à une exigence de la tutelle sans plus, sans aucun esprit d'initiative ni d'autonomie. La gestion aléatoire des établissements publics, bureaucratisés à l'extrême, rend obsolète toute possibilité de changement. Ainsi, il serait urgent que le ministère de la Culture cesse d'être un ministère des festivals qui, souvent, sont mal conçus et ne répondant nullement à des besoins ni à des objectifs précis, assimilés à un gaspillage des deniers publics. Les comptes et le fonctionnement sont opaques alors que les finances devraient être publiques. Peut-être, viendrait un jour où les responsables de la « culture » prendraient conscience de la mise en oeuvre d'un véritable projet culturel en dehors des sinistres chiffres comptables de pièces produites qu'on n'arrête pas d'aligner ; ces chiffres sont, en fait, le reflet de la gabegie et de la mauvaise gestion de la vie culturelle. A quoi bon monter des spectacles, souvent peu sérieux, si le nombre de représentations ne dépasse nullement le nombre exigé en contrepartie par les services du ministère de la Culture. Ici, la tricherie battrait son plein. Un théâtre sans public est un théâtre mort-né. N'est-ce pas la responsabilité des structures en place d'atteindre le public, mais l'essentiel reste, pour beaucoup, l'enregistrement comptable du nombre d'activités produites ? Escroquerie. Cette manie des chiffres touche tout le secteur culturel qui vit une grave crise de réception. Nous avons déjà l'habitude de pièces qui n'ont pas dépassé le cap d'une seule représentation. Qui s'en soucie ? Alors que les théâtres publics fonctionnent mal, fermés presque tout le long de l'année, sans organisation sérieuse, on décide d'instituer d'autres théâtres régionaux, structures non nouvelles, mais déjà existantes, construites souvent durant la colonisation, multipliant encore les problèmes. Le passage de structures communales à des espaces régionaux, sous la casquette du ministère de la Culture fasciné par une abusive centralisation, ne serait qu'une manière de cacher l'essentiel, l'absence d'une vision claire et cohérente des questions du théâtre et de la culture. Ne serait-il pas temps que les pouvoirs publics s'intéressent à la redéfinition des « coopératives » théâtrales, encore prisonnières des textes régissant les coopératives agricoles. Dans cet ensemble dramatique, la presse joue, dans de nombreux cas, le rôle peu digne de bouffon du roi, n'interrogeant nullement les tenants et les aboutissants d'une situation, mentant, à maints endroits, par omission, et fonctionnant comme une instance trop peu autonome. Le journaliste agit ainsi comme attaché de presse, reproduisant gentiment le discours du « cheikh » (le directeur du TNA est désormais affublé de ce qualificatif) et de ses collaborateurs ou de la ministre, unique détentrice de la vérité et de l'information. Drôle de journalisme ! Mais au tournant, il y a aussi les miettes du festival national du théâtre professionnel pour les rédacteurs à la double casquette (bulletin du festival et journal). L'éthique et la morale, on ne connait pas. Encore une fois, c'est l'histoire des arguments sonnants et trébuchants. Au-delà du théâtre, c'est toute la vie culturelle qui se caractérise par un vide sidéral que ne semblent pas combler des festivals ponctuels et des directions de la Culture, dont on s'interroge sur leur utilité et leur fonction dans des espaces de wilaya où l'activité culturelle est normalement prise en charge par les APC et les APW. A n'y rien comprendre. Déjà, on se prépare pour le Festival panafricain de la culture, avec les mêmes hommes et femmes, qui feraient tourner le plat. Avec toujours cette outrancière opacité. Qui demandera des comptes ? A qui ? Quand le ministère de la Culture décidera-t-il d'abandonner sa dénomination officieuse de ministère des festivals pour retrouver celle de la culture ? |
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