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On ne peut pas avancer que Mohamed Belhalfaoui est méconnu dans son
propre pays ou dans sa ville natale, Oran. Les spécialistes et ceux qui se sont
intéressés à la culture populaire connaissent son oeuvre et sa trajectoire. On
peut avancer la même chose concernant ceux qui se sont intéressés au théâtre
algérien, puisqu'il compte parmi ceux qui ont traduit des pièces du patrimoine
universel telle «Don Juan» de Molière, à la langue dialectale. C'était en
octobre 1954, quand il était enseignant d'arabe au lycée Charlemagne à Paris.
Son livre «La poésie arabe maghrébine populaire», tiré de sa thèse de doctorat
soutenue en 1969 à la Sorbonne et publié en 1972 chez Maspero, constitue un
passage obligé pour tous ceux qui se lancent dans l'étude de la poésie
populaire, notamment de l'Oranie. Il a, à son compte, un autre livre qui a
connu un succès retentissant «La victoire assurée» où il revient sur sa propre
trajectoire. En dehors de son oeuvre qui reste à découvrir, sa fille Aïcha,
alias Nina Hayat, journaliste et écrivain, lui a consacré une biographie sous
le titre «L'indigène aux semelles de vent». Son autre enfant, Hamou
Belhalfaoui, marche sur les traces de son géniteur puisqu'il est conteur et
poète lui aussi. D'autre part, un hommage a été rendu à Mohamed Belhalfaoui
lors du 9ème Sila en 2004. Mais, sa véritable dimension, intellectuelle et
humaine, est encore à restituer. Parce que Mohamed était innovateur et
iconoclaste et ce, depuis sa jeunesse.
Né dans le quartier de M'dina Jdida en 1912, il décidera malgré son extraction modeste, de forcer le destin. Il n'hésitera pas de travailler au port d'Oran en tant que docker pour pouvoir payer ses études. En 1930, il rejoindra l'école de Bouzérea d'où il est sorti avec le grade d'instituteur. C'est-à-dire le meilleur de l'ascension sociale qu'offrait le système colonial à un indigène tel que Mohamed. Lors de son passage dans cette école, il imposera à ses collègues français de souche de respecter l'indigène qu'il était. Mais son parcours en tant qu'enseignant ne durera pas longtemps. Il sera nommé à Oued Rhiou en 1936, expérience qui lui ouvrira les yeux sur la véritable nature du colonialisme. Suspendu pour avoir participé à une manifestation en faveur de Ferhat Abbas, il reviendra dans sa ville natale où il s'essayera à toutes les formes de débrouillardise pour subvenir aux besoins des siens. Il participera aux manifestations intervenant le lendemain des massacres de Sétif, Guelma et Kharrata de Mai 1945, ce qui lui coûtera six mois de prison dans la maison d'arrêt de Mascara. Il réintégrera l'enseignement en 1947 mais pas pour longtemps. Ne supportant pas les brimades et les humiliations de l'ordre colonial, il décide de rejoindre l'hexagone pour poursuivre ses études. Dans la capitale française, il enseignera l'arabe dans les lycées les plus huppés : Henri IV et Charlemagne. Mais quand les autorités françaises lui demandent de dispenser des cours d'arabe aux soldats engagés dans la guerre d'Algérie, il file en douce vers l'Allemagne démocratique en 1957 où il s'installera pendant quelques années. Il enseignera la langue arabe dans une université à Berlin. Au lendemain de l'indépendance, il reviendra en Algérie, mais pas pour longtemps. L'appel à l'exil le rattrapera malgré le départ du colon d'hier. Avant d'être militant de la cause nationale, Mohamed Belhalfaoui était un rebelle né. Refusant le conformisme ambiant, il offrira dans les années 30 un vélo à sa femme pour lui permettre de se déplacer en ville et notamment à M'dina Jdida son lieu de résidence. Son dénuement durant sa jeunesse ne l'empêchera pas d'être un «bon vivant». Ce qui lui a permis d'approcher les chioukhs et se familiariser avec la poésie populaire. Il a fréquenté l'école El-Falah et était adhérant au PPA/MTLD. Il s'est même approché du parti communiste algérien. Parallèlement au combat politique, il a compris très tôt l'importance d'un autre enjeu, celui de l'acquisition du savoir. D'ailleurs, sa propre trajectoire est un extraordinaire défi dans ce sens, lui l'orphelin qui accédera grâce à sa volonté et sa détermination à enseigner à la Sorbonne. Il a toujours soutenu que «la connaissance est le plus sûr chemin vers la liberté». Rebelle, il l'a été sans concession. Dans les années 80, se heurtant aux blocages de l'édition en France, il décide de créer sa propre maison d'édition où il publiera sous forme artisanale des samizdats. Il lui donnera le nom «Théâtre Universel». Il publiera un pavé intitulé «La poésie arabe algérienne d'expression dialectale du XVIème siècle à nos jours : sa langue, ses thèmes, ses chefs d'œuvre, ses grands acteurs». De même, il publiera «les sept contes de Zohra». L'immense apport de Belhalfaoui reste à déterminer. On lui doit la sauvegarde de la déperdition d'une partie de notre patrimoine poétique oral. Il a consigné et même traduit des textes de chioukhs. Il était un parfait bilingue. En plus de la poésie et du théâtre, il s'est intéressé aux contes. En fin de compte, il a démontré avec brio que la langue dialectale peut être un véhicule de la culture. Pour preuve, il traduira des pièces de Théâtre de Molière, de Berthold Brecht et Gerhart Hauptmann à l'arabe dialectal. Certains n'hésitent pas à comparer son entreprise à celle de l'anthropologue Mouloud Mammeri par rapport à la langue et la culture amazigh. Après sa retraite, il sillonnera la France et l'Europe pour faire connaître la culture arabe et celle de son pays. Son pays qui lui a toujours refusé la reconnaissance digne de sa stature et de son oeuvre. C'est grâce à certains intellectuels que son nom n'a pas sombré dans les oubliettes dans sa propre ville natale. Mort à Bobigny en 1993 dans l'indifférence, à un moment où, son pays courrait de grosses menaces. |
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