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Aux Etats-Unis,
il ne se passe pratiquement aucun jour sans qu'un nouvel accord intervienne
entre une banque et une agence gouvernementale ou de régulation. Le dernier en
date est celui entre Bank of America et l'assureur d'hypothèque soutenu par le
gouvernement Fannie Mae : 3,55 milliards de dollars en cash ; 6,75 milliards de
dollars en rachats de prêts hypothécaires douteux que Countrywide, racheté
ultérieurement par BoA, avait vendus à Fannie ; et un montant de 1,3 milliards
de dollars de cash supplémentaire pour résoudre les litiges entre Fannie et BoA
concernant le paiement des intérêts.
Et pourtant, comme dans la plupart des accords, BoA n'a pas admis sa faute. BoA a-t-elle été victime de malchance ou a-t-elle fait preuve de négligence ? Est-ce que BoA et d'autres institutions financières ont agi avec l'intention de tromper les investisseurs ? A cause de l'accord, nous ne pourrons jamais connaître la vérité (au moins la version qui est établie au-delà de tout doute raisonnable en audience publique). Lors de chaque accord, les enquêtes sont arrêtées, et tout ce qui a déjà été trouvé est scellé. Heureusement, la recherche universitaire peut être en mesure de faire la lumière sur cette importante question. Dans une étude récente, les économistes Tomasz Piskorski, Amit Seru et James Witkin ont comparé les caractéristiques des prêts hypothécaires titrisés telles qu'elles ont été communiquées aux investisseurs au moment de la vente de ces prêts avec celles enregistrées dans les bases de données propres aux banques. Les données couvrent les crédits hypothécaires résidentiels émis par des organismes non gouvernementaux, qui ne sont pas les mêmes que ceux visés par l'accord, et les données proviennent d'un ensemble de banques, de sorte qu'il n'est pas possible de savoir quelle banque était effectivement présente. Cependant, leurs données sont suffisamment similaires pour nous permettre d'apprendre beaucoup de choses sur ce qui se passait. Si la vague massive de défauts de paiement sur les prêts hypothécaires titrisés était purement le résultat de la malchance, nous nous attendons à ce que les caractéristiques présentées aux investisseurs ne soient pas différentes de celles enregistrées dans les bases de données des banques. Ce devrait être particulièrement vrai pour les caractéristiques qui sont pertinentes pour le risque de défaut, comme par exemple si l'emprunteur était un propriétaire ou un investisseur, ou encore s'il existait un privilège de second rang sur la propriété. En fait, les auteurs constatent que plus de 6% des prêts hypothécaires déclarent un faux statut d'occupation de l'emprunteur, tandis que 7% ne divulguent pas les privilèges de second rang. Bien sûr, toute base de données contient des erreurs. Est-ce que ces erreurs sont assez grandes pour être inquiétantes ? Et comment pouvons-nous être sûrs que les banques se soient livrées sciemment à une déclaration inexacte de cette information, et non qu'elles aient simplement manqué d'attention en la rapportant ? Les auteurs fournissent des éléments de preuve intéressants à cet égard. Ils montrent, par exemple, qu'une fausse déclaration est corrélée avec un taux de défaut plus important en aval : les paiements en souffrance sur les prêts présentant de fausses déclarations sont plus de 60% plus élevés que sur les prêts qui sont par ailleurs similaires. En conséquence, les erreurs ne semblent pas être aléatoires, mais bien intentionnelles. Ce que les auteurs ne trouvent pas est également intéressant. Le degré de mensonge ne semble pas être lié aux incitants offerts à la haute direction ni à la qualité de la gestion des risques pratiquée à l'intérieur de ces entreprises. En fait, tous les intermédiaires de bonne réputation dans leur échantillon présentent un degré significatif de fausses déclarations. Ainsi, le problème ne semble pas se limiter à quelques brebis galeuses, mais il est omniprésent. Ceci complique la recherche de solution. Après tout, si les dirigeants de l'industrie financière ont trompé les investisseurs, c'est la culture de l'ensemble de l'industrie qui a besoin d'être changée. Malheureusement, ces accords gigantesques ne sont pas susceptibles de changer quoi que ce soit. Ils sont payés par les actionnaires et les contribuables (la plupart de ces accords sont déductibles fiscalement), ce qui permet aux personnes qui sont en fin de compte responsables de s'en sortir non seulement sans problèmes, mais également très riches. Par exemple, Angelo Mozilo a reçu près de 470 millions de dollars durant son mandat en tant que directeur général de Countrywide Financial. Pour autant que je sache, il n'a rien payé du coût de l'accord de BoA s'élevant à 11,6 milliards de dollars. Mozilo a lui aussi réalisé un accord avec la SEC, mais sur base d'accusations différentes (délit d'initié). Et il a payé seulement 47,5 millions de dollars sur les 67,5 millions de dollars prévus par l'accord, en raison d'une entente d'indemnisation à hauteur de 20 millions de dollars qui faisait partie de son contrat de travail. Pourquoi est-ce que Mozilo et d'autres ont été autorisé à payer une somme relativement dérisoire pour éviter des poursuites pénales ? Quelques condamnations pénales éminentes ont envoyé un signal fort dans la lutte contre les délits d'initiés. Toutefois, si la véritable cible est une culture de tromperie à l'échelle de l'industrie, le système de justice pénale ne devrait-il pas se mobiliser contre la fraude hypothécaire des banques également ? Traduit de l'anglais par Timothée Demont * Professeur d'entrepreneuriat et finance à la University of Chicago Booth School of Business |
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