Qu'est-ce que être algérien ? Vaste question (pour ne pas
parler d'élection) où on peut mettre ses pieds, sa vie, beaucoup de livres, un
dos d'âne, et qui ressemble à un bus intercommunal où s'entassent, serrés par
un receveur soucieux du gain, l'Emir Abd el Kader, Messali, Bouâmama et ses
chevaux qui ont basculé dans l'au-delà, Boudiaf et quelques autres clandestins
qu'il est inutile de nommer. Un bus lancé sans frein, roulant aux bons
d'essence des gisements et dont le chauffeur a un volant dans les mains et un
deuxième dans le dos. Les Algériens n'ont pas encore tranché comme on le sait :
faut-il s'embrasser deux fois ? Ou trois ? Faut-il parler en Algériens ? En
Arabe ? Ou se la fermer pour mourir sans écho ? Faut-il se réclamer de
l'olivier ? Du pipe-line ? Du dromadaire ? Pour ce faire donc, Benabi, des
journaux, quatre imams auto-désignés par un Hadith improbable, un gros groupe
d'anciens Moudjahid ratés par la France mais ciblés par la rouille et deux écrivains
d'hymnes nationaux y ont usé la langue avant de se contenter de construire
Riyadh El Feth et la plus grande mosquée d'Afrique. Deux monuments qui servent
justement à ne pas trancher.
Que fait le peuple pour répondre à la grande question
nationale ? Justement, le contraire. A l'époque Chawarma, phase involutive de
la phase KMS, elle-même phase conséquente de l'époque «garde communal», la
bonne question n'est pas «Qu'est-ce qu'être algérien ?» mais «Comment s'en
sortir ?». Par la felouque, la cruauté, la barbe qui indique la direction de la
Mecque mais pas celle de l'avenir, la production des enfants pour combler le
vide, la prise de pouvoir pour partager la nationalité mais pas son poids
quotidien et la médisance perpétuelle, exercice excavateur destiné à trouver du
sens, plus profondément que le pétrole et à garder ses distances avec le pays
tout en vivant dedans. La conclusion étant «on ne peut pas être algérien sans
décider de le devenir». C'est paradoxal, mais c'est comme tout le reste :
s'habiller en «Moyen-oriental», manger Turc, rêver «Mohanned», tirer la balle
de novembre mais sur son propre pied pour ne plus y participer pour cause de
blessure, fuir l'Algérie et l'emporter où que l'on aille, vouloir la beauté des
femmes mais uniquement pour soi, vouloir les réponses en censurant les
questions, un visa à vingt ans, une omra à trente, une Haddja à cinquante et
plein d'arrières petits-fils nourris à la Chawarma en guise d'identité, etc. Un
gros problème de métaphysique que l'on enjambe avec des prières ou qu'on évite
avec le sarcasme. La conclusion par une paraphrase : pour être algérien, il
faut que le mozabite, le Kabyle, l'arabophone, le régionaliste, l'Algérois, la
Chawi, le sudiste, la femme, son homme, le contraire et les morts et les anciens
et les nouveaux et ceux qui n'ont pas le choix, tous deviennent «Un». «Oui»
répondent-ils tous, «mais lequel ?».