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Le trumpisme révèle un monde inédit

par Djamel Labidi

Le Trumpisme, par certains de ses aspects, est-il une vision de droite ou de gauche? La question est à dessein provocatrice, quand on sait les positions de Trump envers les immigrants et son soutien à la politique génocidaire d'Israël. Mais elle n'est pas si déplacée et devrait nous amener à réfléchir à la relativité des choses dans le monde actuel.

Le protectionnisme du trumpisme par exemple est-il une valeur de droite ou de gauche ? L'hostilité de Trump au mondialisme, sous la forme qu'il a pris, ne peut-elle pas être reprise par des forces dites de gauche ?

Le protectionnisme a été longtemps la politique économique de l'URSS et des ex-pays socialistes, ainsi que des pays nouvellement libérés qui voulaient protéger leurs jeunes économies. Cela a été aussi longtemps la politique de la Chine.

Puis il semble que les choses se soient inversées, le libre-échange ayant finalement profité à la Chine puis, peu à peu, de manière générale, aux pays émergents contre les pays qui étaient en position dominante et qui constituaient le pôle géopolitique occidental. C'est dans ces pays occidentaux, désormais, qu'on voit des forces nationalistes, qualifiées de droite ou de «populistes», en appeler au protectionnisme économique, cela y compris dans la sphère dite de la gauche politique.

Nationalisme de droite et nationalisme de gauche

C'est ainsi qu'en France, un parti aussi révolutionnaire que LFI préconise un «protectionnisme au cas par cas», un «protectionnisme» et défend le principe «d'une France indépendante, souveraine et non alignée». On retrouve de fait les mêmes références nationalistes à la souveraineté, même si c'est avec d'autres éléments de langage, au parti du «Rassemblement national» dit d'extrême droite.Elles empruntent des justifications différentes, là le «travail surexploité en Chine et l'absence de protection sociale et syndicale», là la défense du «made in France» et le retour à la puissance d'antan, par la réindustrialisation de la France. On a vu dernièrement ces deux partis, pourtant apparemment aux deux extrêmes de l'échiquier politique, dénoncer l'acquisition par la société chinoise Wanhua de la société chimique française Vencorex. Par contre les achats de sociétés et l'investissement considérables de sociétés françaises en Chine ne sont pas mis en question. Alors, nationalisme de droite ou de gauche ?

Jean-Luc Mélenchon, le leader du parti de «la France insoumise» pourra souvent dire avec fierté que la France est «le deuxième territoire maritime du monde», sans mentionner que c'est grâce à ses îles (des possessions coloniales) parsemées dans les océans, ou bien dire encore que la France a une «nation universaliste» à la différence des autres nations grâce à sa langue et la francophonie, ce qui n'est pas sans rappeler une certaine «mission civilisatrice universelle», il pourra dire tout cela sans que cela ne soulève problème y compris chez ses partisans qui mènentpar ailleurs une lutte internationaliste magnifique pour Gaza . Alors patriotisme ou nationalisme ? La ligne est si ténue. Elle dépenddu contexte et de la présence ou non d'une volonté de puissance et de domination d'une nation sur les autres.

Un monde compliqué

Le monde est devenu très compliqué. C'est probablement une conséquence à la fois de l'écroulement de l'URSS et de la montée irrésistible de la Chine et des pays émergents sur le plan économique.

Tous les repères se brouillent. Droite, gauche, alliances traditionnelles. L'Occident a été éduqué dans une vision binaire, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale: «Empire du mal contre Empire du bien», «communisme contre monde libre», démocratie contre islamisme», «OTAN contre pacte de Varsovie», etc. Il a peine à retrouver ses marques. Il avait déjà des difficultés à trouver un nouvel équilibrepolitique, économique, idéologique, un nouveau discours avec l'émergence du monde de la Chine, des BRICS, bref du monde non occidental, et ne voilà pas que l'Europe se sent abandonnée par les Etats-Unis. Elle s'aperçoit que l'Occident n'est plus un ensemble géopolitique sans les Etats-Unis.

Dans cet abandon, dans cette indifférence cruelle des Etats Unis qui ne semblent plus préoccupés que par leurs propres problèmes et qui taxent à la douane les européens comme les autres, l'oligarchie européenne en vient même à songer à une alliance avec la Chine contre les Etats Unis. Ils en oublient le «régime communiste». On murmure sur les plateaux mainstream que «la Chine est bien plus crédible», bien plussérieuse que l'Amérique de Trump, qu'elle respecte «elle au moins» les règles du commerce international. Qui l'aurait cru?

Une mise à jour nécessaire

Oui, où est «la droite», où est la gauche désormais dans le monde? Ces classements, ces définitions demandent désormais une mise à jour.

Prenons un autre exemple : le wokisme. Est-ce une idéologie de gauche, est-ce une idéologie de droite, est-ce un point de clivage entre «conservateurs» et «progressistes» ?

Le wokisme était à l'origine un mouvement contre toutes les discriminations raciales, sociales. C'est le mouvement qui a osé mettre à terre les statues de «grands hommes», Churchill, Jules Ferry pour crime de défense du colonialisme, et même Washington pour son esclavagisme tranquille.

Il est à l'origine du magnifique mouvement de la jeunesse qui s'est développé aux Etats-Unis et en Europe sous le slogan «Black lives matter». On le retrouve aussi dans le mouvement des universités américaines de soutien à Gaza. Mais il y a aussi un autre wokisme, celui du mouvement LGBT, celui de la dénonciation des «discriminations sexuelles». Ce mouvement les voit dans l'homophobie, la persécution des transgenres. Mais, sur ces questions, le monde non occidental, c'est-à-dire l'immense majorité du monde, voit, au contraire, un aspect ravageur de la modernité occidentale, un occidentalisme porté à son extrême et le pouvoir de nouveaux lobbys. L'effacement des genres, le «mariage pour tous» c'est-à-dire le mariage en fait au sein du même genre, la location des utérus autorisée pour la procréation assistée au profit des couples homosexuels, toutes ces réformes sociétales développées par les élites mondialistes, sont rejetées par le monde non occidental comme des symptômes de la déchéance d'un Occident en même temps insensible aux massacres des enfants de Gaza.

Ces positions sur les questions sociétales sont des interfaces et autant de points de rencontres entre le mouvement MAGA (Make America Great Again) de Donald Trump et le parti de «Russie Unie» du président Poutine.

Tout se passe comme si les valeurs dites de «droite», les valeurs dites de «gauche», les valeurs «progressistes», les valeurs «conservatrices» ou même «réactionnaires», sont saupoudrées à présent dans divers mouvements politiques. Elles peuvent même se retrouver en même temps dans le même mouvement, par exemple les mouvements dits «populistes», les mouvements dit «islamistes». Les guillemets s'imposent désormais partout. Tout dépendra de la dominante à un moment donné, celle d'un contexte de lutte de libération, ou celle d'une instrumentalisation à des fins d'oppression.

Le nationalisme

Il en est de même du nationalisme dont les éléments paraissent éparpillés dans les mouvements politiques de la droite et de la gauche. Cette situation permet de comprendre des rencontres, comme celle entre le nationalisme russe et les nationalismes européens émergents actuellement.

Le nationalisme libérateur, progressiste, était au 20ème siècle, celui de pays qui luttaient contre le colonialisme et l'impérialisme occidental. Or, aujourd'hui, ce sont des pays européens, par exemple le Danemark, le Canada, soutenus par toute l'Europe occidentale, de la droite à la gauche, qui dénoncent «le colonialisme américain». On assistera alors à de l'inédit, une Marine Le Pen, leader d'un parti classé à l'extrême droite apparaitre proche de la Russie et du parti «La France insoumise», classé à «l'extrême gauche», sur la question de l'Ukraine et totalement opposée à lui sur la question de la Palestine.

La présidence des Etats-Unis est désormais résolument nationaliste. Le président Trump l'avait signifié dès sa première présidence lors de son discours aux Nations Unies, le 25 septembre 2018 où il avait dénoncé en même temps le mondialisme. En opposition à ce nationalisme, des dirigeants occidentaux, fidèles des fidèles de l'internationale occidentale mondialiste, n'hésiteront pas désormais à dénoncer «la nouvelle internationale réactionnaire» des Etats-Unis à l'Europe, comme l'a désignée le président Macron. Il n'est pas exclu que l'oligarchie financière, et ses épigones au pouvoir et dans les médias, se trouvent un jour des accents socialistes pour défendre une classe ouvrière victime des tarifs douaniers du président Trump. En Europe, elle a d'ailleurs déjà fait sienne, de plus en plus souvent, quand elle parle des Etats-Unis ou de la Chine, des éléments de langage du discours anti-impérialiste qui était naguère le monopole de la gauche et qui était presque tombé en désuétude. Ironie de l'Histoire, l'Europe occidentale des oligarchies est désormais tentée par le non alignement par rapport aux Etats Unis. Le président Macron a même fait la demande, un jour, d'assister aux réunions des BRICS. La proposition avait paru baroque et peu sérieuseet n'avait pas eu de suite mais à réfléchir, elle n'était pas si innocente que cela. La tragédie historique se mêle sans cesse à la comédie politique, de quoi rire autant que de pleurer. Il y a là une inspiration sans fin aux humoristes. Il y a une sorte de cocktail idéologique qui fait que les gens se rapprochent et s'opposent tour à tour.

Merci la Chine

On est dans une sorte de mouvement de décomposition-recomposition du monde qui touche tous les aspects de la vie politique, économique et sociale. Il en résultera certainement des combinaisons politiques, économiquesnouvelles, voire des artefacts idéologiques.

Ce mouvement comportera probablement, ici et là, la survivance ou le retour momentané du mode de domination occidentale, peut-être même sous des formes caricaturales.

Mais ce qui est sûr c'est qu'on assiste au démantèlement progressif, par paliers et par crises successives, de la forme occidentale de domination du monde sur laquelle nous avons vécu depuis plusieurs siècles. Cela ne veut pas dire qu'elle ne laissera pas la place à d'autres formes de domination.

Dans cette évolution du monde, la Chine a un grand mérite historique. Ce qu'elle a fait sur le plan économique est gigantesque, déterminant. Mais ce qu'elle a fait sur le plan psychologique, on pourrait presque dire culturel, philosophique, est aussi grand. Elle a donné confiance au monde opprimé depuis des siècles, au monde non occidental, bref à l'humanité presque toute entière, en ses capacités, en son génie, en son avenir. Merci la Chine.

Dans ce nouveau monde qui se dessine pour le moment, n'y a plus de murailles idéologiques et politiques, il y a des rencontres, des interfaces, C'est comme si tout le monde était devenu ambivalent, ambigu.

On n'est plus devant un monde univoque, où les uns sont « progressistes», et les autres «conservateurs», voire «réactionnaires». On aboutit à un monde bigarré, plus varié, plus contradictoire, bariolé idéologiquement comme il l'est économiquement, un monde bien plus divers, bien plus riche, osons le mot, que celui qu'avait décrit l'européocentrisme et son faux universalisme.

On est devant un nouveau monde, non pas celui que beaucoup espéraient dans le mouvement révolutionnaire du 20ème siècle, mais plus exactement un monde nouveau, un monde inédit. Peut-être sera-t-il meilleur, réellement meilleur? Qui sait ?

Tout le problème, désormais, pour la pensée politique sera d'arriver à s'ajuster à ce monde inédit, à en rendre compte à le déchiffrer.