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L'été, la mer et les autoproclamés gardiens des plages !

par Cherif Ali

Lors de la semaine écoulée, l'on a appris que le Gouvernement avait examiné un avant-projet de loi modifiant et complétant la loi 03-02 du 17 février 2003, fixant les règles générales d'utilisation et d'exploitation touristiques des plages, conformément aux normes de qualité et de professionnalisme, avec la mise en place d'un plan d'aménagement touristique des plages, fixant les caractéristiques et les éléments de leur organisation et de leur valorisation. En attendant d'en savoir davantage sur ce projet de loi, qu'en était-il de la gestion des plages et de la gratuité de leur accessibilité ?

Rappelons que le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire, Brahim Merad, a toujours insisté sur l'impératif de respecter le principe de «l'accès gratuit aux plages», et aussi de lutter contre leur exploitation anarchique et de prendre des mesures coercitives à l'encontre des contrevenants. Présidant la cérémonie d'installation de la commission nationale de préparation et de suivi de la saison estivale de l'année passée, le ministre «avait relevé l'impératif de respecter l'accès gratuit aux plages, de lutter contre leur exploitation anarchique et toute tentative d'atteinte à la sécurité des estivants, mais également de prendre des mesures coercitives à l'encontre des contrevenants».

A ce propos, il avait appelé les corps de sécurité à «prendre les dispositions nécessaires et à renforcer leurs équipes sur le terrain afin d'assurer la sécurité et l'ordre publics, et d'anticiper tout danger de nature à menacer la tranquillité des estivants ou à perturber le bon déroulement de la saison estivale».

Rappelons que le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire doit faire face, bon an mal an, à deux dossiers brûlants, et c'est le moins que l'on puisse dire : les incendies de forêt et la gratuité des plages !

Si pour le premier, les choses semblent avoir été prises en main du côté du palais de gouvernement, les directives adressées aux walis pour « consacrer la liberté d'accès aux plages » n'ont pas été, totalement, mises en œuvre, à en croire ce qui a été rapporté par les journaux.

Quid justement du libre accès aux plages !

Par la force des choses, nos plages sont devenues des espaces rédhibitoires où la saleté le dispute à l'incivisme d'une jeunesse en manque de repères. Elles sont tenues par des « autoproclamés » concessionnaires qui, eux-mêmes, s'en remettent à des « gros bras » pour les gérer. Les journaux n'ont de cesse de rapporter dans leurs colonnes les appels de détresse des citoyens rackettés au vu et au su de tout le monde par ces mafieux. Des reportages ont été diffusés à la télévision pour étayer les dires des victimes sans que les auteurs n'aient eu à y répondre !

Ces derniers, autoproclamés gardiens des plages, ont continué à défier les lois de la République, notamment, cette instruction du ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement territorial, qui consacre la « gratuité des plages » !

Dans les faits, les squatters des plages assurent tirer leur « légitimité » des présidents d'APC qui leur ont donné « verbalement » leur quitus pour s'arroger tout ou pourtour d'une plage, louer des parasols et des chaises. Et aussi monter, au pied levé, des aires de stationnement des voitures pour en faire payer l'accès à l'« automobiliste estivant », forcé de payer ou de s'en retourner vers lui, penaud, chez lui !

Au final, une journée de plage lui coûterait en moyenne mille dinars, au bas mot !

Plages publiques, plages privées : l'ambiguïté !

Pour l'heure, on évoque l'éventualité d'annuler le système de concession des plages, une pratique pourtant réglementée moins qui n'a pas porté ses fruits, un décret en fixe les contours : «deux tiers de la surface d'une plage peuvent faire l'objet de concession au profit de personnes offrant des prestations de qualité, la partie restante, un (tiers) étant libre d'accès aux estivants». Mais parfois le mal est ailleurs, un concessionnaire affirmait avoir investi des milliards pour installer un espace de jeux sur une plage qu'il louait à la commune en raison d'un million de dinars par saison estivale, mais les squatters l'empêchent de travailler dans la sérénité !

En théorie, les pouvoirs publics ne ménagent pas leurs efforts pour « démocratiser les espaces maritimes, les plages notamment et permettre à tout le monde d'accéder au loisir gratuit » ! En réalité, les choses virent au pire à chaque saison par la faute des « gros bras » maîtres des plages qui imposent leur diktat en taxant pour tout et rien les estivants. A ce rythme, disait quelqu'un, on payera pour accéder à nos maisons, ou pire encore, pour voir nos enfants !

Qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus pour sécuriser ces espaces maritimes ?

On évoque l'éventualité d'annuler le système de concession des plages, une pratique pourtant réglementée mais qui n'a pas porté ses fruits ; un décret en fixe, pourtant, les contours comme suit : «Deux tiers de la surface d'une plage peuvent faire l'objet de concession au profit de personnes offrant des prestations de qualité, la partie restante, un (tiers) étant libre d'accès aux estivants».

Il faut savoir toutefois que depuis plusieurs décennies, les plages du monde entier sont l'enjeu de batailles entre professionnels du tourisme, riverains et associations écologistes.

En Europe, les plages à péage se multiplient; chaque Etat européen possède son propre modèle, afin d'arbitrer entre le développement touristique et la préservation du littoral et des paysages.

Tandis que les zones privées progressent un peu partout, la Grèce, elle, met en vente certaines de ses plus belles plages. Rien qu'en Italie, le nombre de plages payantes a plus que doublé en dix ans pour atteindre 12.000 contre 5.400 en 2001. Cela correspond à une plage privée tous les 350 mètres de côte.

Certaines d'entre elles sont de«véritables citadelles clôturées, avec des piscines, des salles de gym et des restaurants». D'autres se contentent d'installer des chaises longues et des parasols qu'on peut louer à la journée pour une vingtaine d'euros.

Toutes doivent, cependant, laisser libre une bande de cinq mètres à partir de la mer pour que l'on puisse circuler, mais gare à celui qui voudrait y installer sa serviette : il est interdit de s'arrêter !

Les défenseurs des plages privées estiment que c'est le prix à payer pour avoir un rivage propre, bien entretenu, et sécurisé.

Les conceptions françaises et italiennes, par exemple, s'affrontent : Qui doit payer pour l'entretien des plages ? Le contribuable ou l'usager ?

Mais parfois le mal est ailleurs

Les collectivités locales peuvent confier à un ou plusieurs sous-traitants, par des conventions d'exploitation, soumises à la concurrence, tout ou partie des activités destinées à répondre aux besoins du service public balnéaire (des lots de plages).

Ces activités doivent avoir un rapport direct avec l'exploitation de la plage et être compatibles avec le maintien de l'usage libre et gratuit des plages, les impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques, ainsi qu'avec la vocation des espaces terrestres avoisinants. Elles perçoivent en retour des recettes correspondantes.

Bon an mal an, les autorités centrales et locales s'attellent à la préparation de la saison estivale :

1. des dizaines d'établissements publics de wilaya sont mobilisés afin d'aménager les accès et les parkings des plages ;

2. des plans de lutte contre les maladies à transmission hydrique sont établis ;

3. des plans de circulation routière sont dressés par les services de gendarmerie et de police nationale.

De ce qui précède, on peut s'autoriser à dire que la gestion du dossier des concessions des plages échappe au contrôle de l'Etat, des ministères de l'Intérieur et du Tourisme, des 14 walis des wilayas côtières et des P/APC qui en relèvent ! Avec le début des vacances pour certains, les Algériens vont-ils, par devers eux, débouler en Tunisie pour pouvoir se baigner tranquillement en famille, sans que leurs femmes ou leurs filles soient victimes d'incivilités, voire de harcèlement ? Ou se résoudre pour les moins nantis d'entre eux à «barboter» dans ce qu'il nous reste de plages libres ? Peut-être bien, dès lors qu'en Algérie, on compte quelque 220 plages interdites à la baignade pour cause de pollution, les deux tiers restants étant infréquentables pour les familles ! C'est vrai, rien n'est plus comme avant, disent les nostalgiques !

Nos plages sont devenues un espace où il ne fait pas bon vivre.

L'insécurité, c'est le problème majeur malgré les efforts des services de sécurité qui se plaignent d'un manque d'effectif.

Qu'est-ce qu'ils pourraient faire de plus pour sécuriser ces espaces maritimes ?

Patrouiller davantage afin de rassurer les baigneurs et dissuader les fauteurs de troubles ?

Il faut savoir déjà qu'il n'est pas facile de classer socialement la clientèle des plages, d'autant que l'absence de tenue vestimentaire supprime un critère d'identification social important pour l'observateur.

A fortiori, un gendarme ou un policier !

Pour l'heure, Merad Brahim est, semble-t-il, décidé à faire bouger les lignes !

A commencer par les walis des 14 wilayas côtières ! Il faut éradiquer la maffia des plages, leur a-t-il écrit. Tout un programme pour le ministre et ses collaborateurs, qui auront également à se soucier de l'éclosion, çà et là, des «plages islamiques» et ceux qui les organisent pour, disent-ils, «nettoyer les plages du spectacle de la nudité et de la drague».

Ces 14 walis devront à notre sens disposer de plus de pouvoirs dans tous les domaines où s'exerce l'action de l'État en mer, notamment :

1. la défense des droits et intérêts nationaux, particulièrement dans les zones sous juridiction algérienne (mer territoriale, zone économique exclusive) ;

2. le maintien de l'ordre public en haute mer et sur les plages publiques ;

3. le secours et la sécurité maritime ;

4. la protection de l'environnement ;

5. la lutte contre les activités illicites en mer (pêche illégale, trafic de stupéfiants, migration clandestine, piraterie?).

Ces «walis maritimes» -appelons-les ainsi- auront à coordonner l'action en mer des administrations et la mise en œuvre de leurs directives. *

C'est à ce prix peut-être que l'on pourra faire prévaloir l'autorité de l'Etat sur les espaces publics maritimes et partant, faire revivre nos 1.200 km de côtes, y compris la faune et la flore qu'elles recèlent !

*Lire ma contribution intitulée «Des walis délégués à la sauvegarde et la préservation du domaine maritime» in Le Quotidien d'Oran du jeudi 04 mai 2023.