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Le président Trump : nationalisme contre mondialisme

par Djamel Labidi

Nous avions vu, la semaine passée (1), que le «trumpisme» était un retour au mercantilisme et donc à une politique de protection de l'économie des Etats-Unis, notamment par des barrières douanières sur les importations. Le président Trump reproche à ses prédécesseurs, et aux forces du libre-échange et du mondialisme, d'avoir affaibli la puissance des Etats-Unis, notamment par leur politique de délocalisation industrielle.

On peut donc qualifier le trumpisme d'une forme de nationalisme économique. Ce nationalisme va se heurter au mondialisme.

Il s'agit maintenant, dans cet article, d'examiner les conséquences sociales, aux Etats-Unis et en Europe, de la mondialisation, telle qu'elle a été induite par les forces de la Finance.

Les transformations sociologiques

Au fur et à mesure que les Etats-Unis se désindustrialisaient, le capital financier et le secteur des services prenaient une importance de plus en plus grande jusqu'à dominer de façon écrasante l'économie et la société: capital boursier, capital bancaire, capital commercial de la grande distribution.

La population employée dans les activités productives a décliné et avec elle, son poids social et politique en même temps qu'augmentaient ces sentiments de frustration et de laissés-pour-compte si caractéristiques de la base sociale du trumpisme.

Le déclin s'est fait notamment dans les activités qui étaient auparavant à l'avant-garde technologique, industrie automobile, industries électriques, industrie téléphonique supplantée par l'Internet, etc. Le déclassement économique s'est donc accompagné aussi d'un sentiment de déclassement intellectuel. Les épisodes, entre autres, comme celui de l''épidémie de suicides dans les services téléphoniques traditionnels, déclassés par l'Internet, sont bien connus. Les hauts salaires et revenus distribués dans la foule des activités tournant autour du capital financier, traders, cabinets d'affaires et d'études de tous genres, services de contentieux, de comptabilité, informatique bancaire, médias de gestion de l'opinion de plus en plus nécessaires au fonctionnement global du système, ont attiré une population sans cesse croissante de diplômés supérieurs. Les études commerciales et financières, le droit des affaires, les métiers du haut de la superstructure l'ont emporté sociologiquement sur les métiers directement productifs. Les Etats-Unis, et les pays européens, ont de moins en moins d'ingénieurs, de techniciens et même de médecins. Ils sont remplacés par des migrants. La Chine forme cinq fois plus d'ingénieurs que les USA.

Les élites de la mondialisation

Il en a résulté de nouvelles élites, d'autant plus arrogantes et même méprisantes envers les travailleurs du secteur de la production matérielle, industrielle ou agricole, qu'elles sont loin de l'économie réelle, au contraire des ingénieurs et même des patrons engagés dans l'industrie productive.

On a alors, sur le plan politique, l'explication du ressentiment qui s'est accumulé contre les «Démocrates» aux Etats-Unis mais aussi contre d'autres forces politiques semblables en Europe: macaronistes, socio-démocrates, travaillistes, démocrates-chrétiens, partis de la droite, etc. Il s'est exprimé dans des mouvements populaires comme celui des «Gilets jaunes en France», ou celui qui s'est amplifié dans le soutien à Trump dans l'»Amérique profonde» et les régions désindustrialisées. Le mot d'ailleurs qui revient souvent dans la bouche de ces mouvements populaires de révolte contre le système est celui de «mépris», celui à leur égard de la nouvelle élite. Les élites mondialisées, débarrassées des soucis de revenus et de «pouvoir d'achat», évoluant dans le monde abstrait de la finance et des services, ont été alors plus préoccupées par les questions sociétales que sociales. La cristallisation des débats sur des thèmes telles que les questions sexuelles, la théorie du genre, le wokisme, avec les passions qu'ils introduisent depuis la nuit des temps dès qu'il s'agit de questions anthropologiques, et de leurs conséquences morales et civilisationnelles, expliquent le caractère extrême et passionnel des tensions actuelles. Ces tensions ne sont pas seulement économiques mais culturelles et morales.

La dégradation extrême des valeurs proclamées occidentales a atteint son paroxysme à Gaza, à travers une inhumanité totale. Ne pourrait-elle pas s'expliquer, sans trop forcer la note, par cette évolution mondiale d'élites désormais sans repères, sans empathie, évoluant dans une sorte de vide identitaire, qu'il soit anthropologique ou national.

Internationalisme mondialiste contre nationalismes

Le mondialisme occidental a des faux airs d'internationalisme. Il a ambitionné de constituer une bourgeoisie internationale, une classe supranationale, l'oligarchie financière, l'union des bourses et des banques, qui dépasse les conflits nationalistes. Cela s'est exprimé, entre autres, dans le projet de construire une Union européenne.

De la même manière, les élites nourries par l'économie financière ont été enclines naturellement à des idéologies politiques supranationales, puisque bénéficiaires d'une «mondialisation heureuse». L'internationalisme, si cher au mouvement ouvrier, a pris l'aspect d'un autre internationalisme, moderniste, apparemment ouvert au monde, mais reposant sur une accentuation des inégalités sociales. On a vu alors s'opposer à ces élites dirigeantes les partisans d'un nationalisme d'autant plus exacerbé qu'il s'identifiait aux ravages causés ou supposés de cette mondialisation. Le nationalisme des milieux populaires s'est alors opposé à l'internationalisme moderniste des catégories sociales qui ont bénéficié de la mondialisation. Il a trouvé son expression dans des partis qu'on désigne en gros d'extrême droite, faute encore d'autres mots. Mais il s'exprime aussi dans le nationalisme d'une gauche radicale. On en reparlera. Le 2 avril 2025, le président Trump annonce ses taxes douanières protectionnistes, «nationalistes». Dans les trois jours qui suivent 17.000 milliards de dollars de valeurs boursières partent en fumée à Wall Street. L'économie réelle, elle, évidemment, n'avait pas bougé. Mais cela donne une idée du poids de l'économie immatérielle sur l'économie réelle, et des conséquences désastreuses que fait peser chacune de ces crises sur le travail productif.

En se cristallisant sur les taxes douanières, en prenant comme modèle le protectionnisme, le président Trump s'est attaqué au cœur même du mondialisme : le libre-échange. On comprend dès lors que c'est le capital financier, le capital bancaire, la bourse qui vont se mobiliser contre Trump, à travers leurs partis et leurs médias : le parti démocrate, CNN, le New York Times, le Washington Post aux Etats-Unis, et leurs équivalents politiques et médiatiques dans les pays de l'Europe occidentale. On peut même se risquer à un peu de complotisme en soupçonnant le capital financier et boursier, les mondialistes de jouer un rôle dans la panique boursière, qui s'est déclenchée, sur les principales places financières, notamment en diffusant la peur dans la masse des petits épargnants. Le but est d'évidence de stopper Trump en attendant de le faire chuter.

Sur les deux rives de l'Atlantique

Les liens entre les élites mondialistes occidentales des deux rives de l'Atlantique sont flagrants. On a pu observer que la plupart des médias européens ont fait contre Donald Trump la même campagne, presque mot pour mot, image par image, que celle engagée par les médias proches des «Démocrates» aux Etats-Unis. Il en est de même, dernièrement, concernant l'accusation de «délit d'initié» formulée contre le président Trump et son entourage suite à la brusque montée des actions en bourse après l'annonce par le président américain du gel de la hausse des taxes de douanes pour 90 jours.

Les élites mondialistes, à mesure qu'elles se découplent de la réalité, qu'elles évoluent dans le monde abstrait de la finance, ou dans le monde médiatico-politique, ou qu'elles se bureaucratisent, perdent de leur crédibilité auprès de l'opinion. Trump l'avait bien senti qui avait désigné, dès sa première campagne, à la vindicte publique les élites de la côte Est et de Washington. On a le même discours anti-élitaire dans l'extrême droite nationaliste française.

Donald Trump avait montré aussi du doigt, dès sa première campagne, le complexe médiatico-politique des oligarchies financières, et notamment son réseau de grands médias dont on a parlé plus haut. Le mouvement contre les médias mainstream, s'est ensuite amplifié. Ces médias, et leurs journalistes, se sont retrouvés souvent accusés et même chassés par la foule dans les rassemblements populaires aux Etats-Unis et en Europe. C'est un phénomène qui a pris de l'ampleur.

Les réseaux sociaux dénoncent «l'empire du mensonge médiatique». L'Union européenne veut «réguler», comme elle le dit, les réseaux sociaux. Les trumpistes, aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi d'autres courants d'opinion, la soupçonnent de vouloir empêcher l'expression alternative aux médias dominants. La question de la liberté d'expression médiatique est donc devenue récemment, un enjeu entre le trumpisme et les mondialistes. La dénonciation vigoureuse et inattendue faite par le vice-président des Etats-Unis, David Vance, le 14 février 2025 à Munich, des atteintes européennes à la liberté d'expression sur Internet en est un moment significatif. En Europe, les élites politiques ne font plus recette. Les partis traditionnels, créés ou entretenus par le système oligarchique financier s'étiolent, s'affaiblissent ou même s'effondrent devant la poussée de forces radicales, de droite ou de gauche. Le système politique en place dit, de ces forces, et avec quelque mépris, qu'elles sont «populistes» mais il n'explique pas ou il ne comprend pas leur succès de plus en plus grand, le plus souvent sur les thèmes antimondialistes. Ou alors, les partis du système essaient de récupérer les thèmes dits «populistes», pour retrouver une influence. Un exemple récent en a été l'exploitation du thème de l'immigration par le gouvernement français dans la crise ouverte à ce sujet avec l'Algérie.

Dans le bureau ovale

Dans le bureau ovale, lieu sacro-saint, mythique du pouvoir américain, c'est une joyeuse cohue. Des journalistes, des conseillers l'envahissent allant jusqu'à toucher le bureau en chêne, si célèbre, et si souvent vu dans les films hollywoodiens, où est assis, impavide, le président.

Il y a même X, le fils d'Elon Musk, juché sur les épaules de son père. Donald Trump regarde tout cela avec un sourire énigmatique. Le président Trump, «populiste», s'il en est, casse tous les protocoles. Ce n'est plus le président américain, si lointain, enfermé dans les mystères de la Maison Blanche, comme l'étaient ses prédécesseurs. C'est un vrai coup d'Etat contre tout l'apparat et la solennité des institutions. Le coup d'Etat n'avait-il pas d'ailleurs commencé le jour de l'attaque du Capitole.

Trump signe les décrets et gère en direct les Etats-Unis devant les caméras de la télévision, devant les Américains, devant le monde.

Il dit lui-même que c'est de «la transparence». On pourrait même parler de méthode révolutionnaire du moins dans la forme, car le fond c'est évidemment une autre histoire. Les révolutionnaires en rêvaient, une démocratie directe, et c'est un milliardaire qui la pratique.

Mais il y a toujours et encore le bon vieil «impérialisme US»

Le Président Trump serait-il un révolutionnaire ?

Serait-il en train de changer le monde ? Peut-être mais indépendamment de sa volonté, par la logique implacable des contradictions qu'il approfondit entre sa volonté de maintenir la domination des Etats-Unis et le nouveau monde émergent qui s'impose chaque jour plus. Le monde serait-il en train de devenir meilleur comme l'assure ses partisans aux Etats-Unis et en Occident? Ce serait bien aventureux de le penser.

Pour qui aurait déjà oublié les ravages causés par l'Occidentalisme au monde, la nouvelle crise qui se noue actuellement autour de l'Iran lui ferait immédiatement changer d'avis.

Chassez le naturel, il revient au galop. Le temps d'une trêve dans l'application des nouveaux tarifs douaniers, la solidarité, la complicité occidentale se sont reformées. Il y avait longtemps qu'on n'avait pas entendu une certaine terminologie : «communauté internationale», «l'axe de mal». Trump retrouve la grâce des médias de la Finance pour sa «détermination» vis-à-vis de l'Iran.

C'est que l'Iran coche toutes les cases des thèmes traditionnels de la propagande guerrière occidentaliste: «condition des femmes, l'islam, les ressources pétrolières, l'hostilité à Israël». La loi du plus fort, le dictat, le deux poids deux mesures reviennent brusquement, comme «au bon vieux temps». L'arrogance d'un discours médiatique occidental ?qui redevient consensuel est stupéfiante. Israël a la bombe atomique, elle en a des dizaines, mais on veut interdire à l'Iran d'en posséder. Où est la logique. Il suffirait que chacun, Israël et l'Iran s'accordent pour renoncer à l'arme nucléaire. Mais ce serait trop demander à Israël.

Les Etats-Unis et Israël n'y songent même pas. N'est-ce pas une immense injustice ?

Ils veulent interdire à l'Iran de fabriquer même des missiles. Ils veulent tout simplement désarmer l'Iran comme les USA l'avaient fait pour les Indiens avant de les faire disparaître.

C'est d'ailleurs leur projet à Gaza. Les Palestiniens sont les indiens d'Israël. Le carnage des Palestiniens se poursuit méthodiquement. Trump vient d'autoriser la livraison de 12 milliards de dollars d'armes et d'aide diverse à Israël.

Et en prime, il a supprimé la subvention fédérale à l'Université d'Harvard, pour «antisémitisme», c'est-à-dire pour avoir manifesté contre le sionisme et le génocide des Palestiniens.

Tout ceci devrait servir de leçon permanente. L'humanité a encore beaucoup à faire.

Prochain article le 24 avril 2025 :«le trumpisme révèle un monde inédit»

Note

(1) «Le président Trump ou le retour vers le futur», le Quotidien d'Oran, jeudi 10 avril 2025