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Le protectionnisme, c'est la guerre !

par Sid Lakhdar Boumediene

Un fou est en liberté dans les rues de ce monde. Il semble que plus personne ne puisse arrêter une démence qui met l'économie mondiale ainsi que la paix, déjà tellement précaire, au bord d'un précipice que nous savons être celui de la guerre. Donald Trump a augmenté les droits de douane d'une manière gigantesque, une déflagration pour tous les pays du monde. Voilà que le spectre du protectionnisme revient après quatre-vingts ans de sommeil.

Le nationalisme, c'est la guerre ! La phrase historique de François Mitterrand prononcée du haut de la tribune du Parlement européen résonne comme un écho dans nos oreilles avec la montée en gradation de la folie de Donald Trump. Nous réalisons aujourd'hui combien elle avait été prémonitoire.

D'une manière générale, donc avec des exceptions, le mot protectionnisme dans le commerce mondial avait quasiment disparu. Avec Donald Trump, le réveil est lourd car s'il y en avait un dans ce monde qui l'ignorait, c'est lui. Le souci est qu'il est président du pays le plus riche et le plus armé au monde.

Connaît-il ce mot ? A-t-il connaissance et conscience de sa signification historique et économique ? Commençons par le définir avant de dérouler son mécanisme et ses conséquences à travers l'histoire américaine de ces deux derniers siècles.

Le protectionnisme, c'est quoi ?

Ce n'est pas un hasard sémantique qu'il soit associé à l'expression de barrière douanière. Installer des barrières douanières consiste à taxer les importations et par effet mécanique de surenchérir leur prix en les plaçant en situation très défavorable dans une concurrence avec les produits et services locaux.

Avec l'énormité des taux annoncés Donald Trump n'a pas seulement l'intention de les surenchérir mais pratiquement les dissuader de se présenter à la concurrence du marché intérieur. L'intérêt attendu est de provoquer un cercle vertueux par l'augmentation de la richesse qui créera à son tour de l'emploi, des revenus et une baisse des impôts ainsi qu'une innovation pour une garantie de prospérité future.

Donald Trump veut réindustrialiser les Etats-Unis qui, comme beaucoup de pays européens, a connu une désertification industrielle par délocalisation vers des pays à bas coûts. Elle avait disparu presque totalement dans une région qui était pourtant son creuset, la Manucaturing Belt (ceinture industrielle) rebaptisée la Rust Belt (ceinture de la rouille).

La région s'étend sur deux axes. Le premier, depuis Chicago (grand centre de la production automobile) jusqu'au littoral atlantique puis de la frontière canadienne aux Appalaches.

Il est évident qu'avec de telles perspectives de retombées économique beaucoup de pays ou de régimes politiques avaient mis en place un protectionnisme à un moment ou un autre de leur histoire. C'est un mirage qui se termine toujours très mal et souvent avec les meurtrissures de la guerre. Le protectionnisme est en quelque sorte l'édification de remparts autour du pays. Mais les remparts sont par nature des protections de guerre.

Le protectionnisme ne se conçoit ainsi que dans l'intention des uns ou des autres de la provoquer pour des ambitions économiques, territorialesou d'hégémonie d'une culture.

Donald Trump s'est engouffré dans cette tentation et compte en faire l'arme absolue du retour de la grande puissance américaine (ce qu'elle est déjà, quelle mouche l'a piqué ?).

Il n'a cessé de le répéter pendant sa campagne électorale avec le slogan Make America Great Again. Le plus beau mot du monde, les taxes douanières, avait-il répété sans un seul instant de répit. Je suis Tax man et je délivrerai l'Amérique de ses chaînes, ajoutait-il et ainsi de suite dans un délire croissant.

Mais Donald Trump connait-il l'histoire de son pays ? Est-il au courant qu'il était protectionnisme jusqu'en 1945 et qu'il ne l'a plus été car ses dirigeants avaient compris les gros risques (avec quelques tentatives plus discrètes) ? Est-il conscient des conséquences et des retours de bâton dans cette aventure dangereuse ?

La longue histoire protectionniste des Etats-Unis

Une grande confusion est dans l'esprit d'une majorité de la population mondiale sur cette question de la doctrine du libre-échange américain. L'histoire de ce pays puissant est pourtant profondément ancrée dans le protectionnisme.

La cause de la confusion est d'abord explicable par le mot libre-échange car ce qui se retient est celui de liberté, en droit comme en esprit entrepreneurial. On n'imagine pas spontanément qu'il en soit autrement pour ce pays. D'autant que la majorité de notre génération et les suivantes sont nées bien après la fin de la seconde guerre mondiale, moment du ralliement à l'idée du libre-échange et qu'il en est ainsi depuis quatre-vingts ans. Tout avait commencé dès les lendemains de son indépendance par le Tariff Act en 1789. Une taxe de 5% devait financer le nouveau gouvernement fédéral. Après une continuelle montée des taxes c'est au tour du Tariff Act de 1816 de constituer une autre étape importante dans la gradation du protectionnisme américain. L'arme protectionniste est alors conçue comme une protection de l'industrie américaine par la crainte d'un déferlement de produits à bas coûts de l'ancienne puissance coloniale.

Une initiative qui se conciliait avec le projet d'un grand programme d'investissement dans les infrastructures ainsi que la naissance d'un support financier que sera, entre autres initiatives, la création de la Banque nationale. Nous retrouverons cette idée plus tard avec la politique du New Deal du président Delano Roosevelt. Le protectionnisme était même devenu une marque identitaire nationale. Le projet de défense aux frontières se renforce lors de la conversion de l'Angleterre au libre-échange en 1846 avec l'abrogation des « corn laws » (lois sur la protection de la production céréalière), inversant ainsi son régime commercial. Comme si cela n'était pas suffisant la doctrine protectionniste allait encore s'amplifier, cette fois-ci avec la guerre civile américaine qui débute en 1861. Dès le début des années trente du dix-neuvième siècle, les menaces de sécession de la Caroline du Sud présageaient l'affrontement entre un Nord protectionniste par la présence forte de ses industries et un Sud favorable au libre-échange pour sa production agricole et sa politique d'esclavage. Tout semblait se calmer lorsque le Nord avait accepté une baisse des taux des taxes douanières mais il avait tellement besoin de financer ses manufactures et le renforcement de son armée que les concessions sont abandonnées pour un relèvement des barrières douanières. Si la guerre civile avait bien d'autres raisons d'éclater, la guerre doctrinale sur la politique commerciale y avait beaucoup contribué.

On avait cru que le libéralisme allait s'installer avec le Dingley Act de 1897 avec une baisse de 50% des droits de douane, la promesse n'allait tenir que douze ans. Toute l'histoire américaine du dix-neuvième siècle puis de la moitié du vingtième est ainsi profondément marquée par la politique protectionniste dans son commerce mondial. Donald Trump est donc loin d'être à l'origine du protectionnisme américain mais il l'a fait resurgir avec force dans un moment inattendu et brutal qui tranche avec une longue période de conversion du pays au libre-échange.

La mort du système mondial de libre-échange ?

Parmi les retours de bâton les plus catastrophiques, l'Amérique va définitivement être vaccinée par la crise de 1929 qui a fait croire qu'un renforcement du protectionnisme allait en effacer les stigmates. Ce fut un désastre qui se propagera un an plus tard sur le monde et particulièrement en Europe. La grande dépression en Europe allait voir émerger un certain nombre de dirigeants populistes qui ont surfé sur la souffrance de leurs peuples. Nous savons ce qui est arrivé avec Mussolini, Franco et surtout avec un certain Adolf Hitler.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis comme la majorité des pays dans le monde avaient compris que des institutions mondiales comme le GATT, l'OMC par la suite, l'ONU, ainsi que le multiralisme dans les accords, allaient créer un libre-échange qui devait conduire à un apaisement des relations mondiales et à la prospérité. Même si le rêve n'a pas été entièrement exaucé au niveau de ses ambitions, il est incontestable que l'ordre économique mondial a contribué à une paix et une croissance économique générale sans précédent.

Donald Trump vient de mettre fin brutalement à cet ordre mondial avec quelques signatures qui ont provoqué un séisme mondial. Les Bourses chutent, l'escalade des ripostes s'enchaîne dont la plus dangereuse est celle de la Chine. Les entreprises sont tétanisées et le spectre des risques de guerre ainsi que ceux de la formation des empires sont présents.

La récession menace même les milieux économiques qui avaient rallié Donald Trump par opportunisme et qu'ils en sont à s'interroger sérieusement. Il ne reste que le socle de son électorat, celui des oubliés et des déclassés de la mondialisation dont nous avons déjà rappelé leur implantation et les raisons de leur adhésion à la secte du MAGA (Make Amecica Great Again, nous l'avions précisé).

Le protectionnisme violent de Donald Trump, c'est la guerre économique, la récession mondiale et à terme, certainement une déflagration guerrière mondiale si la crise s'aggrave.

Pourtant il n'est visiblement pas le sauveur de l'Amérique mais son probable fossoyeur. Dans sa nullité intellectuelle et économique, lui qui est supposé être un homme d'affaires brillant, il avait oublié que l'ouverture mondiale au libre-échange avait créé des interconnections si fortes qu'il est impossible aujourd'hui de s'en délier.

Il a oublié ou ne sait pas que la puissance décuplée de l'économe américaine de ces dernières années est le fait de la domination de géants américains, dont ceux du numérique. Or ceux-ci dépendent entièrement des coûts bas de la main-d'œuvre des pays où ils sont installés.

Peut-on sortir indemnes de cet ouragan à la cravate rouge ?

Le point d'interrogation du précédent paragraphe signifie qu'il y a pourtant des espoirs de sortie de ce tremblement de terre mondial provoqué par un fou en liberté. Tout d'abord le soulèvement des Américains eux-mêmes, cela commence même si c'est encore timide. Puis le fait que son mandat se termine au bout de quatre ans et, bien avant, les élections de mi-mandat qui risquent d'être pour lui un réveil brutal par une inversion de majorité. Il y a encore les premiers signes de risque d'écroulement de l'économie américaine et les puissantes réactions du monde qui commencent à se mettre en ordre de marche, comme celle de la Chine.

Pour toutes ces raisons, j'ai pour ma part un optimisme, mesuré mais réel, devoir l'échec de ce monstre qui s'est abattu sur la planète. Entre temps c'est une folie dont la facture sera très lourde pour tout le monde et surtout pour les Américains.

En conclusion, le résultat de ce tsunami peut tout de même mener à un déverrouillage des mentalités. À mon sens, le plus positif serait l'espoir que tous les mouvements populistes d'extrême droite dans le monde soient en risque d'explosion, ceux qui ont été galvanisés par les discours de Donald Trump.

L'autre leçon qui commence à porter ses fruits est l'abandon prévisible d'une croyance folle que l'économie mondiale reposait entièrement sur un rapport privilégié avec la puissance américaine.

Et enfin, juste par un sentiment de justice qui voudrait que tous les membres américains de sa secte soient obligés de payer lourdement leur aveuglement et leur bêtise à suivre un gourou qui les aura menés vers une situation encore plus défavorable que celle qui les avait poussés à suivre un mirage, aussi grossier que le langage de ce gourou. Ils en sont lourdement responsables.