Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quand la reconstruction devient une reddition

par Mustapha Aggoun

Le plan de «reconstruction de Ghaza» adopté par le Sommet arabe extraordinaire peut sembler, en surface, une réponse humanitaire aux souffrances palestiniennes. Pourtant, il porte en lui un danger plus insidieux encore que les bombardements israéliens : il constitue une bouée de sauvetage pour l'entité sioniste, lui offrant un passage déguisé pour liquider la cause palestinienne et désarmer ses forces vives. Ce n'est pas la première fois que des plans enrobés de slogans séduisants sur l'aide au peuple palestinien émergent. Mais, à y regarder de plus près, ils ne servent qu'à garantir les intérêts de l'occupant, en parachevant son œuvre par des moyens plus feutrés.

Les Arabes -ou plutôt les «Arabes des régimes»- posent des conditions avant toute reconstruction : désarmement de la résistance et garantie de son absence à Ghaza. Pendant que j'écris ces lignes, mon regard se lève vers l'écran de télévision, où s'affiche en urgence la nouvelle d'un nouveau bombardement israélien sur l'enclave. Je me fige un instant, écoute les chaînes arabes, et constate l'éternel recommencement : Netanyahu instrumentalise la guerre pour s'extraire de ses crises internes, Israël dicte ses conditions pour la libération des prisonniers, et la Maison-Blanche admet avoir été consultée avant le déclenchement des hostilités. Face à cela, la résistance rappelle que ce qu'Israël n'a pu arracher à la table des négociations, elle ne l'obtiendra pas par la force.

Éteindre la télévision n'est pas fuir la réalité, mais tenter de la digérer. Je reviens à mon texte et aux promesses qu'on nous martèle : «Les Arabes ne normaliseront pas avec Israël sans un État palestinien indépendant». Mais n'était-ce pas exactement ce qui fut dit lors des précédents accords de normalisation ? N'a-t-on pas vu Israël balayer d'un revers de main ce soi-disant pré requis ? Pire encore, le gouvernement ultranationaliste de Netanyahu considère toute évocation d'un État palestinien comme un crime contre «Israël» !

L'Occident, la Russie, la Chine répètent en boucle qu'il «n'y a pas de solution sans un État palestinien». Mais eux savent, comme nous savons, que les mots seuls ne façonnent pas l'Histoire. Les grandes puissances ne bougent que lorsqu'elles perçoivent une volonté inébranlable des peuples concernés. Or, comment les régimes arabes pourraient-ils faire pression sur Washington ou ailleurs, alors qu'ils sabotent eux-mêmes leurs propres leviers de pouvoir ? Incapables d'arrêter les massacres israéliens, ils prétendent garantir une solution à deux États ? Quelle farce !

Le silence international et régional face au carnage de Ghaza n'est pas qu'une lâcheté. C'est une honte gravée dans l'histoire de l'humanité. Les droits ne se mendient pas, ils s'arrachent. Et pour les peuples opprimés, la résistance est la seule route vers la liberté et la dignité. Accepter une «reconstruction» dictée par l'occupant, c'est se soumettre à son arrogance, lui accorder le droit de vie et de mort sur un peuple qui ne réclame que justice.

Ne nous y trompons pas : la destruction de Ghaza et sa reconstruction sous conditions sont les deux faces d'une même pièce. L'une rase tout, l'autre rebâtit sur des termes conçus pour neutraliser la résistance et démanteler la cause palestinienne. L'objectif final est clair : transformer la Palestine en un amas de bantoustans sans souveraineté ni capacité de lutte. Mais l'histoire nous enseigne que ce peuple n'a jamais cédé. Malgré ses blessures, sa résistance ébranle les fondations mêmes de l'État sioniste, où la crise politique s'aggrave et où les fractures internes se multiplient.

Israël ne tient que grâce au soutien américain inconditionnel. Pourtant, malgré des sacrifices incommensurables, la résistance palestinienne a changé la donne. Ce combat n'aurait jamais été possible sans un peuple debout, qui, malgré la mort, la faim et la ruine, refuse de plier, refuse de partir.

Aujourd'hui, Netanyahu est sous pression : il limoge son chef du renseignement intérieur, l'opposition monte, et même en Israël, des voix s'élèvent pour exiger l'arrêt de la violence sioniste et achever l'échange des prisonniers. Le prix politique et économique de l'agression est désormais une évidence, mais l'omerta persiste. Et tout cela, c'est grâce à la résistance : elle a inversé la balance et prouvé que l'occupation n'est pas une fatalité mais un cauchemar dont il faut réveiller le monde.

La bataille n'est pas finie, mais une vérité est désormais incontestable : celui qui résiste impose ses conditions. Celui qui capitule subit celles de l'occupant.