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![]() ![]() ![]() ![]() Au
regard des bouleversements géopolitiques de la redistribution des rapports de
force, de l'émergence de nouveaux pôles de puissance économique et surtout de
la vertigineuse perte d'influence européenne, l'expression balzacienne tirée
d'un roman d'Honoré Balzac « grandeur et décadence » résume bien l'essor des
pays européens et leur affaiblissement latent depuis des années, manifeste de
nos jours.
Afin de mieux appréhender cette évolution, une rétrospective historique succincte serait pédagogiquement utile. Selon certains historiens, au Moyen Âge central (XIe siècle XIIIe siècle) l'Occident est entré dans une phase de croissance et d'expansion. Durant cette période, des villes se développent, deviennent des centres économico politiques où s'organise la pratique de la religion et se développent les arts. Cette époque a, par ailleurs, connu d'importantes avancées technologiques (utilisation de la poudre à canon, invention des lunettes, etc.). Après une période d'obscurantisme, l'ère de la Renaissance, que les historiens situent entre l'an 1400 et l'an 1600, a donné un nouvel et important élan aux arts et aux sciences, bien que le continent européen fût pratiquement toujours en guerre. Durant cette période, des œuvres artistiques majeures, notamment en peinture (tableaux de Léonard de Vinci, Vincent Van Gogh, Pablo Picasso, etc.) ou en littérature (François Rabelais, Michel de Montaigne, etc.) sont apparues. Par ailleurs, d'importantes découvertes scientifiques (Invention de l'imprimerie, théorie du système solaire héliocentrique due à Nicolas Copernic, etc.), qui ont marqué l'histoire, ont vu le jour. A la fin du XVIIIe siècle, puis surtout au XIXe siècle, l'Europe a entamé une ère d'industrialisation, accompagnée d'un exode rural massif, qui a bouleversé l'ordre socioéconomique. Dans ce contexte, tumultueux, sont apparues de nouvelles idéologies politiques et économiques, en l'occurrence le libéralisme, alors dominant, et le socialisme ou le communisme. La révolution industrielle s'est accompagnée évidemment d'importantes avancées technologiques. Les procédés et ressources énergétiques utilisés pour faire tourner l'industrie ont connu en parallèle, une évolution spectaculaire. Du charbon, abondamment exploité au XVIIIe siècle, on est passé au gaz et pétrole au XIXe siècle, à l'électronique depuis la fin du même siècle, au nucléaire et Internet depuis le XXe siècle ainsi que les Energies renouvelables, notamment solaire et éolienne. Sur un autre registre, l'Europe occidentale doit, en grande partie, son essor aux échanges commerciaux avec le continent américain, l'Afrique et l'Asie. Il convient de rappeler par ailleurs que l'entreprise coloniale, exploitant les richesses et ressources humaines des pays sous occupation, fut un élément central dans l'enrichissement de bon nombre de pays d'Europe et la construction de leur puissance économique et militaire. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les puissances européennes étaient socialement épuisées, militairement affaiblies et économiquement ruinées. Deux superpuissances, que sont l'Union soviétique et les Etats-Unis, dominent alors la scène internationale. Le monde fût divisé en deux blocs antagonistes : le bloc capitaliste, sous l'égide des Etats-Unis et le bloc communiste sous l'égide de l'Union Soviétique. Le reste du monde se devait de choisir d'être dans un camp ou dans l'autre. C'est ainsi que l'Europe du nord s'est définitivement engagée dans un suivisme quasi-spontané vis-à-vis de l'Amérique, son principal allié. Avec l'aide américaine (plan Marshall), durant les trente glorieuses (1945 1975) la plupart des pays occidentaux connurent une croissance économique exceptionnelle et une nette augmentation du niveau de vie. Ajouter à cela que l'OTAN, organisation politico-militaire, créée en 1949 pour assurer la défense et la sécurité de l'Amérique et ses alliés occidentaux, est principalement financée et militairement équipée par les Etats-Unis. Ils sont en outre les seuls chargés du maintien et du contrôle des capacités militaires conventionnelles et nucléaires de l'Alliance. C'est dire à quel point l'Europe est redevable envers l'Amérique; elle vit sous sa houlette serais-je tenté de dire. Ce bref rappel historique permet, modestement, de comprendre comment les pays européens ont construit leur puissance économique et militaire pour conquérir une bonne partie du monde et imposer leur dominance. Il s'agit maintenant d'examiner les éléments ayant contribué à leur déclinement. A la fin de la Seconde Guerre mondiale commence la décolonisation au Proche et Moyen Orient ainsi qu'en Asie et ensuite en Afrique. L'hégémonie européenne s'amollit dès lors ; elle se consuma au fil des années. Les puissances européennes gardent tout de même une certaine influence, notamment sur leurs anciennes colonies, tout en évoluant à l'ombre de l'Oncle Sam, faut-il le rappeler. La position dominante de l'Occident, imposée au fil du temps par la force, a malheureusement forgé les esprits au suprématisme occidental qui, au demeurant, sévit toujours. Les puissances coloniales européennes ne se sont jamais départies de leur condescendance, de leur complexe de supériorité, en particulier vis-à-vis des peuples africains et de leurs dirigeants. A ce propos, Régis Debray (Ecrivain et philosophe français) disait : « Ils ont enlevé leur casque colonial, mais en dessous leur tête est restée coloniale ». Confits dans leur nostalgie colonialiste, des partis politiques, dont certains sont au pouvoir, et autres personnalités politiques ou intellectuelles puisent leur idéologie dans les débris du suprématisme blanc, occidental et chrétien, de leur point de vue démiurge du progrès et de la civilisation. En particulier, les anciennes puissances coloniales, ont une conviction tacite d'être en droit d'intervenir dans les affaires des autres peuples. Une sorte de tutorat, pour ne pas dire paternalisme, autoproclamé. Le drame est qu'ils sont convaincus d'avoir toujours raison, même lorsqu'ils ont tort, d'être les plus beaux, même lorsqu'ils sont laids, d'être les plus forts, même lorsqu'ils sont en position de faiblesse. La dominance européenne s'est accompagnée d'un eurocentrisme suprémaciste qui a ouvert la voie aux pires exactions ; ce qui a largement exacerbé le ressentiment des non européens. Crescendo, d'arrogance en arrogance, soufflant sans cesse sur les braises du ressentiment et de la frustration des peuples, les pouvoirs occidentaux ont fait naître et développer l'anti occidentalisme, porté à son paroxysme en raison de leur accointance avec les régimes totalitaires et corrompus qui gouvernent le plus grand nombre des pays du Sud Global. A ne pas s'y méprendre, le sentiment anti- occidental est un facteur favorisant du déclin d'influence dont il est question ici. Il est en outre substantiellement la conséquence, un revers de médaille, d'une politique dominatrice, faite de mépris, de perfidie et de vérités truffées de mensonges. Pour des considérations géostratégiques et d'intérêts économiques, les Occidentaux, à leur tête les USA, ne se sont jamais gênés de bafouer les principes qu'ils ont promu durant des décennies, présentés comme universels et censés garantir les droits humains et le développement harmonieux de tous les peuples. Pire encore, les institutions internationales sont souvent utilisées en tant qu'outils de pression ou d'appui à l'impérialisme au lieu d'être des outils de coopération mondiale. Quid alors de la crédibilité des chantres de la démocratie et des Droits de l'homme ? Il y a, pardieu, de quoi rebuter son monde ! Le Sud Global, instruit de la face hideuse de l'Occident, s'en écarte de plus en plus, il change son fusil d'épaule. C'est l'arroseur arrosé. A titre illustratif, la France, déclassée à l'international, perd son aura d'antan, se retrouve presque inaudible. Elle est devenue pays non grata dans bon nombre de pays africains dont les dirigeants, et autres mamamouchis, lui mangeaient jadis dans la main. Aussi, et surtout, il est important de souligner que l'enlisement du pôle occidental s'aggrave principalement en raison du glissement du centre de gravité économique mondial vers d'autres régions du monde. Notamment, l'Asie Pacifique et le Sud Global connaissent, depuis des années, un développement appréciable. Ils représentent aujourd'hui une part importante de la croissance économique mondiale. Selon le journal en ligne «Le Devoir», du 18 novembre 2024, je cite : « Les membres actuels des BRICS représentent 41% de la population mondiale, 37% du PIB, 25% du pétrole et 50% des minerais. Ils enregistrent, cette année, une croissance de 4,5%, contre 1,7% pour les pays du G7 ». En d'autres termes, le poids des pays du Sud Global, sur la scène internationale croît, alors que celui des Occidentaux diminue. Les investissements, les centres d'activités économiques et les échanges commerciaux s'y développent à grande vitesse. L'architecture du modèle de développement économique mondial, jusque-là dominé par l'Occident est ébranlé. La prééminence occidentale se désintègre au fil du temps. Coup fatal pour l'Union européenne ! Son allié et protecteur, voire son mentor, l'abandonne. La tornade Trump se couvait alors que l'UE dormait sur ses lauriers, sur les certitudes de son « glorieux passé ». Eh oui ! Les alliances avec plus grand que soi ont le fâcheux inconvénient d'être très fragiles. Les plus forts ont toujours le privilège de les rompre, au gré de leurs intérêts. Des analystes, des politiciens et autres intellectuels ont pourtant sonné le tocsin des années durant. Lors de l'émission «Chocs Du Monde» de TVLiberté, le 26 avril 2023, répondant à un journaliste qui lui demande comment vit-on le basculement actuel du monde au Parlement européen, le député européen et essayiste Hervé Juvin a répondu : « Le arlement européen est un lieu où l'on se raconte le monde tel qu'on voudrait le voir (....), l'Union européenne préfère se bercer d'illusions et se raconter le monde tel qu'il devrait être plutôt que de le voir tel qu'il est ». Médusée par le basculement géopolitique qui s'opère sans elle, l'Union européenne tente, tant bien que mal, de se ressaisir pour reprendre sa place, perdue malgré elle. D'aucuns jurent de ne plus être les vassaux de l'Amérique. Tiens donc ! Est-ce à comprendre qu'ils l'étaient de leur propre chef et que c'est un choix souverain de ne plus vouloir l'être ? Ou alors, et c'est le plus juste, ce statut ne leur est plus accordé par le maître des horloges. En tout cas, la scène européenne est en ébullition. On assiste à un ballet de conseils des ministres, de réunions de chefs d'Etats européens, de rencontres de dirigeants européens avec Donald Trump, de déclarations tonitruantes appelant à l'envoi de soldats en soutien à l'Ukraine, de dégager d'importants fonds pour assurer la défense de l'Europe, etc. On serait tenté de penser que l'onde de choc que l'UE a reçu de plein fouet, pourrait être le remède qui la remettrait sur pied. Bien que peu probable, cela est envisageable car, malgré sa situation économique guère enviable, elle a des potentialités à même de lui permettre de réunir les moyens d'y parvenir, pour peu que ses membres transcendent leurs divergences et leurs rivalités. Pour autant, il lui sera difficile, voire impossible, de retrouver une place de choix parmi les nouveaux maîtres du monde. Elle pourrait, au plus, glaner une position confortable dans le sillage des Etats-Unis. Cependant, sa politique belliqueuse dans le dossier Ukrainien, à contre courant de celle des Américains et de la plupart des pays du monde, risque de l'isoler davantage. N'est pas superpuissance qui veut. Se vouloir donner pour ce qu'on n'est pas est dangereux. En résumé, une nouvelle ère géopolitique, un ordre multipolaire, où les cartes du pouvoir mondial sont rebattues et redistribuées, s'impose inéluctablement. Les Européens n'ont apparemment pas pris la bonne mesure des changements, qui s'opèrent pourtant depuis des années sous leurs yeux. Ils restent enfermés dans un nostalgique passé, glorifié outre mesure. Des alliances se forment, certaines se fissurent et d'autres se rompent, sans qu'ils n'y prennent garde. A ce train, l'Europe, jadis pôle de puissance et de richesse, finirait en zone de subsistance. Divisée, lâchée par son Ménon, l'Europe semble si faible face aux grandes puissances actuelles. Elle est exclue du club des puissants qui définissent l'ordre mondial applicable sur le terrain. Néanmoins, il serait inconséquent de penser qu'elle va de sitôt s'effondrer ou sombrer dans la misère. La puissance économique et militaire ainsi que la technologie qu'elle a construite des siècles durant, comme on l'a vu au début de cet exposé, ne peuvent pas être balayées d'un revers de la main. Disons qu'elle vivra encore quelques heureuses décennies sur ses acquis et réalisations. Enfin, si je puis me permettre une allégorie, elle n'est plus en mesure de pouvoir danser avec les grands alors qu'elle s'est cassé la jambe. *Professeur |
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