Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Sécession des riches et impérialisation du monde

par Arezki Derguini

Une nation partage un fardeau, elle partage le fardeau de ses citoyens. Elle le partage dans le but de l'alléger. Si chacun peut se charger de son propre fardeau, nul besoin de partager. Si elle le partage mal, en fait supporter le plus lourd sur une partie de sa population pour qu'une autre se sente seulement plus légère, si la nature ne supporte pas la population et sa charge, elle s'expose à la rupture. Dans un monde où le travail humain est chassé de la production par une compétition internationale exacerbée, où la production des richesses se concentre de plus en plus, une sécession des riches n'est pas à exclure. Ils n'ont plus d'yeux que pour les matières rares et l'énergie non humaine.

Ce texte explore les défis auxquels les sociétés contemporaines sont confrontées, des chaînes de valeur mondialisées aux relations géopolitiques complexes, en passant par les transformations du capitalisme et les héritages philosophiques de penseurs comme Adam Smith et Ibn Khaldoun. Il s'agit de comprendre comment les nations peuvent éviter la rupture sociale tout en s'adaptant aux réalités d'un monde en pleine mutation notamment face à la menace d'une sécession des riches et aux défis d'une impérialisation du monde.

Division du travail et dépendance

À la différence de la famille, les liens de la société ne sont pas personnels. Une division du travail plus large prend la place de l'ancienne. L'individu dépend de sa famille et de la société. Il peut dépendre davantage de la société que de la famille. Il dépendra davantage de la famille si elle dépend moins du marché que d'un héritage. L'individu pourra s'attacher à la vie d'un capital. Il dépendra de la société d'autant plus qu'il dépendra du marché et ne pourra pas compter sur une économie non marchande.

L'individu est solidaire d'une division du travail. La division du travail peut être plus ou moins étendue. Nous sommes solidaires d'une division du travail internationale qui implique des sociétés peu solidaires. Un groupe tient sa solidarité de la solidarité de sa division du travail. Elle est prompte à se rompre si les groupes qui la composent ne tiennent plus ensemble. Une société qui ne réussit pas à internaliser la division du travail qui la comprend s'expose à ne pas disposer des ressources nécessaires à sa subsistance. Certains groupes se défaisant avec la division du travail dont ils dépendent, celle-ci n'étant plus en mesure de les tenir ensemble.

Le fardeau partagé est celui d'une division du travail. Si une société ne partage pas une division du travail, elle n'a pas de charge commune. Si la division internationale du travail qui la comprenait ne la comprend plus, elle ne peut se préserver comme société.

Une société immergée dans la compétition individuelle, au contraire de celle immergée dans une compétition collective, négligera son insertion dans la division internationale du travail. Elle fera moins cas aussi de sa propre division du travail. Les individus auront tendance à se décharger sur leurs proches plutôt que sur les étrangers, prompts à se transformer d'amis en ennemis. Le fort aura tendance à reporter les charges sur le faible, il dissociera solidarité sociale et solidarité de la division du travail, comme il aura dissocié division internationale et division sociale du travail. Il ne se préoccupera que de son insertion individuelle dans une division du travail ne différenciant pas celle sociale et celle mondiale.

La division du travail établit des chaînes de valeur. Les chaînes de valeur sont aujourd'hui mondialisées. Une insertion individuelle ne fait pas nécessairement une insertion collective. Une société immergée dans une compétition collective ayant internalisé un certain nombre d'éléments des chaînes de valeur mondiale donne une cohérence à sa division interne du travail, à ses chaînes de valeur internes et donc à sa solidarité sociale. Les chaînes de valeur tenant ensemble les individus et les collectifs, ainsi que leur progression. Une chaîne de valeur établit les charges entre ses différentes parties. Une mauvaise répartition des charges affecte la progression de la chaîne.

Fragmentation et régionalisation des chaînes de valeur

Un marché du travail polarisé menace aujourd'hui les sociétés d'un déclassement du travail humain. L'énergie non humaine s'est substituée à l'énergie humaine et le capital (savoir) mort se substitue au savoir vivant. La nouvelle société automatique a besoin d'énergie et de matières premières non humaines, la division internationale du travail et les chaînes de valeur mondiales réduisent leur base humaine. La dépossession du travail vivant de son savoir par la substitution constante du travail mort au travail vivant, va se traduire par la formation de sociétés préposées aux machines et de sociétés prolétarisées préposées aux personnes.

Les sociétés prolétarisées qui voudront internaliser les parties inférieures des chaînes de valeur pour être comprises dans la division internationale du travail n'auront plus de prise. Elles seront déconnectées. Pour se reconnecter à une division internationale du travail, désormais nécessaire à leur reproduction, elles auront besoin de nouvelles chaînes de valeur mondiales. On parle à ce sujet d'une nécessaire régionalisation de la mondialisation ou d'impérialisation du monde.

De quoi vont parler Donald Trump et Poutine, de l'Ukraine certainement, mais plus largement, d'un partage du monde. Trump concédant en ici et Poutine là. Un partage du monde où il sera nécessairement question de la Chine et de la compétition entre les trois puissances. Vont-ils s'entendre contre la Chine ? Il pourrait en effet sembler aux Américains qu'une alliance stratégique avec la Russie aurait de bien plus grands effets sur la compétition avec la Chine qu'une prise en compte des intérêts européens. Pointerait alors la thèse du choc des civilisations de Huntington, dont il n'est pas sûr que Trump ne soit pas l'adepte, la Chine devant être empêchée de resserrer ses liens avec le reste du monde et le monde musulman en particulier. D'où l'importance que peuvent attribuer les Américains à l'Arabie saoudite s'ils veulent limiter les contre-effets d'une entente avec la Russie. Sans oublier que ces trois pays sont en fait trois grands producteurs d'énergie fossile.

Mais, c'est d'abord en s'inscrivant dans le cours des choses et en se préposant aux personnes de manière innovante en substituant du travail vivant au travail mort, plutôt qu'aux machines, que les sociétés postcoloniales pourront se déprolétariser, se réapproprier le savoir et éviter une désagrégation violente. Il leur faudra d'abord se protéger d'une telle destruction, en se recentrant sur elles-mêmes, pour ensuite internaliser du savoir mondial qui pourrait redonner vie au travail vivant et au processus d'accumulation du travail mort.

Pour une telle régionalisation ou impérialisation du monde, il faut des centres d'accumulation et de diffusion. Dans notre région, la Turquie est le meilleur exemple. Mais si c'est la compétition pour le leadership qui domine les puissances régionales et non la coopération, la région verra s'aggraver ses dissensions. Cette compétition conduisant les unes d'entre elles à s'attacher les services des riches personnes de la société automatique et les autres à s'insérer dans les chaînes de valeur mondiales américaines ou chinoises, les mettra en travers du processus de régionalisation en cours.

Avec la nouvelle société automatique que promeuvent la Chine et les USA, on comprend que la Russie réémerge comme empire : elle dispose, comme nulle autre puissance, de l'énergie et des matières premières. On comprend aussi pourquoi la Chine qui en manque devra se fier aux routes de la Soie et pourquoi les Américains s'éloignent du droit international et promeuvent un droit impérial.

Le pouvoir de commander

La valeur d'une chose ou d'une personne est dans son pouvoir de commander du travail, des services (Adam Smith). En passant à la théorie de la valeur du travail incorporé (K. Marx) on se centre sur la production humaine. La puissance s'étant désormais logée dans la production. Ce n'est peut-être pas un hasard si la production s'est développée dans un milieu physique particulier riche en énergie fossile où la machine pouvait avoir un rapide développement. Comme l'affirme F. Braudel, le capitalisme financier ne s'intéresse que tardivement à la production.

K. Marx avait complètement raison de commencer son étude du capitalisme par la production de marchandises. Il avait tort cependant de restreindre finalement cette production à la production humaine, ne prenant en compte que l'échange entre marchands. On en restera à une production de marchandises par des marchandises. Le temps de travail socialement nécessaire à la production d'une marchandise n'incorpore pas le travail non marchand nécessaire à sa production. La valeur du pétrole n'incorpore pas le temps de travail naturel nécessaire à sa production. La valeur de la force de travail n'incorpore pas le temps de travail domestique nécessaire à sa reproduction. La compétition marchande a fait fi de la vie non marchande. Pas de syndicat de la nature pour négocier le prix de son travail, pas de syndicat féminin pour négocier le prix du travail domestique. La vie marchande risque de se désolidariser de la vie non marchande, ne payant pas le prix de son travail. Ce n'est pas le travail socialement nécessaire à la production d'une «chose» qui fait sa valeur, elle vaut plus que ce qu'elle a incorporé de travail social. On a dissocié la valeur d'usage de la valeur d'échange. Une chose vaut plus par ce que l'on en fait. C'est le travail qu'elle peut commander. Que la «chose» soit humaine ou non, qu'elle soit produite ou non. Son pouvoir d'achat, sa valeur, se mesure au nombre d'esclaves mécaniques et de servants humains qui peuvent la servir. La définition retenue par K. Marx a perdu en généralité, elle exclut le travail de la nature que la production marchande ne reproduit pas, elle exclut le travail domestique nécessaire à la reproduction de la force de travail ; elle enferme la valeur d'une chose dans un passé qui n'a pourtant de valeur que dans un présent et un avenir (actualisation). La marchandise a une histoire qui ne s'arrête pas à celle de sa stricte production marchande, elle commence bien avant elle et se poursuit bien après elle. En séparant de manière dichotomique la société de la nature, la production de l'échange, la valeur d'usage de la valeur d'échange, on obtient une définition de la valeur qui pouvait être confortée par la compétition des premières révolutions industrielles, mais non plus par celles présentes. La production se déroule dans l'échange entre la nature et l'homme. La production marchande est une production non marchande, sociale et naturelle. L'économie politique est victime d'un anthropocentrisme. Le capitalisme est un ordre social qui subordonne la production non marchande à la production de marchandises. Il les subordonne et ne les reproduit pas. Il les cannibalise. Il n'a pas besoin de reproduire la nature, la production de la nature est gratuite. Aussi les humains fuient-ils la production non marchande qui n'est pas rétribuée. Mais comme la production de marchandises est de plus en plus le fait de machines et d'énergie non humaine, c'est le travail humain qui devient sans travail. Le travail humain a d'abord été séparé de la terre, puis de son outil, puis de son énergie et de son savoir.

Ce qu'il faut réinventer, c'est donc le rapport de la société à la nature, de la production marchande à la production non marchande, de l'individu au collectif, de la hiérarchie de l'argent aux autres hiérarchies, de la puissance privée à la puissance collective et inversement.

Il faut remettre l'économie dans l'écologie, rétablir l'espèce humaine dans la nature, non plus comme espèce prédatrice, mais comme espèce clé de l'écosystème dont l'activité améliore le fonctionnement de la nature. Avec un capital financier cannibalisant les autres formes de capitaux, l'espèce humaine s'est déchargée de son rôle pionnier dans la nature.

Les sociétés prolétarisées doivent donc se consacrer non seulement aux personnes pour rétablir du lien social, mais aussi au vivant qu'elles ont beaucoup malmené. On ne construit pas une économie de marché sur une vie matérielle et sociale en ruines. C'est en recomposant un certain rapport entre le travail marchand et non marchand, entre le travail vivant et le travail mort, les rapports entre les différentes formes de capitaux qu'elles pourront établir une nouvelle division du travail qui fera tenir ensemble les groupes et les individus. Lesdits capitaux naturel, social et humain ne doivent plus être cannibalisés par le capital financier en les transformant en travail mort pour se l'approprier. Le travail marchand ne doit pas détruire le travail non marchand, ils doivent être complémentaires.

Le pouvoir de commander aux humains et aux non humains ne peut être abandonné à des riches qui menacent de faire sécession. Pour ce faire, la valeur d'une personne ne doit pas être attachée à son pouvoir d'achat, celui-ci ne peut être confondu avec son pouvoir de commander. La valeur d'une personne ou d'une chose doit être attachée à sa capacité de produire de la confiance, de produire du capital social. Ce n'est pas la hiérarchie de l'argent qui doit commander aux autres hiérarchies, mais l'inverse.

Richesse et noblesse

Donald Trump se dit beau et riche, il promet aux Américains de les rendre riches, de ne pas laisser les autres s'enrichir à leurs dépens. Voudra-t-il les enrichir aux dépens des autres ? Il se dit fort, cela dépendra donc de la force des autres. Donald Trump doit sa beauté en grande partie à sa richesse. Il veut que les Américains s'identifient à lui, les Américains veulent s'identifier à lui. Il est beau et riche, il est puissant. Avec Elon Musk, on sent comme un sentiment de toute-puissance que les Américains voudraient partager avec eux. Voilà l'Amérique qui parle aux passions, gare à ceux qui s'y prêteront, mais n'auront pas la force.

Il est coutume d'entendre dire chez les experts et scientifiques occidentaux que les opinions doivent s'appuyer sur les faits, que la raison doit l'emporter sur la passion. Par exemple quand ils parlent d'émigration. Ils s'étonnent ensuite de ne pas être entendus et critiquent Donald Trump qu'ils accusent de mentir. C'est là la façon de traiter scientifiquement les problèmes dans l'épistémè occidentale depuis les Grecs.

On oppose les opinions, les sentiments et la raison, les faits (que produit la science) et les valeurs de manière dichotomique. On s'autorise ainsi à ignorer les raisons des sentiments pour parler de manipulation des sentiments. Est ainsi mal traitée la question : car il n'y a pas discontinuité et confusion des raisons et des sentiments, des faits et des valeurs. C'est ainsi refuser de répondre aux opinions et espérer les soumettre aux faits.

Ce qui s'avère de plus en plus difficile pour une Science en perte d'autorité. Dans les sociétés postcoloniales, le discrédit de la Science a été plus précoce, y règnent les opinions en même temps que l'absence d'une communauté scientifique. On a détaché les sens des raisons, on pourra bientôt confier la Raison aux machines.

Mais tous les gouvernements n'ont-ils pas le même mot d'ordre : nous allons vous rendre riches ?

Mais alors que le président américain fait l'acteur et veut que ses concitoyens lui ressemblent, l'aiment, les gouvernements du monde en sont encore à opposer passion et raison, craignant que leurs concitoyens ne soient gagnés par de mauvaises passions. Il est certes de mauvaises passions, mais qui n'ont de succès que parce qu'il n'y en a pas de bonnes. Seul un sentiment peut en chasser un autre.

Tous les gouvernements ont renoncé à associer la noblesse à la richesse. Pourtant, il peut y avoir de la noblesse dans la richesse, c'est ce que pensaient les protestants de Max Weber. Mais dans l'histoire européenne, la richesse s'est dissociée de la noblesse comme classe pour s'attacher à celle des marchands. Les qualités guerrières et les vertus morales se sont détachées des guerriers propriétaires fonciers pour s'attacher aux marchands partant sur les mers pour la conquête du monde. L'esprit de corps de la noblesse est comme allé aux marchands. La révolution bourgeoise a consacré la communication d'un tel esprit à la société. Les sociétés de classes européennes qui ont entraîné le monde dans leur compétition pour la puissance et la richesse avaient réservé la noblesse à une classe qui en fera son monopole. Les seigneurs de la guerre se sont fait déclasser par les seigneurs de l'argent, parce qu'ils avaient perdu leurs qualités guerrières et leurs vertus morales qu'ils ne voulaient pas partager. Non pas tout simplement parce qu'ils ont été gagnés par le luxe et ont été corrompus par la richesse, mais parce qu'ils monopolisèrent la noblesse. La richesse et le luxe ont été pendant un temps l'instrument de leur puissance et de leur distinction de classe. Ils ont été déchus, la richesse les a corrompus, parce qu'ils se sont laissés porter par un cours des choses qui n'activaient plus que de mauvaises qualités et vertus. Les qualités guerrières et les vertus morales sont passées aux marchands, eux-mêmes au service de monarchies qui n'avaient plus besoin de gens d'armes aux vertus morales passées, mais de guerriers pour conquérir le monde et ses marchés. La noblesse d'état a laissé aller la richesse à la bourgeoisie, quand elle est devenue une cour et a cessé d'être dans le cours du monde, perdant ses qualités guerrières et ses vertus morales.

Une nouvelle noblesse, armée d'un nouvel esprit de corps faisant faire société, a porté à l'échelle du monde l'art de la guerre dans le champ du commerce et de la production, et s'est rendue en mesure de subjuguer le monde. En s'identifiant à Donald Trump, les Américains continuent de mêler noblesse et richesse comme au temps du protestantisme, sans voir cependant que cette habitude a perdu ses raisons. Ils font confiance à une oligarchie disposée à faire sécession, du monde et de l'Amérique.

Esprit de corps

On retient d'Ibn Khaldoun quant à la décadence des dynasties, la perte de leur esprit de corps, de leurs qualités guerrières et de leurs vertus morales. Ces qualités et ces vertus sont associées à un corps organique, la tribu. Celle-ci était à l'époque d'Ibn Khaldoun comme l'horizon social indépassable. Aussi ne séparera-t-il pas les qualités guerrières et les vertus morales des conditions de vie tribales. Il reste que ce sont les qualités guerrières et les vertus morales qui distinguent une tribu des autres et la rendent en mesure de construire une dynastie. On réserve à tort cet esprit de corps depuis Ibn Khaldoun à la tribu. Avec les sociétés de classes européennes, les qualités guerrières et les vertus morales ne sont plus l'attribut de la tribu, mais de la classe. Aussi peut-on depuis détacher les qualités guerrières et les vertus morales d'un corps particulier et de celui tribal d'Ibn Khaldoun. Qu'un tel esprit soit particulièrement net chez certaines tribus nomades, n'implique pas qu'il faille leur réserver un tel esprit.

Même s'il faut constater avec Ibn Khaldoun hier et Marcel Gauchet aujourd'hui, que la civilisation urbaine fabrique des sociétés individualistes où il est particulièrement difficile de faire corps et esprit de corps. Une élite fait corps et fait faire corps à la société dans le cours des choses. La dichotomie qui s'était instaurée entre le rural et l'urbain, le badw et le hadar, qui se faisait et se défaisait et dont les transformations l'un dans l'autre illustraient le cycle de l'histoire est maintenant une dichotomie entre classes. Des valeurs contraires distribuent les deux camps rural et urbain, badw et hadar chez Ibn Khaldoun et guerriers et paysans dans la féodalité européenne. La décadence renvoie à ce que le corps social porteur de ces valeurs (la tribu ou la classe) ne transforme pas la société selon ces valeurs, mais retombe dans les valeurs anciennes de la société.

Le rapport de codétermination entre le corps et l'esprit s'affaiblit, le corps ne se transforme pas avec l'esprit et inversement. La tribu ou la classe a perdu les qualités et les vertus qui l'ont amenée à se distinguer. L'esprit de la tribu dominante ne fait pas corps social, la société reste tribale, l'esprit de la classe des guerriers ne fait pas société et dans le même temps, tribu et classe perdent leurs qualités guerrières et leurs vertus morales. Les qualités guerrières et les vertus morales ne passent pas dans le reste de la société, elles se dissolvent au lieu de migrer dans une nouvelle société et un nouveau cours, la contrainte en place de l'imitation ayant présidé aux rapports entre les tribus ou les classes.

En guise de conclusion. En somme, les sociétés actuelles se trouvent à un carrefour critique. La division du travail, les chaînes de valeur mondialisées et les rivalités géopolitiques redéfinissent les équilibres sociaux et économiques. Pour éviter une désagrégation violente, il est essentiel de réinventer les rapports entre production et reproduction, entre production marchande et production non marchande, entre puissance privée et puissance publique, et entre humains et machines. Les leçons d'Adam Smith, d'Ibn Khaldoun et d'autres penseurs nous rappellent que la solidarité et la cohésion sociale ne peuvent être maintenues que si les charges sont équitablement réparties et si les valeurs humaines ne sont pas sacrifiées sur l'autel du profit. Dans un monde où le travail humain est de plus en plus dévalorisé, il est urgent de redéfinir ce qui fait la valeur d'une société : non pas seulement sa capacité à produire, mais aussi sa capacité à préserver et à enrichir le lien social, le vivant et l'environnement. C'est à cette condition que les nations pourront continuer à partager le fardeau de leurs citoyens sans risquer de se rompre, en évitant la sécession des riches et en répondant aux défis de l'impérialisation du monde.